Les nouvelles forces politiques en voie d’émergence au Japon
Hashimoto Tôru, un monstre médiatique
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Introduction
Sakai Kazunari (membre du comité de Nippon.com)
Contexte politique du Japon
La politique au Japon après la Seconde Guerre Mondiale est en réalité restée figée dans le schéma du Parti libéral-démocrate (PLD) comme parti au pouvoir à partir de 1955 et du Parti socialiste du Japon comme premier parti d’opposition. Ce qu’on a appelé « le système politique de l’année 1955 », avec le PDL au pouvoir de manière continue, s’est ainsi poursuivi pendant de longues années. Mais dans les années 90, avec l’éclatement de l’économie de bulle financière et la disparition des structures de la guerre froide sur le plan international, un engouement pour les nouveaux partis apparaît au Japon. (...) plus
Qui au juste est Hashimoto Tôru, le maire d’Osaka ? Voilà une question que tous les organes des médias japonais tentent d’élucider. Est-ce un authentique réformateur ou un démagogue d’une trempe exceptionnelle ? Va-t-il brûler comme un feu de paille ou a-t-il l’envergure d’un futur premier ministre ? Son image de politicien hors normes lui a valu ici et là d’être considéré comme un monstre. Ce qu’on peut dire sans crainte de se tromper, c’est que l’histoire de la vie politique japonaise n’a pas gardé le souvenir de beaucoup de dirigeants locaux qui aient fait autant de bruit.
Toujours un œil sur les médias
C’est en février 2008, à l’âge de 38 ans, que M. Hashimoto est devenu gouverneur de la préfecture d’Osaka — la seconde du pays par la taille de son économie. Depuis lors, il n’a jamais cessé de faire parler de lui. Comment expliquer cela ? Ma présence parmi les journalistes qui s’attachent à suivre ses faits et gestes m’autorise à proposer une réponse, à savoir sa relation avec les médias.
« Sans les médias », a déclaré M. Hashimoto, « un homme comme moi ne pourrait pas exister en tant que politicien. Si les médias me tournaient le dos, c’en serait fini de moi. » Ce qui suggère qu’il pense constamment à faire en sorte que les médias continuent de s’occuper de lui. Révélateur à cet égard est le double scrutin qui s’est tenu en novembre 2011 pour désigner le gouverneur de la préfecture d’Osaka et le maire de la ville du même nom. M. Hashimoto a révélé qu’à cette occasion sa stratégie a consisté à calculer comment forcer l’attention des médias.
M. Hashimoto a fondé sa campagne au poste de maire d’Osaka sur un appel à la « revigorisation » d’Osaka grâce à la fusion de l’autorité préfectorale et municipale en une unique instance métropolitaine sur le modèle de celle qui est en place à Tokyo. Le maire sortant était hostile à l’idée de « métropole d’Osaka » et c’est ce qui a décidé M. Hashimoto à démissionner de son poste de gouverneur pour se présenter contre lui au scrutin de novembre 2011 et tenter de l’évincer du poste de maire, pourtant subalterne. D’où le double scrutin — le premier de ce genre depuis 40 ans à Osaka — en vue de désigner le nouveau maire et pourvoir le siège vacant de gouverneur.
M. Hashimoto a obtenu d’un de ses proches alliés, Matsui Ichirô, membre de l’assemblée préfectorale, qu’il se porte candidat au poste de gouverneur, tandis que lui-même tentait d’emporter la mairie. Face à l’opposition de tous les grands partis politiques à l’exception du Kômeitô, M. Hashimoto a veillé à donner l’impression que lui-même et M. Matsui représentaient le camp de la réforme, tandis que les partis en place et ses adversaires incarnaient la réaction. Les deux hommes ont été portés vers la victoire par le déferlement de mécontentement et d’espoirs de changement suscité chez les électeurs par la crise économique prolongée et la stagnation de la vie politique au niveau national.
Peut-on comparer M. Hashimoto au premier ministre Koizumi ?
