Mieux connaître les coopératives agricoles japonaises
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Il plane, autour du groupe des Coopératives agricoles japonaises, connu sous le nom de JA, un grand mystère, qui s’exprime à travers des questions comme : « si l’agriculture japonaise est en déclin, comment expliquer le développement, voire la prospérité, du JA ? » ou encore « si le nombre des agriculteurs est en baisse, comment se fait-il que le JA ait une telle influence politique ? »
Un géant financier
Il semble que rien ne puisse enrayer le déclin régulier de l’agriculture japonaise. La production brute de ce secteur, qui a culminé à 11 700 milliards de yens en 1984, est tombée à 8 200 milliards en 2011. En 1960, il y avait plus de 6 millions de foyers d’agriculteurs, qui regroupaient 14,5 millions de personnes. Il n’en restait même pas la moitié en 2010 — 2,5 millions de foyers — et les effectifs de la profession ne représentaient plus que 2,5 millions d’individus en 2012 — soit un sixième de son niveau précédent.
En dépit de tout cela, le JA continue de croître. En 1960, il comptait 6,5 millions de membres, chiffre qui est passé à 9,7 millions en 2010 — soit une augmentation de 50 %. Quant à l’activité bancaire de l’organisation, les fonds dont celle-ci disposait en 2012 atteignaient 88 000 milliards de yens — ce qui faisait du JA une banque géante en lutte pour la deuxième place au niveau national. Le montant total des actifs de sa branche assurances s’élève à 47 600 milliards de yens, un chiffre tout proche des 51 000 milliards que détient Nissay, la plus grosse société japonaise d’assurances.
Sur la scène politique, le JA a développé le plus grand réseau d’opposition à la participation du Japon au Partenariat transpacifique (TPP), et ce mouvement a réuni plus de 10 millions de signatures. Lors de l’élection à la Chambre des représentants qui s’est tenue à la fin de l’année 2012, nombre de candidats du Parti libéral-démocrate ont été élus après avoir promis qu’ils s’opposeraient au TPP. Plus de la moitié des membres de la Diète appartenant au PLD adhèrent au groupe parlementaire hostile à l’accord de libre-échange.
Comment le JA a-t-il réussi à accroître son influence économique et politique alors que l’agriculture est en déclin depuis si longtemps ? Pour répondre à cette question, nous allons devoir examiner certaines caractéristiques propres à cette organisation.
Un large éventail de compétences
La pénurie alimentaire consécutive à la seconde guerre mondiale a contraint le gouvernement à prendre des mesures pour empêcher que le riz ne soit vendu sur le marché noir à des prix élevés. Pour ce faire, il a mis sur pied le JA en réorganisant une entité qui, pendant la guerre, exerçait sa tutelle sur les communautés agricoles dans tous les domaines, depuis l’agriculture jusqu’à la finance.
Au Japon, le JA est le seul organisme officiellement autorisé à développer ses activités dans le secteur bancaire, l’assurance-vie et l’assurance des dommages. Contrairement aux associations nord-américaines et européennes jouissant de licences pour des activités ponctuelles — par exemple l’achat de matériaux agricoles ou la vente de produits —, le JA est une organisation toute puissante doté d’un vaste éventail de compétences.
La réforme agricole appliquée après la guerre ayant donné aux fermiers la propriété de leurs terres, le mouvement socialiste a reculé dans le milieu des agriculteurs, supplantée par le courant conservateur, et le JA a joué un rôle emblématique dans ce changement. Apportant son soutien aux gouvernements stables et conservateurs, il est devenu dans le même temps le plus grand groupe de pression sur la scène politique et, à travers ses activités, un pourvoyeur de votes pour le PLD. En retour, il s’est vu attribuer diverses subventions et accorder des prix plus élevés pour les achats de riz par l’État.
À chaque hausse du prix des achats d’État, les recettes de la redevance perçue par le JA sur les ventes de céréales augmentaient. Outre cela, les petits agriculteurs, que les coûts élevés de production auraient dû, en tout état de cause, mettre en cessation d’activités, se sont trouvés en mesure de produire leur propre riz à moindres frais que s’ils l’avaient acheté. Si bien qu’ils ont continué de cultiver la terre et que les foyers d’agriculteurs les plus efficaces se sont trouvés dans l’impossibilité d’augmenter leurs surfaces de terres agricoles.
Beaucoup de petits agriculteurs ne travaillaient la terre que pendant le week-end, car ils étaient employés à plein temps en usine ou ailleurs, et dans le même temps la multiplication des ventes de terrains agricoles à des fins résidentielles générait d’énormes recettes. Tout l’excédent des salaires des agriculteurs et le fruit des ventes de terres agricoles finissaient invariablement dans les comptes d’épargne du JA. Du simple fait que les opérations bancaires faisaient partie des activités du JA, la persistance des petits agriculteurs a tourné à son avantage.
