Robots humanoïdes japonais : enfin l'heure de la consécration ?
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L’industrie japonaise des robots, dont l’éclat était plutôt terne ces derniers temps, retrouve enfin son lustre. Le gouvernement a annoncé en juin 2014 une nouvelle stratégie de croissance dont l’un des piliers est la « révolution industrielle nourrie par les robots ». D’ici la fin de l’année, le Japon va en outre formuler un plan d’action sur cinq ans concernant les usages spécifiques des robots. Sur le front de la consommation, la société SoftBank a annoncé au mois de juin de cette année la naissance de son nouveau robot, Pepper, dont la mise sur le marché est prévue pour le mois de février prochain au prix étonnamment bas de 198 000 yens.
Les robots humanoïdes japonais à la pointe du progrès
Le Japon est le leader mondial en ce qui concerne la recherche et développement axée sur la production de robots humanoïdes capables de marcher sur deux jambes. D’après Shimizu Masaharu, directeur de recherche au Centre de la technologie des robots du futur (fuRo) de l’Institut de technologie de Chiba, cette avance du Japon doit beaucoup à l’influence de la bande dessinée. « Un bon nombre des chercheurs impliqués dans l’élaboration des robots étaient des fans de Astro Boy et Doraemon lorsqu’ils étaient enfants. Moi-même, qui suis titulaire d’un doctorat en architecture des systèmes des robots humanoïdes, j’ai été marqué par mon appartenance à ce qu’on pourrait appeler la “génération Gundam”. »
La création d’ASIMO par Honda a constitué un moment fort de la R&D dans le domaine des robots humanoïdes. C’est en 1986 que Honda s’est lancé dans la mise au point de robots marcheurs. À l’époque, il était assez rare qu’un robot soit capable de marcher, et la conception d’un robot marchant debout sur ses deux jambes passait pour une gageure. Avant même qu’ASIMO voit le jour en 2000, plusieurs prototypes l’avaient précédé au milieu des années 1990 et les robots à deux jambes étaient devenus un sujet de prédilection des chercheurs.
Depuis lors, la technologie des robots marcheurs a grandement progressé, comme l’explique M. Shimizu : « Au début, le simple fait de faire marcher un robot constituait un exploit. Mais maintenant, on en est arrivé au point où ils courent. Les choses ont bien avancé. Mais je dois ajouter que ces avancées en sont encore au stade expérimental ou démonstratif. Nous n’avons pas atteint le niveau technique nécessaire pour que les robots humanoïdes deviennent pour nous, dans nos vies, des “outils” capables de nous procurer des services dont nous avons besoin en situation réelle. »
Les robots humanoïdes ouvrent de nouvelles possibilités
M. Shimizu et ses collègues chercheurs au fuRo travaillent à la mise au point de Morph3, un robot humanoïde conçu comme un « athlète de métal », nom qu’ils ont choisi pour évoquer le large éventail de mouvements que ce robot compact est capable d’exécuter, grâce à la flexibilité de ses articulations.
Les technologies utilisées dans la mise au point de ce genre de robot très performant en termes de mouvements sont susceptibles de donner lieu dans le futur à d’autres applications, telles que le développement de dispositifs d’interface humanoïdes destinés à la communication à distance.
« Par exemple », dit M. Shimizu, « deux personnes situées à distance l’une de l’autre pourraient se serrer la main par l’intermédiaire de leurs robots humanoïdes respectifs et chacune ressentirait la vigueur de la poignée de main. On peut aujourd’hui envoyer des contenus audiovisuels sur l’Internet via un smartphone ou un ordinateur, mais pour véhiculer des sensations tactiles ou une force susceptible d’être perçue, nous avons besoin de la technologie des robots. »
À l’heure actuelle, le fuRo travaille à la mise au point de Core, un robot marcheur capable de porter une personne ou une charge pouvant aller jusqu’à 100 kg – un poids qui dépasse les capacités de tous les autres robots à deux jambes. Selon M. Shimizu, la R&D fondamentale actuellement menée au fuRo vise à rien moins que la création d’un robot en mesure de transporter une personne âgée ou handicapée jusqu’au sommet d’une cime pour lui procurer une expérience de la haute montagne.