La réussite des manœuvres de M. Hashimoto en vue de remporter le double scrutin a renforcé son influence. Il a annoncé que le parti local qu’il dirige — l’Osaka Ishin no Kai, ou Association pour la restauration d’Osaka (connu aussi sous le nom de « un seul Osaka ») — présenterait des candidats à l’élection à la Chambre des représentants, la Chambre basse de la Diète. Quand l’Ishin Seiji Juku (Académie de politique pour la restauration) a été fondée en vue de préparer une liste de 400 candidats, elle a reçu 3 326 postulations, dont 2 045 ont été retenues, et l’académie politique a commencé à donner des conférences en mars 2012. Il est prévu de réduire l’effectif à 888, avec pour critère les positions prises par les postulants lors des cinq séries de conférences ainsi que leur capacité à lever des fonds pour la campagne. À partir du mois de juillet, ceux qui seront retenus devront ensuite se soumettre à une formation pratique, où on les préparera notamment à prendre la parole dans la rue. Les grands partis considèrent celui de M. Hashimoto comme une menace. En sus des textes de loi qu’ils préparent pour mettre en œuvre le concept de métropole d’Osaka, ils cherchent à nouer des alliances avec M. Hashimoto pour les prochaines élections législatives.
L’ascension de M. Hashimoto rappellera peut-être à certains celle du premier ministre Koizumi Junichirô (2001-2006), qui a déclaré qu’il allait « détruire » le Parti libéral-démocrate (PLD), le parti au pouvoir dont il était le président, et convoqué en août 2005 des élection législatives générales pour lesquelles il a désigné des candidats « assassins » chargés d’éliminer les vétérans qui s’étaient opposés à son projet de privatisation des services postaux. À l’instar de M. Koizumi, M. Hashimoto a opté pour une tactique de campagne consistant à instaurer un climat de confrontation brutale entre deux positions clairement antagonistes, et il partage avec M. Koizumi le talent de délivrer son message sous forme de formules à l’emporte-pièce. Les deux hommes ont aussi en commun une forme de charisme qui leur permet d’attirer vers eux des foules de fidèles supporters. Mais M. Koizumi était un vétéran chevronné de la politique des clans à l’intérieur du PLD et c’est au sommet de sa carrière politique, alors qu’il était premier ministre, qu’il a capté l’attention des médias, alors que M. Hashimoto a surgi soudainement, sans aucune expérience politique, et a effectué sa percée en misant tout sur les médias. D’ailleurs, c’est encore un jeune politicien, puisqu’il n’a que 43 ans.
M. Koizumi a été le premier premier ministre à répondre deux fois par jour aux questions d’une équipe de journalistes chargés de couvrir ses faits et gestes. J’ai moi-même fait partie de cette équipe lorsque je travaillais à Tokyo. Ces séances ne duraient en général que quelques minutes, rarement plus de dix, et il arrivait fréquemment qu’elles soient interrompues alors que les journalistes étaient encore en train de poser des questions. M. Hashimoto a repris à son compte cette même routine, mais contrairement à M. Koizumi, il attend que les journalistes en aient fini avec leurs questions et les séances peuvent durer jusqu’à une heure. Il donne en outre chaque semaine une conférence de presse programmée à l’avance, au cours de laquelle il n’est pas rare qu’il parle pendant près de deux heures d’affilée. Cette ouverture aux questions se double d’une attention méticuleuse à la couverture que lui accordent les médias. Le matin, il passe en revue tous les grands quotidiens dans la voiture qui l’emmène au travail, et le soir il regarde des enregistrement des actualités télévisées. S’il n’est pas content de la façon dont on parle de lui, il se plaint immédiatement sur Twitter, en citant nommément l’organe des médias et le journaliste mis en cause.
En février 2012, un haut responsable du Parti démocrate du Japon a suscité un tollé en interdisant l’accès de ses conférences de presse à un groupe de presse qui avait publié un article qui lui avait déplu. « À sa place », a remarqué M. Hashimoto, « j’aurais fait venir le journaliste [à ma conférence de presse] et je l’aurais assaisonné. » Je ne connais aucun autre politicien pareillement obsédé par les médias.
La réforme budgétaire, première pièce au répertoire de M. Hashimoto
Avant de devenir gouverneur de la préfecture d’Osaka, M. Hashimoto exerçait le métier d’avocat. Avec ses cheveux teints et les T-shirts et les jeans qu’il portait même au tribunal, il avait une allure peu conventionnelle. Il a expliqué que cela faisait partie d’une stratégie de vente conçue pour laisser une forte impression sur les clients potentiels. Cette attitude, ajoutée à son ardeur au travail, lui a permis d’ouvrir son propre cabinet d’avocat à l’âge de 28 ans, à peine un an après avoir été admis au barreau — une prouesse comparée au dix ans qu’il faut en général pour en arriver là. Après quoi il s’est rapidement taillé une réputation de spécialiste des négociations à l’amiable.
