La stratégie sécuritaire du Japon : vers un pacifisme proactif

Politique

La fin de l’année 2013 a été marquée par une évolution de la stratégie sécuritaire du Japon, avec notamment la création du Conseil de sécurité nationale (NSC) et l’élaboration d’une Stratégie de sécurité nationale (NSS). Kitaoka Shinichi, président de l’Université internationale du Japon, a participé à ce processus, sur lequel il nous apporte son éclairage.

Elaboration de la première Stratégie de sécurité nationale

L’une des actions marquantes du comité consultatif de 2013 est l’élaboration de la Stratégie de sécurité nationale. Alors que la diplomatie et la défense sont les deux grands axes de la sécurité nationale, le Japon n’était pas doté d’une stratégie de sécurité globale couvrant ces deux axes. Une réalité étonnante aux yeux du monde entier.

Concernant la défense, il existait des Principes fondamentaux de défense nationale, établis en 1957. Ils sont simples et efficaces mais, vieux de 56 ans, ils ne sont plus adaptés à la réalité contemporaine. A l’époque, en pleine guerre froide, le Japon était encore pauvre, le traité de sécurité nippo-américain n’avait pas encore été modifié et Okinawa n’avait pas été rétrocédé au Japon. Cette base était parfaitement insuffisante pour établir la stratégie sécuritaire du Japon actuel. De plus, aujourd’hui, de plus en plus de pays rendent publique leur stratégie sécuritaire. Parce que l’on sait que cela aide non seulement à obtenir la compréhension de la population, mais aussi à éviter les méprises des nations environnantes.

Le pacifisme proactif comme principe de base

La Stratégie de sécurité nationale mise au point par M. Abe a pour principe un pacifisme proactif basé sur la coopération internationale. Il s’agit là d’un tournant par rapport au pacifisme passif en vigueur. Le pacifisme passif établit un lien entre le désarmement du Japon et la paix mondiale. En 1946, lorsque la Constitution a été rédigée, la majorité des nations alliées voyaient sans doute ainsi les choses. Cependant, le Japon est aujourd’hui un grand pays qui bénéficie de la confiance internationale. On attend de lui qu’il participe activement à la paix dans le monde. Il ne peut se contenter de simplement déclarer qu’il « ne fera rien de mal ».

Ces dix dernières années, les dépenses de défense du Japon sont restées quasiment stables, tandis que celles de la Chine ont quadruplé. Et la Corée du Nord accélère le développement de ses missiles et armes nucléaires. Au regard de cette situation, on voit clairement que le désarmement du Japon n’a pas permis d’apaiser les tensions en Asie. Cela prouve, mieux que tout, que le pacifisme passif était une erreur.

Le pacifisme proactif prôné par M. Abe ne relève pas d’une évolution subite. Depuis les années 1950, le Japon participe à la stabilité de la zone asiatique, notamment par le biais de l’aide publique au développement (APD) accordée aux pays d’Asie du Sud-Est. Depuis 1992, Tokyo prend également part aux actions de maintien de la paix de l’ONU, et, depuis le milieu des années 90, s’implique, au nom du concept de « sécurité humaine »(*1), dans l’aide aux régions démunies et la reconstruction des zones de conflit. Toutes ces actions sont une forme de pacifisme proactif, appelées à être développées encore davantage à l’avenir.

Dans le monde comme au Japon, on s’inquiète d’un tournant à droite impulsé par M. Abe, d’un retour au Japon d’avant-guerre, mais ce n’est pas le cas. En réalité, le gouvernement Abe réaffirme la diplomatie japonaise d’après-guerre, et cherche à la prolonger. De plus, sa volonté d’agir non pas seul, mais dans le cadre d’une coopération internationale, lui vaut la solide approbation de la majorité des pays. Les seuls qui lui sont opposés sont la Chine et la Corée du Nord. La Corée du Sud exprime ses inquiétudes, mais si elle examinait la situation à tête reposée, elle devrait comprendre qu’elle n’a rien à y perdre.

La défense transversale et mobile dans le nouveau programme de défense

Le programme de défense révisé dans le sillage de l’élaboration de la NSS soulignait la nécessité de s’assurer d’un « volume » de défense, et le Plan quinquennal d’équipement pour la défense prévoyait l’équipement des Forces d’autodéfense en appareils de transport Osprey et en drones. Certains s’appuient sur ces seuls points pour critiquer la politique du gouvernement Abe, qualifiée de politique dure, ce qui est une grossière erreur. La politique du gouvernement, attaché au renforcement de la législation maritime et à la coopération avec les nations qui partagent des valeurs et opinions similaires, a au contraire tout de la politique souple. Avec la Chine aussi, le nouveau programme de défense prône le renforcement d’une « relation de réciprocité stratégique » ; le Japon se montre ouvert au dialogue en permanence.

