Un certificat de bonne santé pour le Grand Bouddha de Kamakura
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« Nous ne savions vraiment pas à quoi nous attendre », explique Morii Masayuki, chercheur senior de l’Institut national de recherche pour les biens culturels, Tokyo, qui a dirigé le projet de diagnostic, de réparations et de nettoyage. « Le Bouddha a près de 760 ans et il est assis dehors depuis plus de cinq siècles, exposé à l’air marin salé, à des tremblements de terre continus, aux fientes d’oiseaux et – de nos jours – aux pluies acides et aux vibrations des véhicules à proximité.
« Nous savions donc qui étaient les principaux coupables. Mais nous ne savions pas combien de dégâts ils avaient causés. Nous avons donc été très heureux de découvrir que le Bouddha était structurellement sain et que la corrosion étaient bénigne dans l’ensemble. »
Le Grand Bouddha de Kamakura évoque, pour être précis, Amitâbha Bouddha (Amida Butsu), spécialement vénéré par les adhérents des sectes bouddhistes de la Terre pure. D’après leur enseignement, la renaissance au paradis – la « terre pure » - attend les croyants qui ont pris refuge auprès d’Amitâbha. Ils exhortent les croyants à atteindre le salut en récitant sans cesse le nom du Bouddha, ce qui, en japonais, donne le chant « Namu Amida Butsu, Namu Amida Butsu .. » (Ah, Amitâbha Bouddha..). Nous devons comprendre le célèbre visage béatifié du Daibutsu de Kamakura dans le contexte de l’étreinte des fidèles par Amitâbha. La réapparition de son visage le 11 mars précisément est une coïncidence émouvante pour la commémoration des 16 000 vies ou plus qui ont été perdues durant le tremblement de terre et le tsunami de 2011. Cette date propice toutefois, a été apparemment fortuite. Le Daibutsu se dresse, ou plutôt est assis, dans l’enceinte du temple Kôtoku-in. Et le révérend du Kôtoku-in, Satô Takao, insiste sur le fait que « c’était juste comme ça que les choses se sont arrangées dans le calendrier des travaux. »
Une pénurie de preuves historiques
Nos connaissances sur l’histoire du Daibutsu de Kamakura se basent sur une documentation historique qui est remarquablement clairsemée. Azuma kagami (le Miroir de l’Est), un compte rendu du XIIIe siècle sur la période Kamakura (1185-1333) mentionne que les travaux du Daibutsu ont commencé le 17 août 1252. Mais nous manquons totalement de documentation historique sur la date à laquelle la statue a été achevée ou, d’ailleurs, sur l’identité du sculpteur.
L’observation de Morii sur le Daibutsu résidant à l’air libre pendant « plus de cinq siècles » correspond aux relevés historiques tout en montrant indirectement leur pénurie. Nous savons que le Daibutsu résidait à l’origine à l’intérieur, comme le Daibutsu encore plus monumental du temple Tôdai-ji à Nara. Mais nous manquons de documentation historique sur la date à laquelle il a perdu pour de bon son abri de protection.
La Chronique de la grande paix Taiheiki de la fin du XIVe siècle rapporte que l’abri du Daibutsu de Kamakura s’est effondré durant un typhon en 1334. Et la chronique du XVIe siècle Kamakura dainikki mentionne la destruction du logement par un typhon en 1369 et par un tremblement de terre et un tsunami dans les dernières années 1490. Cette dernière mention est toutefois discutable. Une note en date de 1486 dans un recueil de poèmes du moine Zen Banri Shûkyû, Baika mujinzô, décrit le Daibutsu assis à l’air libre et sans abri.
Une présence bien-aimée
« Ce projet – diagnostic, réparations et nettoyage – a montré avec force, s’émerveille Morii, ce que représente le Daibutsu pour les Japonais. La presse a consacré beaucoup de reportages au projet. Et les visiteurs n’ont cessé d’affluer jusqu’au Kôtoku-in pour jeter un coup d’œil, même en sachant que le Daibutsu était sous les voiles. »
Le fait que la plupart des visiteurs pour le moins savaient que le Daibutsu était « caché » est un tribu aux consciencieux efforts du Kôtoku-in et de la communauté. Le temple a notifié très clairement le projet sur sa page d’accueil impeccablement entretenue et a renoncé au prix d’entrée usuel de 200 yens lorsque le Daibutsu était hors de vue. Demander le chemin dans un magasin vers le temple conduisait invariablement à la réponse : « Vous ne pourrez pas voir le Daibutsu. » Mais les gens ont continué à venir.
« Les gens semblaient sentir la présence du Daibutsu, observe Satô, alors même qu’ils ne pouvaient pas le voir de leurs yeux. » Morii acquiesce. « Ils voulaient juste se rapprocher », note-t-il. « C’est plus que le simple fait de voir quelque chose. » Satô ajoute que le sens du toucher est également important pour expérimenter le Daibutsu.