Les talents hors normes de M. Hashimoto ne sont pas passés inaperçus et, quand il a commencé à apparaître à la télévision comme commentateur, il est très vite devenu une vedette, servi par la fascination que le contraste entre son allure désinvolte et l’image collet monté qui s’attache à la profession de juriste exerçait sur les spectateurs. Sakaiya Taichi, un célèbre écrivain d’Osaka, l’a remarqué et l’a encouragé à se porter candidat aux élections pour le poste de gouverneur d’Osaka. Telle est, en raccourci, l’histoire de sa carrière jusqu’à son entrée en politique.
Pour comprendre M. Hashimoto, il est important de prendre en considération son expérience en tant que personnalité de la télévision. Comme il le dit lui-même, la télévision est un média où « vous ne touchez les spectateurs que si vous avez une marque de fabrique à tout casser ». Les commentateurs doivent faire des déclarations claires et simples sur des sujets complexes et parfois choquer le public en formulant des opinions extrêmes. L’ambiguïté n’est pas de mise et le message passe d’autant mieux que les choses sont présentées en noir et blanc. Les comportements qu’il a appris à la télévision, M. Hashimoto les a emportés avec lui dans le monde de la politique. Il a transformé la politique et l’administration en une sorte de théâtre. Loin de s’arrêter aux campagnes électorales, la scène de ce théâtre s’étend aux réunions ordinaires et au processus décisionnel. En affichant ce côté théâtral dans les médias, il s’est créé à la fois des partisans et des adversaires, et il a mis en scène le spectacle de la confrontation.
La première « pièce » qu’il a ainsi orchestrée a été sa campagne de redressement des finances de la préfecture d’Osaka. Il y a de cela quatre ans, quand il a accédé au poste de gouverneur, la préfecture, criblé de dettes à hauteur de quelque 6 000 milliards de yens, arrivait en deuxième position dans le classement des 47 préfectures du Japon selon la gravité du resserrement budgétaire (absence de marges financières). Le jour de son entrée en fonction, le nouveau gouverneur s’adressa au personnel placé sous ses ordres en ces termes : « Cette préfecture est une entreprise en faillite. Vous êtes tous les employés d’une entreprise en faillite. » Cette formule médiatique a réussi à faire passer le message que la réforme budgétaire était indispensable. M. Hashimoto a en outre pris la décision surprise de mettre au rancart le projet de budget, quasiment achevé, de l’exercice qui commençait en avril 2008, remplacé par un budget provisoire couvrant la période avril-juillet, et de concocter un plan de réforme radical pour cet intervalle de quatre mois.
La principale mesure de la réforme budgétaire de M. Hashimoto consistait à réduire les salaires des quelque 90 000 employés de la préfecture, dans des proportions allant de 3,5 % à 16 % selon les postes. À cela s’ajoutait une baisse de 5 % des allocations de retraite, la première de ce genre dans tous les préfectures du pays. Le syndicat des employés de la préfecture a eu beau protester, M. Hashimoto a contre-attaqué en exigeant que les négociations, qui se déroulaient jusque-là à huis clos, soient publiques et, lorsqu’un délégué syndical a dit « cela dépasse les limites de ce que nous pouvons accepter », il lui a répondu « dans une entreprise du secteur privé qui n’arrive pas à joindre les deux bouts, on licencie le personnel ». La retransmission de cet échange sur les médias a provoqué une avalanche de messages du public — dont une immense majorité favorables à M. Hashimoto — destinés aux membres de l’assemblée préfectorale, qui débattait des propositions de réductions. M. Hashimoto a savamment surfé sur la vague du ressentiment de la population à l’égard des fonctionnaires préfectoraux, qui jouissaient de la sécurité de l’emploi alors que la crise économique prolongée provoquait des coupes sombres dans les effectifs du secteur privé. On est en droit de dire que le gouverneur a attisé cette amertume et l’a détournée en sa faveur.
