Les problèmes spécifiques du système de l’emploi japonais

Économie Société

Hamaguchi Keiichirô [Profil]

Les firmes japonaises ont considérablement réduit le nombre des employés « réguliers » ou « permanents » qu’elles recrutent chaque année et qui deviennent membres à part entière de l’entreprise. Tant et si bien que quantité d’habitants de l’Archipel doivent à présent se contenter d’un emploi « non-régulier », autrement dit « précaire ». Dans cet article, Hamaguchi Keiichirô, spécialiste de la politique de l’emploi, propose l’adoption d’un système d’« emploi régulier basé sur le poste de travail » en parallèle à celui de l’« emploi à vie » fondé sur l’adhésion à la communauté constituée par l’entreprise, qui n’existe qu’au Japon.

De l’« emploi à vie fondé sur l’adhésion » à l’« emploi basé sur le poste de travail »

Nous allons maintenant examiner de plus près les effets de la généralisation de l’« emploi régulier basé sur le poste de travail ». Cette nouvelle forme d’emploi est censée assurer un revenu minimum régulier et une certaine garantie de l’emploi à la génération qui devra désormais se contenter d’un emploi précaire même quand elle arrivera à l’âge mûr. Dans la mesure où ce type d’employé n’a aucun espoir de retrouver un emploi au sein de son entreprise quand son poste perd sa raison d’être, il ne peut pas échapper aux compressions de personnel. Pour soutenir cette catégorie de travailleurs au niveau macro-social, il faudrait donc que le Japon adopte un système de marché du travail externe qui permette de transférer les employés d’une entreprise à l’autre, un système qui jusqu’à présent est extrêmement peu développé dans l’Archipel. Dans ce contexte, il est particulièrement urgent de mettre au point un dispositif de certification des compétences professionnelles qui soit valable dans toutes les entreprises.

L’existence du statut d’employé régulier basé sur le poste de travail serait par ailleurs une bonne nouvelle pour tous ceux qui ont accepté à contrecœur un emploi permanent sans limites de tâches, de nombre d’heures et de lieu de travail, dans la mesure où il serait plus intéressant pour eux qu’un emploi précaire. Ce statut assurerait en effet un emploi relativement stable permettant de mieux équilibrer activité professionnelle et vie privée à ceux qui en bénéficieraient, en particulier les personnes qui ne peuvent pas dévouer entièrement leur existence à leur entreprise comme les femmes qui ont des enfants et n’avaient jusqu’à présent pas d’autre choix que l’emploi à vie ou l’emploi précaire.

Cependant le modèle de l’emploi permanent à la japonaise reste très solidement ancré dans les mentalités et les propositions récentes en faveur d’un emploi régulier basé sur le poste de travail ont suscité une vive opposition chez les syndicats et les partis politiques qu’ils soutiennent. Cette réaction s’explique non seulement par une réticence à changer le statu quo mais aussi par des motifs d’ordre logique.

L’idée d’un statut d’employé régulier basé sur le poste de travail a été proposée, il y a quelques années, par le ministère dont relève la gestion de l’emploi. À l’époque, elle n’a suscité pratiquement aucune réticence. Mais peu après le retour au pouvoir du parti libéral-démocrate (PLD) et la formation du second cabinet du Premier ministre Abe Shinzô, en décembre 2012, le gouvernement a créé un Conseil pour la réforme de la réglementation et un Conseil pour la compétitivité industrielle. Les membres issus des milieux d’affaires de ces deux organes, en particulier le second, ont alors proposé de donner aux patrons une plus grande liberté pour licencier leurs employés. Et le statut d’employé régulier basé sur le poste de travail est apparu comme une alternative au système actuel de l’emploi à vie. C’est ce qui explique en partie la méfiance des syndicats vis-à-vis de cette initiative.

Bien que le rapport fourni par le Conseil pour la réforme de la réglementation n’y fasse pas la moindre allusion, on sait par le compte-rendu des débats qui s’y sont déroulés que certains de ses membres ont, à plusieurs reprises, demandé à ce que le manque d’efficacité puisse constituer un motif de licenciement des travailleurs exerçant un emploi régulier basé sur le poste de travail, même quand leur poste continue d’exister. L’autorisation de licencier un employé pour manque d’efficacité est un problème distinct de celui de la mise en place d’un statut de l’emploi régulier basé sur le poste de travail, et il est tout à fait normal que ce nouveau système fasse l’objet d’une controverse s’il sert de prétexte à l’adoption de mesures d’un autre ordre.

Quoi qu’il en soit, les discussions sur ce nouveau type d’emploi ne sont pas, dans l’ensemble, allées très loin. Les organisations syndicales et de nombreux partis de l'opposition ont manifesté leur désaccord vis-à-vis du principe de licenciement pour cause de « poste en surnombre » en ce qui concerne les travailleurs dont le poste a cessé d’exister, un argument fondé sur une logique typiquement japonaise qui serait parfaitement hors de question dans les pays occidentaux, même dans les syndicats.

Suite > Le modèle de l’emploi à vie et les emplois de misère 

Tags

réforme emploi travail

Hamaguchi KeiichirôArticles de l'auteur

Directeur de recherches à l’Institut japonais de la politique de l’emploi et de la formation depuis août 2008. Spécialiste du droit du travail. Diplômé de l’Université de Tokyo (1983). Est ensuite entré au Ministère du travail où il a occupé différents postes y compris celui de premier secrétaire de la délégation du Japon auprès de l’Union européenne. A enseigné à l’Université de Tokyo et au Collège doctoral de recherche politique (GRIPS). Auteur de divers ouvrages dont Atarashii rôdô shakai: koyô shisutemu no saikôchiku e (Pour une nouvelle organisation du travail par la restructuration du système de l’emploi) et Nihon no koyô to rôdôhô (Emploi et loi du travail au Japon).

Autres articles de ce dossier