« Notre politique d’ouverture, qui permet aux visiteurs d’aller à l’intérieur du Daibutsu, est en relation avec notre désignation comme trésor national », déclare Satô. « Les administrateurs du programme des trésors nationaux voient cet accès d’un mauvais œil. Ils montrent les graffitti et les chewing gums que des visiteurs négligents ont laissé sur les parois. Et ils soutiennent que nous devons arrêter de laisser les gens entrer. »
« Je reste ferme, toutefois, pour que la porte reste ouverte. L’accès à l’intérieur est particulièrement important pour les visiteurs malvoyants. Placer les mains sur le bronze et sentir le froid de l’hiver ou la chaleur de l’été apporte une interaction incroyablement intime avec le Daibutsu. Je ne vais jamais sacrifier ça juste pour éviter d’avoir à retirer du chewing gum et des graffitis. »
Les chewing gum et les graffiti sont, bien entendu, une lamentable preuve de comportement honteux, quoique celui d’une infime minorité de visiteurs. « Nous avons nettoyé certains graffitis. Ceux écrits aux feutres sont relativement faciles à enlever à l’alcool. Mais curieusement, les inscriptions à la craie et à l’encre sumi sont tout simplement impossibles à effacer. Bien sûr, nous pourrions les sabler, mais cela endommagerait le bronze. Et ce serait contre notre politique de préserver le Daibutsu tel qu’il est. »
L’histoire des graffiti
Triste à dire, mais les graffiti ont une longue histoire au Kôtoku-in. Témoin le récit par le capitaine anglais John Saris, qui commandait le premier navire britannique à atteindre le Japon. Le bateau de Saris, le Clove, accoste à Hirado en juin 1613 et Saris voyage ensuite à Edo où il rencontre le shôgun retiré, Tokugawa Ieyasu et le shôgun régnant, Tokugawa Hidetada. C’est l’Anglais William Adams, rendu célèbre par le livre et le feuilleton télévisé Shogun, qui escorte Saris. Adams est arrivé 13 ans plus tôt, mais il a voyagé comme navigateur sur un bateau hollandais.
Le pays entre Surnunga et Deoo est bien peuplé. Nous avons vu de nombreux Fotoquise (pour hotoke, bouddha) et des temples sur notre passage et, parmi d’autres, une statue particulièrement remarquable, appelée Dabis (Daibutsu), en bronze, creuse à l’intérieur mais d’une épaisseur tout à fait conséquente. Il avait, à en juger, vingt-et-un ou vingt-deux pieds de hauteur à partir du sol, dans la position d’un homme agenouillé à terre, ses fesses reposant sur ses talons, avec des bras d’une merveilleuse largeur et tout le corps bien proportionné. Il porte une tunique. Cette statue est vénérée par les voyageurs qui passent ici. Certains de nos gens sont allés dans son corps et ont poussé de grands cris, ce qui a fait un bruit épouvantable. Nous avons trouvé de nombreux caractères et marques laissés ici par les passagers, et certains de mes suivants les ont imité, ont laissé les leurs, de la même manière.(Le voyage du Capitaine John Saris au Japon, 1613. Edité par Sir Ernest M. Satow)
Les graffitis à l’encre sumi, appliqués au pinceau, restent un vrai mystère. Quelle que soit l’époque, les visiteurs ne transportent habituellement pas d’encre ni de pinceaux. Morii soupçonne le Kôtoku-in d’avoir fourni le matériel aux visiteurs à la fin du XVIIIe et au début du XXe siècle et de les avoir encouragés à signer à l’intérieur du Bouddha en échange de dons.
Satô nie le fait que quiconque dans le temple ait pu encourager les graffitis sous quelque forme que ce soit. Mais il reconnaît que ses prédécesseurs ont eu des difficultés à joindre les deux bouts et qu’ils dépendaient largement des revenus apportés par les visiteurs. « Kamakura était une destination populaire pour les excursions des résidents de l’enclave occidentale de Yokohama », pense Satô. « Les étrangers ne pouvaient pas voyager dans Tokyo sans autorisation, mais ils étaient libres de se déplacer à leur guise entre Yokohama et Kamakura. Et le Daibutsu était, bien sûr, une escale favorite. »
Aujourd’hui, le Kôtoku-in et le Daibutsu attirent environ 2 millions de visiteurs par an, et les non-Japonais représentent approximativement 200 000 par rapport au total. « Le Daibutsu est particulièrement populaire, raconte Satô, auprès des visiteurs des pays du bouddhisme Theravada comme la Thaïlande et le Myanmar. »
Joseph Rudyard Kipling a également établi une connexion entre le Myanmar et le Daibutsu de Kamakura dans son poème « Buddha at Kamakura ». Une strophe de ce poème, que Kipling a ajouté dans la collection The Five Nations, fait référence à la glorieuse Pagode Shwedagon de Yangon (« Shwe-Dagon ») et à sa couronne (hti, htee) d’or.