Les « esclaves » du gouvernement central
Comment faire passer le message dans les médias ? C’est avec cette question en tête que M. Hashimoto a concocté le répertoire de formules percutantes qui lui a permis de faire bouger les choses. Exemplaire à cette égard est l’attaque qu’il a lancée contre le dispositif de partage des coûts au titre duquel les autorités locales paient une partie des dépenses de travaux publics engagées par le gouvernement central, entre autres pour l’entretien des routes et les projets d’amélioration des voies d’eau traversant leur territoire. En 2008, quand M. Hashimoto a accédé au poste de gouverneur, Tokyo se contentait d’envoyer aux autorités locales des factures stipulant les montants qui leur incombaient sans fournir de ventilation détaillée, une façon de procéder qui suscitait une profonde irritation dans les collectivités locales. En février 2009, M. Hashimoto a braqué les projecteurs sur ce problème en annonçant que la préfecture allait refuser d’inclure une partie des coûts en question au budget du prochain exercice. Après quoi il se rendit à Tokyo pour y rencontrer le ministre du Territoire, de l’Infrastructure et des Transports, qui est en charge de ce dispositif. Pendant le bref moment où les journalistes et les caméras furent admis dans la salle de réunion, M. Hashimoto proféra cette tonitruante déclaration : « Les régions [les collectivités locales] sont les esclaves du pays [le gouvernement central]. Je demande l’émancipation des esclaves. » L’usage du mot esclave assura une large diffusion de l’avis du gouverneur sur les problèmes inhérents au dispositif en vigueur. Un mois plus tard, une remarque qu’il fit sur le même sujet devant une commission du gouvernement central fit encore plus de remous. Le gouvernement central, déclara-t-il en l’occurrence, était « semblable à un bottakuri bar » — un bar qui présente des additions phénoménales à ses clients. Le problème existait depuis longtemps et l’Association nationale des gouverneurs réclamait depuis 1959 l’abolition du dispositif, mais les gouverneurs n’insistaient pas assez vigoureusement pour obtenir satisfaction, en partie par crainte que Tokyo ne lésine sur les travaux publics dans leurs préfectures respectives. Tout cela a changé avec la déclaration de M. Hashimoto. L’un après l’autre, les gouverneurs ont exprimé leur accord et les pressions exercées par les régions ont provoqué au niveau national des changements qui ont débouché en 2010 sur une abolition partielle du dispositif en question.
M. Hashimoto s’en est également pris aux conseils de l’enseignement préfectoraux et municipaux. Lors de l’évaluation des résultats des élèves des écoles primaires et des écoles secondaires du premier cycle menée à l’échelle de la nation pour l’exercice budgétaire 2008, les conseils de l’enseignement ont publié les résultats ventilés par préfectures, mais pas par communes ou établissements, sous prétexte que cela équivaudrait à établir un « classement ». M. Hashimoto, qui est le père de sept enfants, a profité d’un passage à la radio pour exprimer son point de vue de père de famille, employant une épithète désobligeante (kuso) pour qualifier les conseils et appelant la population à protester. Il a également traité d’« idiots » (baka) les fonctionnaires du ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie (en charge de la coordination nationale des conseils de l’enseignement), et ce devant la presse. En employant ouvertement des mots vulgaires comme kuso et baka, qu’on ne s’attend guère à entendre dans la bouche d’un représentant de l’autorité, il a suscité un tollé, mais son appel à la publication des informations a été très apprécié des parents d’élève et, dès l’année suivante, les conseils de l’enseignement de la préfecture d’Osaka se sont inclinés et ont pris la décision de principe de publier les résultats ventilés par communes.
La personnalité de M. Hashimoto ne fait pas l’unanimité, mais tout le monde reconnaît l’énergie qu’il déploie pour étudier les dossiers dont il s’empare. On dit qu’il est sans rival pour sa façon de disséquer les politiques et les instances qui les mettent en œuvre, d’en débattre et de les appréhender. Comme en témoignent le cas du dispositif de partage des dépenses de travaux publics et celui des conseils de l’enseignement, ses déclarations radicales ne se résument pas à des insultes ; il ne laisse passer aucune carence ni aucun dysfonctionnement du système japonais et le secret de la séduction de ses propos réside dans leur dureté même.