« On compare souvent l’utilité de la R&D axée sur les robots humanoïdes à l’apport technique des voitures de Formule 1 », remarque M. Shimizu. « Les technologies utilisées dans les voitures ordinaires prennent souvent leur source dans ces machines ultra-performantes. Les spécificités techniques d’une voiture de Formule 1 ne peuvent pas être directement transférées aux voitures qu’on conduit tous les jours, mais certains éléments des technologies de pointe nées de cette R&D n’en finissent pas moins par trouver des applications d’ordre général. »
Les robots dédiés aux secours en cas de catastrophe
Outre les robots humanoïdes tous usages, il existe des robots spécifiquement conçus pour répondre aux besoins générés par les catastrophes. Et la nécessité de ces robots est beaucoup plus largement reconnue depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima consécutive au séisme et au tsunami de mars 2011. Le premier robot fabriqué au Japon utilisé après la catastrophe sur le site de la centrale nucléaire de Fukushima a été Quince, un robot mis au point à l’Institut de technologie de Chiba, mais avant cela, des robots PackBot, construits aux États-Unis, avaient été rapidement déployés dans l’enceinte du réacteur, comme le rappelle M. Shimizu :
« À l’époque, des critiques nous sont parvenues en provenance de gens qui se demandaient pourquoi on avait fait appel à un robot américain alors que le Japon était un leader mondial dans la technologie des robots. Des voix se sont élevées pour demander pourquoi on n’avait pas eu recours à ASIMO. Mais les technologies dont était équipé ce genre de robots ne dépassaient pas le stade de la démonstration ou du divertissement.
« PackBot, en revanche, est un robot “crawler” destiné à la reconnaissance militaire, qui peut aussi mesurer la radioactivité. Mais pour ce qui est de se déplacer sur des décombres ou de gravir des escaliers étroits et raides, il était moins performant que notre robot Quince, sur lequel nous travaillions depuis le grand séisme de Kobe de 1995, dans l’idée de produire un robot capable de traverser une zone jonchée de décombres pour y effectuer des opérations de recherche. Toutefois, Quince n’était pas conçu spécifiquement pour une centrale nucléaire. Nous avons passé trois mois à le reconfigurer pour qu’il puisse fonctionner dans un environnement radioactif, après quoi nous l’avons déployé à Fukushima. Les caméras dont il est équipé lui ont permis de prendre des photos à l’intérieur du bâtiment du réacteur et de grimper jusqu’au quatrième étage.
« Il a réussi à photographier la situation au quatrième étage du réacteur de l’Unité 2 de Fukushima Daiichi. Malheureusement, sur le chemin du retour, le câblage du robot s’est trouvé coincé quelque part autour du deuxième étage et il a cessé de fonctionner. Nous avons procédé à des modifications pour éviter que ce problème se reproduise, et la version améliorée du robot que nous avons envoyée sur les lieux est revenue sans incident du quatrième étage. Ces robots sont toujours en service pour surveiller la situation à l’intérieur des réacteurs. »
L’université a également mis au point des robots spécialement conçus pour les catastrophes nucléaires. Sakura N° 1 est l’un d’entre eux ; beaucoup plus petit que Quince, il est capable de manœuvrer dans des espaces plus réduits. L’autre robot, Sakura N° 2, est équipé d’un bras optionnel qui peut se déployer jusqu’à une distance de deux mètres, avec une caméra fixée à son extrémité, ce qui lui permet d’effectuer des observations dans des zones difficiles à atteindre ou des espaces étroits sans avoir à y pénétrer.
Un robot japonais gagne un concours de robotique
Pendant que le Japon, confronté aux nécessités mises en évidence par la catastrophe nucléaire de mars 2011, progressait dans le perfectionnement de robots conçus pour faire face aux conséquences de ce genre de désastre, les États-Unis se concentraient sur la R&D visant à doter leurs robots humanoïdes polyvalents d’une plus grande efficacité dans les tâches liées aux secours en cas de catastrophe. Vers la fin de l’année 2013, leur Agence des projets de recherche avancée en matière de défense (DARPA) a organisé un concours baptisé DRC, pour DARPA Robotics Challenge, dans l’idée de promouvoir la conception de robots capables de faire face à une crise consécutive à une catastrophe provoquée par l’homme, par exemple un accident nucléaire. Pour participer au concours, les robots doivent être capables d’accomplir huit tâches différentes, et notamment la manœuvre d’un véhicule à moteur. Ils doivent, autrement dit, être dotés de capacités quasi humaines.