Les paupières encore ensommeillées semblent regarder
Une fleur, telle une flamme vers l’Orient lancée
Par, de Shwe-Dagon, la couronne dorée
De Birmanie à Kamakura.
La statue comme un être vivant
La longévité impressionnante du Daibutsu de Kamakura signifie que nous rencontrons aujourd’hui la même présence imposante que celle qui s’élevait devant Kipling. La statue de bronze se dresse à plus de 11 mètres de hauteur sur une plate-forme de pierre de 2 mètres de haut. Ses yeux ont chacun une largeur d’un mètre et sa coiffure arbore 656 boucles. Le bronze pèse 121 tonnes.
Le Daibutsu de Nara, qui évoque le Bouddha Vairocana (en japonais : Birushana Butsu, ou Dainichi Nyorai) est plus grand que son homologue de Kamakura. Il a toutefois subi de nombreuses reconstructions au cours des siècles, alors que le Daibutsu de Kamakura est structurellement identique à ce qu’il était le jour où il a été achevé. (Voir notre article lié : Duel au sommet : les Grands Bouddha de Nara et Kamakura)
Le seul changement significatif du Daibutsu de Kamakura a été la perte de sa couverture d’or. Des traces d’or sur la joue droite du Daibutsu laissent supposer son apparence initiale. Mais les mystères restent nombreux.
« Les métallurgistes ont suggéré, reconnaît Morii, que la haute teneur en plomb du bronze rendait le plaquage impossible et a obligé les constructeurs à utiliser de la feuille d’or. Mais nous avons examiné avec attention les traces d’or et je n’en suis pas si sûr. »
La restauration de la dorure n’a jamais été considérée sérieusement. « Nous prenons soin du Daibutsu comme d’un être vivant », insiste Morii. « Ce Bouddha, comme vous le voyez aujourd’hui, fait partie de la société japonaise depuis des siècles. Nous n’avons pas à tenter de faire une sorte de relooking sous prétexte de lui redonner une soi-disant “apparence originelle”. »
De toute façon, la question de redorer le Daibutsu est discutable, d’après Satô. « Procéder à des changements fondamentaux dans quelque chose désigné trésor national est pratiquement impossible. »
« Un autre mystère, s’amuse Morii, est de savoir où, dans le monde, ils ont pu se procurer tout ce bronze. La production de cuivre du Japon à cette période était manifestement insuffisante. Nos regards se sont donc tournés vers la Chine. Certains métallurgistes ont noté des similitudes entre le contenu de l’alliage du Daibutsu et du bronze qui a été importé de la Chine sous la dynastie Song. Mais encore une fois, les compte rendus historiques sont insuffisants et nous sommes obligés de spéculer. »
Les réparations précédentes du Daibutsu ont inclus la reconstruction de la plateforme de pierre en 1925. Elles ont fait suite à la destruction de cette plateforme pendant le Grand tremblement de terre du Kanto en 1923 lorsque le Daibutsu a été ébranlé et a glissé de 35 centimètres vers l’avant. Les réparations ont compris la consolidation du cou à partir de l’intérieur avec du plastique renforcé aux fibres de verre au début des années 1960. Ces travaux ont également inclus l’insertion d’une plaque d’acier inoxydable entre la statue de bronze et la plateforme en pierre pour protéger le Daibutsu contre les tremblements de terre et lui permettre de coulisser, plutôt que de se renverser.
« Nous avons regardé l’acier inoxydable » déclare Morii « et il est en très bonne forme. La force sismique à Kamakura pendant le Grand tremblement de terre du Japon de l’Est en 2011 a été insuffisante pour déclencher un glissement quelconque. Reste à savoir si la protection sismique a vraiment opéré comme prévu. C’est quelque chose que nous devrons étudier dans les prochaines années. »
En continuant à prendre soin de leur jeune Bouddha de 760 ans, Satô et Morii peuvent prendre courage dans l’approbation résonant dans les vers de Kipling.
Spectacle pour touristes, légende racontée
De bronze et d’or masse rouillée
Avec tant, ou si peu, pourrez-vous comprendre
Le sens de Kamakura ?
Mais une fois dite la prière du matin,
Pouvez-vous, vous qui passez combattre et commercer,
Affirmer que Dieu à l’image de l’homme
Est plus proche que le Bouddha de Kamakura ?
(Photo de couverture : le Daibutsu de Kamakura montre de nouveau son visage au monde au début mars 2011, lorsque les bâches sont tombées après environ deux mois de mises à l’essai, de réparations et de nettoyage.)
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