Des économies réalisées au nom de la volonté du peuple
Le style de M. Hashimoto, qui consiste essentiellement à envoyer et recevoir des messages par le biais des médias, le conduit naturellement à adopter des modes de comportement fondés sur les désirs du public et conçus pour obtenir le soutien de celui-ci. Ainsi, lorsque, à peine élu gouverneur d’Osaka, il met de côté ses engagements électoraux pour se focaliser sur les baisses de coûts, c’est parce qu’il estime que cette décision est conforme à la volonté populaire.
Outre la réduction des salaires des employés de la préfecture mentionnée plus haut, le programme triennal de redressement budgétaire adopté par le nouveau gouverneur au début de l’exercice 2008 prévoyait une réduction des dépenses de travaux publics, une baisse de 10 à 25 % des subventions accordées aux écoles privées et la fermeture ou la privatisation de 9 des 28 centres culturels, sportifs ou autres destinés principalement aux habitants de la préfectures. Les victimes directes de ces réductions budgétaires ont protesté vigoureusement, mais, comme cela avait été le cas avec les syndicats, les confrontations, diffusées dans le public, entre M. Hashimoto et ses adversaires ont presque toujours tourné à l’avantage du gouverneur, qui a su mettre à contribution tant son expérience du débat liée à son passé d’avocat que la « volonté du peuple » filtrée par les médias.
Confronté à la forte opposition suscitée par son projet de réduire de 400 millions de yens l’enveloppe accordée à l’orchestre symphonique préfectoral, M. Hashimoto a rétorqué sans plus de façons que « les fonctionnaires et les hommes d’affaires se donnent des airs cultivés en parlant de l’orchestre, mais la culture du comique [le manzai et le rakugo] est mieux enracinée à Osaka ». M. Hashimoto se proclame lui-même « inculte » et son parti pris d’efficacité l’amène parfois à faire des réflexions sur la tradition ou la culture qui confirment son ignorance en ce domaine. Cet aspect de sa personnalité est véritablement problématique. Mais il n’en pose pas moins une question fondamentale lorsqu’il demande : « Jusqu’où allons nous protéger la culture avec l’argent public et quel genre de culture sommes-nous censés protéger ? » Finalement, il a été décidé que l’orchestre deviendrait financièrement autonome et se passerait de subvention de la préfecture. M. Hashimoto est arrivé à ses fins en insistant sur les réductions des coûts et, tout au long de son mandat de gouverneur, sa cote de popularité s’est maintenue à 70-80 %.
De l’avantage d’être la première source d’information du département
M. Hashimoto a également entrepris de réduire les coûts de l’assemblée préfectorale. En prévision des élections locales du printemps 2011, l’Association pour la restauration d’Osaka a réussi à faire passer une baisse de 30 % des indemnités perçues par les membres de l’assemblée, ce qui les a ramenées au niveau le plus bas enregistré dans la totalité des préfectures du pays. Et pendant la campagne électorale, le parti s’est engagé à opérer une coupe de 20 % dans les effectifs des membres de l’assemblée. À l’issue du scrutin, qu’il a remporté haut la main, le parti est immédiatement passé à l’acte. Malgré les nombreuses voix qui se sont élevées pour regretter que cette mesure n’ait pas été suffisamment débattue avant d’être appliquée, la résolution qui a présidé à sa mise en œuvre, décidée par des membres de l’assemblée qui n’ignoraient pas qu’elle allait coûter leur siège à quelques uns d’entre eux, a été un facteur déterminant dans le succès remporté par M. Hashimoto lors du double scrutin qui s’est tenu un peu plus tard dans la même année. L’attitude adoptée en l’occurrence par l’Association pour la restauration d’Osaka se situe à l’opposé des comportements affichés au niveau national par les partis politiques, qui parlent abondamment de réduire les rémunérations des parlementaires mais se gardent bien de passer à l’acte. La fidélité à la parole donnée constitue en fait l’une des raisons de la popularité du mouvement de M. Hashimoto au niveau national.
