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La pêche au cormoran, une tradition millénaire qui annonce l’arrivée de l’été au Japon
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Une activité très ancienne
La ville de Gifu, dans la préfecture homonyme, est située à environ 30 kilomètres au nord-nord-ouest de Nagoya, dans la préfecture voisine d’Aichi. Quand le soleil se couche et que les environs s’assombrissent, une fusée d’artifice est lancée dans le ciel, reflétée par la surface de la rivière Nagara. C’est le signal que la pêche au cormoran (ukai) commence.
Dans la préfecture de Gifu, sur la Nagara, la pêche au cormoran se pratique directement sur les bateaux qui descendent la rivière. Les cormorans, qui ont la gorge bloquée par un cordon, sont lâchés sur la rivière et plongent. Le poisson, qui se cache sous les pierres au fond de la rivière, affolé par la lumière du feu suspendu au bout d’une perche, sort de sa cachette. C’est le moment propice au cormoran pour attraper sa proie et le mettre en bouche. Mais, le cordon que le pêcheur lui a passé autour du cou l’empêche de l’avaler complètement. Le maître-cormoran (ujô) rappelle alors son oiseau et lui fait rendre son poisson.
L’ujô fait rendre son poisson à son cormoran.
Douze endroits au Japon perpétuent la tradition de la pêche au cormoran de nos jours. Ils sont tous pour l’essentiel situés dans l’ouest du Japon, le lieu le plus oriental étant celui de la rivière Fuefuki dans la préfecture de Yamanashi. La pêche au cormoran dans la rivière Nagara, pour sa part, possède une histoire de près de 1 300 ans. Mais cette technique de pêche date de bien plus longtemps ! Les plus anciens textes écrits du Japon, compilés au VIIIe siècle, comme le Kojiki (« Chronique des faits anciens ») ou le Nihon shoki (« Annales ou Chroniques du Japon »), la mentionne déjà, et le Livre des Sui, un livre de l’histoire paru au début du VIIe siècle, fait état d’une pratique de la pêche au cormoran au Japon dès cette époque.
Les rues aux alentours de la rivière Nagara, dans la ville de Gifu, où se pratique encore la pêche au cormoran, gardent encore le cachet du bon vieux temps.
Au regard de l’histoire mondiale, une brique datant du Ier ou du IIe siècle et présentant une illustration qui ressemble fort à une scène de pêche au cormoran a été découverte en Chine. Des vestiges de l’Égypte ancienne, ou des pots péruviens en terre cuite d’avant notre ère représentent des cormorans ou des scènes de pêche au cormoran. On dit même que le roi d’Angleterre James I, au XVIIe siècle, aimait pratiquer la pêche au cormoran sur le modèle des pêcheurs chinois. Néanmoins, de nos jours, cet art ne se pratique plus que dans certaines parties de la Chine et au Japon.
Il existe une différence entre la pratique chinoise et la pratique japonaise de cette méthode de pêche : les pêcheurs chinois utilisent des oiseaux de rivière résidents, qu’ils élèvent dans leur ferme, comme de la volaille. Les pêcheurs japonais, eux, utilisent des oiseaux de mer, migrateurs. Ils les capturent, les apprivoisent, puis les utilisent pour la pêche. Ces cormorans de mer japonais sont capturés au cours de leur périple migratoire, lorsqu’ils se posent pour prendre du repos sur la côte d’Ishihama, dans la ville de Hitachi, préfecture d’Ibaraki. Ils sont ensuite acheminés vers les pêcheurs de tout le pays.
Les poissons pêchés sont offerts à la maison impériale
La journée de Yamashita Tetsuji, pêcheur au cormoran sur la Nagara, commence très tôt.
Son premier travail consiste à transférer ses 18 oiseaux des cages spéciales en bambou dans lesquels ils ont accueillis les premières lueurs de l’aube, à une grande cage en treillis métallique où ils peuvent se dégourdir les ailes. Le soir, après avoir mangé, ils réintègrent leurs cages de bambou pour y dormir. Et cela, 365 jours par an, sans un seul jour de repos. Le destin du maître-cormoran est de vivre et travailler avec ses oiseaux.
La pêche au cormoran est un art qui lie l’oiseau au pêcheur.
« Ujô » est le terme générique pour désigner les maîtres-cormorans, qui dressent les cormorans à la pêche. Mais l’appellation officielle des maîtres de la rivière Nagara de Gifu est shikibushoku ujô (« agent maître-cormoran »). Autrement dit, ils appartiennent au personnel de l’Agence impériale. Les maîtres-cormorans ont toujours été très protégés par les hommes au sommet du pouvoir, et ceci depuis l’époque des provinces combattantes (XVe-XVIe siècles). Depuis la restauration de Meiji, la préfecture de Gifu, désireuse de préserver cette tradition qui déclinait, a passé un accord avec l’Agence de la maison impériale en 1890, qui instaure la fonction d’agent maître-cormoran au sein de la maison impériale. L’arrière-grand-père de M. Yamashita, Kuhei, fut nommé à cette époque shikibushoku en chef. Et M. Yamashita lui-même, alors âgé de 32 ans, suite à la mort soudaine de son père Zenpei en 1987, a hérité de la fonction, et, XIXe du nom, est devenu à son tour shikibushoku ujô.
Seules six familles de maîtres-cormorans de la rivière Nagara de Gifu portent ce titre de shikibushoku ujô, auxquels il faut ajouter trois autres familles de la ville de Seki, plus en amont sur la rivière. Le titre est toujours héréditaire. Huit fois par an, les maîtres-cormorans vont offrir à la maison impériale le produit de leur pêche dans la zone réservée.
Le maître-cormoran Yamashita Tetsuji, 62 ans
Chaque jour, quand il transfère ses oiseaux de leur panier dans la cage ou le contraire, M. Yamashita ne manque jamais de les flatter à la gorge. « C’est par les caresses qu’ils apprennent à me connaître et que je les apprivoise », dit le maître-cormoran. C’est aussi une façon pour lui d’apprécier leur condition ce jour-là, ce qui lui permet de décider quel oiseau il emmènera à la pêche.