Voyage à travers les cerisiers du Japon
Comment tomber amoureux des cerisiers en fleurs
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Un phénomène empreint de poésie
À l’approche du printemps, une sorte d’impatience mêlée d’excitation envahit le cœur des Japonais : l’hiver est fini, et place à la floraison des cerisiers.
« La fleur du Somei Yoshino a une façon bien à elle de s’ouvrir. D’un bouton de couleur relativement foncée, la fleur s’ouvre progressivement, de 30 %, puis 50 %, et plus elle s’ouvre, plus le rose devient pâle. Apprécier ce changement subtil de la couleur est aussi l’une des façons d’admirer les cerisiers, particulièrement savoureuse, à mon sens. Et voir les pétales dispersés par le vent courir sur le sol… ne trouvez-vous pas cela poétique ? Les “radeaux de pétales” glissant sur les ruisseaux est aussi un splendide spectacle. Les cerisiers ne restent en fleurs qu’une dizaine de jours tout au plus, chaque instant est l’expression d’une beauté différente, qu’il faut savoir saisir et admirer. »
Ces propos sont ceux de Asada Nobuyuki, secrétaire général de l’Association japonaise pour les cerisiers (Nihon sakura no kai), qui propose toute une panoplie de façons diverses et variées d’apprécier les cerisiers en fleurs. L’association, dont l’activité principale est d’offrir, protéger et diffuser les cerisiers japonais, est également connue pour promouvoir leur guide des « 100 plus beaux sites des cerisiers en fleurs », un ouvrage indispensable pour tous ceux qui cherchent un itinéraire afin de suivre leur floraison quand vient la saison. M. Asada est lui-même un « médecin des arbres », et gère et certifie les cerisiers qui sont donnés. Il s’assure aussi que le nouvel environnement où les arbres sont expédiés est propice, et il forme les gens à la plantation et à l’entretien des arbres.
Un amour qui date de l'époque de Heian
Il y a des cerisiers partout au Japon. Le « front des cerisiers », comme on appelle la ligne de floraison de l’espèce Somei Yoshino au printemps, parcourt tout le pays, du sud au nord, en un mois environ. À certains moments progressant lentement, à d’autres à toute vitesse. On obtient cette ligne en reliant tous les endroits où la floraison des cerisiers de cette variété en est à la même étape. La pleine floraison est atteinte généralement en 5 à 10 jours. Dans le Kyûshû, le Shikoku et à Tokyo, la floraison commence généralement fin mars. Fin avril, le front des cerisiers franchit le détroit de Tsugaru, qui sépare la préfecture d’Aomori et Hokkaidô. Mais d’autres variétés, comme la variété sauvage yamazakura, fleurit fin février dans les régions à climat doux comme le Kyûshû. Ou, pour le dire autrement, le printemps arrive avant mars dans le Kyûshû.
« On divise les variétés en gros en deux catégories : les variétés sauvages, et les cultivars de jardins. 9 espèces de cerisiers sauvages existent au Japon, parmi lesquelles yamazakura, Ôshima-zakura, Edo higan, 10 espèces si vous ajoutez l’espèce endémique d’Okinawa : kan-hizakura. En Chine, on compte environ 30 espèces sauvages. Mais à mon avis, c’est grâce aux très nombreux cultivars créés, cultivés et préservés au Japon que les cerisiers sont si connus dans le monde entier. Je suis persuadé que c’est parce que les Japonais ont toujours chéri intensément ces arbres, touchés par leur grâce et leur impermanence qu’ils ont pu créer tant de variétés. »
Or, on peut remarquer qu’à l’époque de Nara (710-794), quand la culture importée de Chine était dominante, la fleur par excellence, dans les poésies waka, par exemple, était la fleur de prunier, et non pas la fleur de cerisier. C’est pendant l'époque de Heian (794-1185) que la beauté de la fleur de cerisier est reconnue et apparaît pour la première fois dans la poésie comme dans la littérature narrative ou les rouleaux peints. Plus tard, durant l’époque de Muromachi (1336-1573), l’époque des provinces combattantes, la fleur de cerisier est définitivement devenue la fleur essentielle dans la culture japonaise. Durant l'époque d’Edo (1603-1868), on améliore les variétés de cerisier, pour aboutir, à la fin de cette priode, à la création de la variété Somei Yoshino. Robuste, de grande taille, avec une floraison superbe, il a rapidement été planté dans tout le pays, et c’est cette variété qui a accompagné le mouvement culturel qui ferait qu’aujourd’hui, la fleur de cerisier symbolise à elle seule le Japon.
Comment trouver son cerisier favori
Vous cherchez votre « coin » idéal pour contempler les cerisiers ? Le guide des « 100 plus beaux sites des cerisiers en fleurs », édité en 1990, vous sera très utile. À Tokyo, le fameux parc d'Ueno, ou bien le parc de la Sumida, existant depuis l’époque d’Edo, ou encore le parc de Koganei, qui compte 1 700 arbres de 50 variétés différentes, rallient les plus nombreux suffrages.
Pour une telle sélection, les critères de d’appréciation sont loin d’être subjectifs : harmonisation des cerisiers avec l’environnement, aménagement et amélioration du paysage naturel par leur présence, système de gestion et d’entretien, etc. l’Association japonaise pour les cerisiers a également édité un autre titre : « 50 lieux hors-catégorie pour admirer les cerisiers », qui recommande 50 lieux supplémentaires. Enfin, sur le site de l’association, figure également une présentation concernant « D’autres lieux remarquables pour la contemplation des cerisiers », en particulier ceux dont la cote est montée depuis 1990. Nous ne saurions trop vous recommander de visiter leur site…
Et puisqu’un certain nombre de touristes étrangers viennent maintenant au Japon spécialement pour la saison des cerisiers, quelle serait la meilleure façon d’en profiter ?
« Ce que recherche les Japonais, ce n’est pas uniquement apprécier la beauté des cerisiers en fleurs, mais aussi se délecter de l’ambiance du lieu. C’est ça la véritable culture du hanami. C’est tout le mode de vie autour des cerisiers qui les rend si splendides, et non pas uniquement leurs pétales de fleurs. Et puis, est-ce que vous pensez que c’est la célébrité d’un parc qui fait la beauté d’un cerisier ? Observez les cerisiers de votre quartier. Le matin tôt, ou à la nuit tombée, la vue que vous offre chacun d’entre eux change avec le moment de la journée et la lumière. Il n’y en a peut-être qu’un près de chez vous, mais c’est amplement suffisant pour qu’il devienne votre cerisier à vous, et que son souvenir devienne le plus beau cadeau que vous ramènerez du Japon. »
(Texte : Abe Manami. Photos : Kodera Kei. Photo de titre : les cerisiers de la rivière Meguro, à Tokyo. Reportage réalisé avec la collaboration de l’Association japonaise pour les cerisiers)