Il convient toutefois de faire montre d’une extrême prudence lorsqu’il s’agit d’évaluer le programme de réforme de M. Hashimoto. Il faut savoir, par exemple, que, s’il a réalisé 300 milliards de yens d’économies sur le budget de la préfecture pendant ses trois premières années au poste de gouverneur, la dette de la préfecture, qui s’élevait à 5 828,8 milliards de yens avant son entrée en fonction, a atteint 6 073,9 milliards pour l’exercice 2010. La chute, due à la crise économique, des sommes collectées au titre de l’impôt sur les sociétés a annulé les gains liés à la réduction des coûts, alors même que la préfecture se débattait sous le lourd fardeau de l’endettement généré par le recours excessif aux émissions d’emprunts publics pour financer dans le passé les grands projets de travaux publics.
En tant que journaliste, je me dois de reconnaître que les médias japonais ont tendance à mettre en vedette le spectacle des confrontations qui se déroulent devant leurs yeux et les messages qui en émanent, mais qu’ils se dispensent en général de vérifier soigneusement les informations divulguées. À Osaka, où l’éventail des sources d’informations est beaucoup plus réduit qu’à Tokyo, M. Hashimoto, avec son modèle présidentiel de processus décisionnel fonctionnant de haut en bas, constitue la source privilégiée du discours médiatique, et l’actualité se focalise fréquemment sur ses déclarations du jour ou ses projets du lendemain. La puissance de M. Hashimoto se nourrit à l’évidence de cette culture médiatique.
Des réformes basées sur le culte de la compétition
Pour bien comprendre la politique de M. Hashimoto, il me semble essentiel de la considérer depuis deux perspectives. La première est son culte de la compétition. Élevé par une mère célibataire jusqu’à l’âge de quatorze ans, il a effectué le premier cycle de ses études secondaires dans une école où sévissait la violence, pour entrer ensuite dans un des lycées les plus prestigieux d’Osaka. Après quoi il s’est taillé une place au sein du barreau et dans le milieu de télévision grâce à son seul talent et à sa force de travail.
Fort d’un tel pasé, il croit fermement en l’efficacité de la compétition, et il applique cette croyance au monde de la politique. C’est ainsi qu’il a fourni l’impulsion qui a permis à l’assemblée préfectorale de prendre en mars 2012 des arrêtés — l’un concernant les employés de la préfecture et deux autres l’éducation — qui renforçaient considérablement la sévérité des conditions de travail. Le nouveau système d’évaluation du personnel préfectoral a entraîné une forte augmentation des attributions de la note la plus basse — d’environ 1 sur 2 000, le nombre des employés concernés est passé à 1 sur 20, et ceux à qui cette note est attribuée deux années consécutives risquent d’être révoqués et contraints de suivre une formation de rattrapage.
Quant aux nouveaux arrêtés sur l’éducation, ils prévoient d’améliorer la qualité de l’enseignement en renforçant la compétition entre enseignants et entre écoles. Mais cela a eu un impact négatif sur le recrutement : parmi les candidats qui se sont présentés en 2012 à l’examen pour un poste d’enseignant dans les écoles publiques d’Osaka, le pourcentage de ceux qui ont été reçus mais ont refusé leur poste a été de trois à quatre points de pourcentage plus élevé que d’ordinaire, le pire chiffre jamais enregistré. On a comparé les nouvelles mesures à la loi « Aucun enfant laissé derrière », un texte vivement critiqué adopté aux États-Unis sous le présidence de George W. Bush, et il va falloir faire montre d’une grande prudence dans leur application.
La seconde perspective à prendre en compte pour comprendre M. Hashimoto est son goût pour la réforme des systèmes, des organisations et des procédures. Le concept de métropole d’Osaka, dont M. Hashimoto fait actuellement la promotion, de concert avec le gouverneur Matsui, incarne le noyau dur de ses idées sur la réforme des systèmes : la ville d’Osaka et le département, qui ont des pouvoirs comparables, doivent fusionner de façon à éliminer les redondances en termes de moyens et de programmes, et la métropole d’Osaka doit être mise sur pied en tant que nouveau montage chargé de l’administration de la région, tandis que des organes plus proches de la population se chargeront des questions plus basiques. Et le nouveau programme en huit points (« huit axes de politique pour Restauration ») annoncé le 5 juillet 2011 par l’Association pour la restauration d’Osaka en vue de présenter des candidats aux prochaines élections nationales à la Chambre des députés propose une liste de changements concernant les principaux dispositifs en vigueur au Japon, avec notamment un regroupement des préfectures en blocs régionaux de plus grande taille, l’élection directe du premier ministre et la réforme de la Chambre des conseillers (la Chambre haute de la Diète) — une « grande remise à zéro » selon la formule claironnée par le parti.