M. Shimizu, qui est allé aux États-Unis assister au concours, nous a fait part de ses impressions : « C’est un robot mis au point par la société Schaft, une co-entreprise née à l’Université de Tokyo, qui a remporté le concours DRC. Le robot vainqueur a deux bras et deux jambes, mais, contrairement aux êtres humains, il n’a ni devant ni derrière. Cette configuration lui donne une grande flexibilité pour mener des opérations sur le site d’une catastrophe. Il est une épreuve, toutefois, qui a mis le robot en difficulté pendant la compétition : le franchissement d’un tas de décombres, qui lui a demandé beaucoup plus de temps qu’il en a fallu aux robots du type crawler. »
« Si l’on regarde globalement les résultats, le robot humanoïde ATLAS prêté par le DARPA mis à part, les robots présentés par la majorité des équipes les plus performantes n’avaient pas été conçus à l’image de l’homme ; il y avait, par exemple, un robot simiesque capable de marcher à quatre pattes ou de rouler sur des chenilles fixées à ses membres. Le concours a montré à quel point les robots humanoïdes ont besoin d’améliorations à divers égards. Mais dans le même temps, la performance du robot Schaft m’a donné l’impression que le Japon a pas mal d’avance en matière de technologie des humanoïdes. Je dois signaler que l’entreprise a été rachetée par Google en novembre 2013. »
Les avantages d’une collaboration entre les États-Unis et le Japon
Le Japon et les États-Unis ont conclu un accord sur un projet commun de R&D et de vérification portant sur les robots destinés aux secours en cas de catastrophe. Cet accord a aussi pour objectif d’encourager les initiatives japonaises visant à mettre au point des robots pour le concours DRC. « Les Américains sont conscients du haut niveau de la technologie japonaise des humanoïdes », remarque M. Shimizu, « et ils ne demandent pas mieux que d’intégrer ces connaissances. »
Pour les Américains, il est clair que l’acquisition de ces technologies présente des avantages, mais, comme l’explique M. Shimizu, cette collaboration bénéficierait aussi au Japon : « Le grand intérêt du concours DRC réside dans le fait qu’il nous permet d’avoir accès au parcours d’essai sur lequel il se fonde. Il nous permet de procéder à des démonstrations à grande échelle dans un éventail de tâches et nous fournit l’occasion de conduire des tests de performance. Cette opportunité peut constituer un tremplin pour accélérer le rythme de l’élaboration des robots. »
Les préparatifs sont d’ores et déjà en cours pour le prochain concours. « En réponse à une demande du ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie, l’Université de Tokyo, l’Université d’Osaka, l’Université de Kobe et l’Institut de technologie de Chiba ont mis sur pieds une équipe chargée de mener à bien un projet commun de mise au point d’un robot humanoïde à deux jambes et deux bras en vue de le présenter en juin 2015 au concours DRC. Je pense que le savoir-faire en matière de secours en cas de catastrophe que nous avons acquis à travers la conception de Sakura N° 1 et 2 nous sera utile à bien des égards dans cette tentative. »
Les entreprises américaines dépensent sans compter pour acheter des robots
Depuis quelques années, les nouvelles entreprises de robots sont rachetées les unes après les autres par d’autres sociétés, notamment Google. Ce phénomène reflète l’accélération des investissements effectués dans la robotique par les géants américains de la technologie de l’information et les grands fonds de capital-risque. En vérité, dit M. Shimizu, les États-Unis sont actuellement le théâtre d’une sorte de « boom des robots ».
« Il semble en effet que les entreprises américaines soient désormais convaincues que la technologie robotique va entrer incessamment dans sa phase de plein épanouissement. Dans le même temps, au Japon, le secteur privé et le secteur public investissent massivement dans diverses initiatives et projets patronnés par le gouvernement. Mais quelle que soit l’avance du Japon en ce domaine, il faut encore que les investissements débouchent sur des applications pratiques et la commercialisation des robots. Cette situation d’expectative retient les investisseurs de se ruer franchement sur ce secteur. »
Le Japon a en outre été lent à percevoir le potentiel de la technologie des robots dans des domaines où ils s’avèrent utiles aux gens dans leur vie quotidienne. C’est tout le contraire de la société américaine iRobot, qui a lancé dès 2002 son aspirateur automatique Roomba, et l’a vendu dans le monde entier. Ce n’est que tout récemment que des entreprises japonaises comme Toshiba et Sharp ont commencé à se lancer dans la production de robots ménagers.
Mais Shimizu Masaharu remarque aussi que l’acquisition de la société française Aldebaran Robotics par SoftBank en 2012 en vue de produire le robot Pepper a contribué à dynamiser le marché des robots ménagers et donné une forte impulsion à l’industrie japonaise des robots. « La confirmation qu’il y avait, parmi les investisseurs et les chefs d’entreprise japonais, des gens capables de sentir que la technologie des robots était sur le point de décoller fut un réconfort. »
M. Shimizu veut préserver le sentiment d’excitation que lui procure la créativité à l’œuvre dans la robotique, qui promet d’apporter au monde quelque chose de neuf et de le faire bouger.
« Il y a des gens qui pensent que le secteur des robots de service piétine du simple fait qu’il est difficile de décrocher un budget pour la fabrication, à moins d’être en mesure d’associer des technologies existantes en vue de concevoir des produits utiles correspondant aux besoins des consommateurs, après quoi le marché entre de lui-même en action. C’est vrai, mais rien de neuf n’émergera jamais si l’on s’en tient à ces calculs. L’approche optimale, je pense, c’est que les chercheurs eux-mêmes se posent vraiment la question de savoir ce qu’il y a dans le vaste monde qui les excite, puisqu’ils entreprennent de créer quelque chose qui, à son tour, excite les autres gens. Je me souviens de l’exaltation que j’ai ressentie lors de mon premier contact avec la R&D en robotique. Il me semble que l’environnement susceptible de nourrir ce sentiment est enfin en place. »
(D’après une interview effectuée en japonais le 19 août 2014. Photographies de Yamada Shinji)
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