Peut-être l’agriculture était-elle en déclin, mais le JA n’en a pas moins prospéré.
Prix élevés du riz et produits financiers attractifs
Tous les Japonais peuvent adhérer à la branche locale du JA en tant que membres « associés » (jun kumiai-in). Ce statut ne les autorise pas à participer au processus de prise de décisions, mais ils ont accès aux différents services que propose le JA. Celui-ci est la seule coopérative du pays qui bénéficie d’un tel système.
Pour gonfler les rangs de ses membres associés, le JA a mis à leur disposition des prêts pour achats de logements ou de véhicules et des assurances à des conditions attractives. Si les effectifs des adhérents au JA ont augmenté malgré la baisse du nombre des agriculteurs, c’est grâce à la prolifération des membres associés.
Le JA a choisi d’apporter son soutien à un grand nombre de petites exploitations plutôt qu’à un petit nombre de grandes exploitations. Il s’est procuré de cette façon des fonds grâce auxquels il a établi son réseau des membres associés et, par le poids du nombre ainsi réuni, il s‘est assuré de l’énorme influence politique qu’il exerce aujourd’hui. En fait, ce sont les prix élevés du riz qui ont permis aux rouages de la machine de continuer de fonctionner.
La mise en place des circonscriptions à siège unique pour les élections à la Chambre basse, introduite dans le cadre des réformes électorales de 1994, a elle aussi tourné à l’avantage du JA. Comparé au scrutin à sièges multiples qui prévalait jusque-là, cette nouvelle formule a accru l’effet de levier des suffrages du fait que, lorsque deux candidats sont en lice pour un siège unique, le déplacement de 1 % des suffrages vers l’un d’entre eux crée avec l’autre un écart de 2 %. Il est difficile de se défendre contre ce phénomène. À mesure de la diminution de la population agricole, le JA peut certes perdre la capacité de faire élire ses candidats préférés, mais il conserve celle d’écarter les candidats dont il ne veut pas.
Des fondations qui s’effritent ?
La participation au TPP va entraîner la suppression des droits de douane appliqués aux importations de riz — qui atteignent aujourd’hui 778 % — et par voie de conséquence la baisse des prix, si bien que les recettes des redevances prélevées par le JA sur les ventes de riz vont diminuer. Cela menace de tarir l’une des sources du succès de l’organisation, qui va en outre subir des pertes supplémentaires du fait de l’abolition des taxes à l’importation appliquées à d’autres produits.
Le JA a exercé des pressions sur la commission TPP du PLD pour obtenir que le gouvernement exclue des négociations en vue de supprimer les taxes sur l’importation le riz, le blé, le bœuf, le porc, les produits laitiers et diverses ingrédients d’origine agricole intervenant dans la fabrication du sucre et autres adoucisseurs. La commission TPP a déclaré que le gouvernement devait se préparer à se retirer des négociations si cette demande ne pouvait être satisfaite. À la Chambre haute comme à la Chambre basse de la Diète, les commissions de l’agriculture, des forêts et de la pêche ont elles aussi adopté cette position.
Mais les exceptions demandées par le Japon sont inacceptables pour les pays participant aux négociations du TPP, qui veulent parvenir à un accord de libre-échange sérieux et de haut niveau. La vocation naturelle du Partenariat transpacifique est d’encourager le libre-échange et l’investissement. Le Japon ne peut pas y participer s’il choisit de maintenir ses exigences.
Le retour de bâton
Voyons ce qu’entraînerait le maintien des taxes à l’importation. Les grandes entreprises seraient en mesure de délocaliser leurs usines vers différentes parties de la région couverte par le TPP et d’exporter vers les pays adhérant à cet accord sans payer de taxes. En revanche, les petites et moyennes entreprises, qui ne peuvent se permettre de délocaliser leurs opérations, seraient dans l’obligation de payer des droits de douane sur les produits qu’elles exportent. Elles souffriraient donc de conditions concurrentielles défavorables qui les excluraient de fait des échanges au sein de la gigantesque région que constitue l’Asie-Pacifique. Il faudrait alors s’attendre à des pertes d’emplois au Japon.
En janvier de cette année, le comité consultatif sur la déréglementation mis en place par le gouvernement a commencé à envisager l’idée d’une réforme en vue de séparer les activités du JA liées à la banque et à l’assurance et de supprimer l’exemption des lois anti-trust dont il bénéficie. Le JA se trouve donc acculé au pied du mur.
S’il obtient gain de cause et que le Japon ne participe pas au TPP, il risque de s’attirer la colère des citoyens ordinaires, notamment ceux qui travaillent dans de petites entreprises ; ce qui, en retour, pourrait annoncer le début de sa fin. Si cela se produit, les entreprises et les politiques agricoles vont probablement se trouver libérées des chaînes qui les entravaient depuis si longtemps.
(D’après un original écrit en japonais le 14 mai 2013)