Une réforme que les médias doivent suivre de près
Le sentiment de stagner a gagné la société japonaise d’aujourd’hui, qui se dirige lentement vers un déclin nourri par les vagues de la mondialisation. Tant que les politiciens à l’échelon national se montreront incapables de proposer des réformes fondamentales, l’influence exercée par M. Hashimoto a de bonnes chances de se perpétuer. Pour le moment, il nie toute intention de se lancer dans une carrière politique au niveau national(*1), mais tant que la Diète continuera d’être la proie d’interminables querelles politiques, des voix vont immanquablement s’élever pour l’appeler à prendre les rênes du gouvernement. Certains politiciens de Tokyo parlent de réponse passive à M. Hashimoto — tenir bon et attendre que sa fraîcheur s’épuise — mais compte tenu de la nature de sa popularité, ce serait un vœu pieux que de croire que les partis en place puissent se contenter d’attendre qu’une telle carrière ait atteint sa date de péremption.
Reste que, lorsqu’il emploie l’expression « grande remise à zéro » comme si c’était une formule magique ou qu’il colporte l’illusion qu’il suffirait de changer nos systèmes pour que la société change radicalement, M. Hashimoto me dérange. Et je ne peux pas m’empêcher de voir un danger dans sa façon d’enfourcher un cheval de bataille après l’autre en s’attaquant à chaque fois à de nouveaux adversaires et en déchaînant la fureur.
Si l’on prend, par exemple, l’introduction des circonscriptions à siège unique dans les années 1990 pour les élections à la Chambre des représentants, elle était censée favoriser le recentrage de la bataille électorale sur les questions politiques. Cela a-t-il vraiment marché ? Et nous avons assisté à un certain nombre de flambées de popularité parmi les hommes et les mouvements politiques, tel l’engouement pour la socialiste Doi Takako à la fin des années 1980 ou pour le premier ministre Hosokawa Morihiro (1993-1994) et son Nouveau parti du Japon au début des années 1990, sans parler de l’enthousiasme avec lequel le changement de majorité a été accueilli en 2009. Les vagues successives d’excitation politique ont été suivies de réformes de quelques dispositifs et systèmes politiques. Mais nous ont-elles laissé le sentiment que quelque chose s’était amélioré dans la vie politique japonaise ?
Hashimoto Tôru est indiscutablement un homme d’un talent exceptionnel. Mais nous devons tirer les leçons de l’histoire. Nous devons examiner à la loupe ses déclarations de tous les jours, les décisions politiques qu’il enchaîne l’une après l’autre et les résultats qu’il obtient. Nous devons pour cela nous armer de patience et d’impartialité. Telle est notre responsabilité en tant que membres des médias qui ont enfanté ce « monstre » d’aujourd’hui.
(D’après un original en japonais. Photographie en arrière plan du titre avec la permission de Jiji.)
(*1) ^ M. Hashimoto a fondé le 28 septembre un parti national, Nippon ishin no kai (Parti de la Restauration du Japon) et est devenu son premier président.
Contexte politique du Japon
Sakai Kazunari (membre du comité de Nippon.com)
La politique au Japon après la Seconde Guerre Mondiale est en réalité restée figée dans le schéma du Parti libéral-démocrate (PLD) comme parti au pouvoir à partir de 1955 et du Parti socialiste du Japon comme premier parti d’opposition. Ce qu’on a appelé « le système politique de l’année 1955 », avec le PDL au pouvoir de manière continue, s’est ainsi poursuivi pendant de longues années. Mais dans les années 90, avec l’éclatement de l’économie de bulle financière et la disparition des structures de la guerre froide sur le plan international, un engouement pour les nouveaux partis apparaît au Japon. En 1993, un gouvernement de coalition est formé par M. Hosokawa, principalement autour du Nouveau Parti du Japon, qui détrône ainsi pour la première fois depuis 38 ans le PDL et met fin au système de 1955. Toutefois, le nouveau gouvernement de coalition formé l’année suivante, en 1994, sous la direction de M. Murayama, regroupe trois partis dont le PDL et remet celui-ci sur la scène politique. D’autre part, la révision de la loi sur les élections publiques permet de mettre en place le système de petites circonscriptions et de représentation proportionnelle lors des élections de la Chambre des représentants en 1996, dans l’objectif de faciliter le passage vers un système politique bipartite et un changement de gouvernement.