Même dans le cadre d’une politique souple, il est nécessaire de préparer sa défense. Le programme de défense s’accompagne ainsi d’un nouveau concept : la défense transversale et mobile. Il s’agit de mettre en place une gestion transversale des forces terrestres, maritimes et aériennes et de privilégier le déploiement de forces mobiles dans les zones maritimes et les îlots du sud-ouest. La gestion transversale est une nécessité dans toutes les armées, et particulièrement dans un pays comme le Japon où le cloisonnement des structures est extrêmement important ainsi que pour la défense des zones du sud-ouest, il est donc parfaitement légitime de s’en préoccuper.

Par ailleurs, l’importance accordée au déploiement mobile dans les zones du sud-ouest (concrètement, diminution du nombre de chars et augmentation du nombre d’avions, de destroyers Aegis et de sous-marins, entre autres) se situe dans le prolongement et le renforcement du programme de défense de 2010. De ce point de vue, le programme de défense de 2010 mis en œuvre par un gouvernement PDJ et le cadre actuel, relativement proches, soulignent au contraire les disparités de stratégie sécuritaire entre les deux gouvernements PLD de MM. Abe et Fukuda. C’est-à-dire que de façon superficielle, le PLD et le PDJ sont opposés, mais en réalité, l’élément crucial qu’est leur stratégie sécuritaire est proche. La politique de défense du Japon rallie par-delà les différences partisanes.

Enfin, en ce qui concerne le budget de la défense, bien qu’il ne représente que 2% du budget national, il est globalement en hausse. Les dépenses en équipement provisionnées pour les cinq années à venir dans le cadre du plan quinquennal de défense sont en hausse de plus de mille milliards de yens par rapport à 2010. C’est peu comparé à la progression exponentielle des dépenses chinoises dans ce domaine, mais important pour manifester la volonté du Japon.

Notons que l’élaboration du programme de défense actuel, basée sur les débats du comité consultatif ad hoc, a ensuite fait l’objet de discussions entre spécialistes et ministres, et que la décision finale est revenue au Conseil des ministres. Il s’agit de la méthode mise en œuvre pour l’élaboration du programme de défense de 2010 par un gouvernement PDJ.

Par conséquent, il n’existe pas de propositions émanant du comité consultatif en soi, et on note quelques disparités entre les débats de ce groupe et les conclusions finales du gouvernement. De ce fait, en tant que président du comité consultatif, la décision du gouvernement comporte à mes yeux certains points à améliorer. D’abord, je suis contre la décision de créer 5 000 postes supplémentaires pour porter à 159 000 les effectifs des membres des Forces d’autodéfense terrestres. Il me semble au contraire nécessaire de diminuer ces effectifs pour renforcer les équipements des FAD maritimes et aériennes. Par ailleurs, j’étais partisan d’une augmentation du nombre d’avions de chasse et de sous-marins afin de renforcer la force de contre-attaque face aux positions ennemies. En effet, dans la mesure où il est difficile de déterminer des objectifs de frappe, ce dont les nations voisines s’alarmeraient, il suffit de disposer d’une force de contre-attaque, mais cette force est précisément nécessaire. Dans le même temps, je souhaitais montrer une position plus souple sur certains points, par exemple en appelant la Chine à rouvrir le dialogue historique, mais cela n’a pas été fait. Malgré tout, globalement, le processus d’élaboration du programme de défense a démontré son utilité.

(*1) ^ La sécurité humaine est un concept central de la diplomatie japonaise. Il s’agit, dans un contexte d’augmentation des menaces — réfugiés, pauvreté, crises économiques, etc. — auxquelles peut difficilement répondre la seule « sécurité nationale » par laquelle l’Etat protège ses frontières et sa population, de s’attacher à l’humain afin d’établir une société dans laquelle les gens, libérés de la peur et du besoin, pourront vivre dignement. Quelques exemples concrets : 1/ protection face aux menaces par le « renforcement des capacités » de choix et d’action, 2/ « approche globale et transversale » face aux menaces multiples, 3/ « approche participative » favorisant l’action d’institutions nationales et internationales, des ONG et des associations civiles. ——N.D.L.R.

Suite > Vers un réexamen de la Constitution sur le droit de légitime défense collective

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