En 2009, le Parti démocrate du Japon (PDJ), regroupant les forces d’opposition au PDL, bat celui-ci à plates coutures et le système bipartite prend son application dans la vie politique japonaise qui est dominée par deux grands partis, le PDL et le PDJ. Toutefois, sous le gouvernement du PDJ, le cabinet Hatoyama provoque des remous aussi bien sur le plan intérieur que sur le plan diplomatique avec sa position sur le transfert de la base militaire américaine de Futenma à Okinawa et il est contraint de démissionner en moins d’un an. Le gouvernement de Kan qui lui succède se termine un an et trois mois plus tard, alors que le pays se hâte de mettre en place les mesures pour le grand tremblement de terre de l’Est du Japon et le gouvernement Noda, formé en septembre 2011, ne parvient pas à faire remonter un taux de popularité au plus bas.
Si le passage vers un système bipartite a été accompli, la gestion politique reste entravée par les conflits internes du Parti démocrate. En outre, le Parti libéral-démocrate est majoritaire au Sénat et, avec le parlement divisé, le gouvernement du PDJ ne peut prendre aucune initiative majeure. Malgré le changement de gouvernement qui a pu être accompli grâce au système bipartite, le public japonais est de plus en plus désillusionné de voir les luttes intestines du Parti démocrate freiner ses gouvernements successifs, alors qu’au Sénat, ce même Parti ne peut faire aucune avancée (puisque le PDL est parti majoritaire dans un parlement divisé). Par ailleurs, le PDL, devenu le premier parti d’opposition, n’a pas été capable de faire preuve de suffisamment de présence pour attirer à lui le soutien populaire perdu par le PDJ. Avec la mise à jour du dysfonctionnement aussi bien du parlement que du système bipartite, le soutien du public pour les partis existants, et principalement les deux grands partis, est ajourd’hui en chute libre.
Positionnement de Hashimoto Tôru en tant qu’homme politique
C’est dans ce contexte de désillusion vis-à-vis des deux grands partis politiques que Hashimoto Toru, avocat de profession, a commencé à bénéficier du soutien du public en tant qu’homme politique. Il est considéré pour cette raison, soit comme un récupérateur des frustrations par rapport aux partis existants, soit comme un rassembleur des espoirs, capable de former un troisième parti faisant pendant aux deux institutions en place.
Les méthodes politiques qu’il emploie, en tant que gouverneur d’Osaka à partir de 2008 puis en tant que maire d’Osaka en 2011, planifiant lui-même son apparition dans les médias et se concentrant sur des points attirant facilement l’attention du public, comme les finances ou l’éducation, dans une mise en scène faisant du gouvernement en place l’ennemi, font dire de lui qu’il pratique une version japonaise du populisme.
Il est également possible de dire que la base de la popularité de Hashimoto provient du désintérêt du public (apathie politique) au vu du fait que le pourcentage de participation lors des différentes élections au Japon est en diminution récemment. En d’autres termes, Hashimoto est soutenu par tous ceux qui, sans faire l’effort de comprendre des problèmes politiques complexes, ont un espoir infondé sur le plan solutionnel dans un « homme qui semble capable de changer la situation actuelle » pleine de frustrations et de craintes, les mesures prises n’ayant qu’une importance secondaire. M. Hashimoto cristallise des attentes fondées sur une position politique relativement claire, d’obédience néo-libéraliste, prônant entre autres l’annulation des règles, la radicalisation des responsabilités personnelles et la promotion de la compétition.
La montée en force de M. Hashimoto peut également être considérée, au vu du processus de son ascension à la fonction de maire d’Osaka jouissant d’un soutien très élevé des habitants et de sa volonté farouche de créer une « métropole d’Osaka », par opposition à la politique nationale prenant pour centre la capitale Tokyo, comme le symbole de la politique régionale dans la seconde plus grande ville du Japon.