L'affaire Olympus et la responsabilité des médias japonais
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Immédiatement après le limogeage choquant par Olympus de son PDG, Michael Woodford, le 14 octobre dernier, j'ai été contacté par de nombreux journalistes, japonais et non-japonais. En effet, mon article dans le numéro d'août de Facta, qui exposait ce que j'avais appris de la bouche de M. Woodford sur les fusions et acquisitions douteuses réalisées par Olympus a été le déclencheur de cette affaire.
J'ai été étonné d'apprendre de mes collègues non-japonais qu'à l'époque, cette affaire était traitée en Europe et aux USA comme une nouvelle de tout premier plan, au point qu'elle apparaissait parfois dans les dépêches. Cette information concernant une entreprise japonaise recevait, par un renversement étonnant, plus d'attention à l'étranger qu'au Japon, et cela à un moment où l'Europe était ébranlée par la grave perte de confiance en sa stabilité.
Des propositions d'articles rejetées par les principaux organes de la presse écrite
Après la parution dans Facta de mon article sur Olympus, j'avais contacté les principaux organes de la presse écrite japonaise (à commencer par les quotidiens économiques, en incluant les magazines d'intérêt général et les magazines publiés par les grands quotidiens) parce que j'aurais voulu qu'ils écrivent des articles à ce sujet. Le rédacteur en chef de Facta, Shigeo Abe me l'avait recommandé en disant : « Je crains que si les médias ne suivent pas une affaire aussi importante, elle passe à la trappe. Tu devrais écrire des articles pour d'autres publications que la nôtre. »
Mes efforts cependant ne produisirent guère de résultats. Dans mes propositions à ces publications, je précisais que je disposais de toute la documentation prouvant ce que j'avançais, et qu'il était possible que cette affaire ait de grandes répercussions économiques. Elles ont cependant été ignorées. A part quelques exceptions, ces publications ne se sont même pas donné la peine de me répondre qu'ils avaient décidé de ne pas donner suite.
Confronté à la réaction à ce scandale, M. Woodford a déclaré : « Ce qui m'a fait le plus peur, c'est que les principaux médias japonais n'ont même pas voulu en parler. » En le voyant ensuite répondre en toute franchise aux médias japonais, j'étais et je suis préoccupé par son véritable état d'esprit.
Les autorités responsables d'enquêter sur ces scandales ont réagi avec le même retard que les médias japonais
Etant donné que chaque rédaction est libre de faire ses propres choix, il ne m'est pas possible de savoir pourquoi elles ont décidé de ne pas publier, mais je n'ai aucun mal à le deviner. Ces publications devaient craindre d'être poursuivies en justice dans la mesure où le problème n'était pas encore officiellement une affaire policière. Le fait qu'après son limogeage, M. Woodford ait quitté le Japon pour une destination inconnue, et qu'Olympus soit pour ces organes de presse un annonceur important y a peut-être aussi été pour quelque chose.
Les médias japonais ont commencé leur couverture un retard considérable, un contraste remarquable avec une chaîne de télévision britannique reconnue, qui a envoyé une équipe enquêter au Japon. Et les autorités d'investigation ont agi bien plus lentement que ne l'auraient fait leurs homologues britanniques ou américains. La conséquence en a été que les médias japonais qui se fient généralement aux fuites des autorités publiques ou d'investigation n'ont pu le faire cette fois-ci et se sont rapidement retrouvés à court d'informations. Après le début de novembre, lorsqu'on commençait à parler de l'affaire au Japon, deux ou trois médias japonais parmi les plus influents m'ont appelé sur mon portable pour me demander de l'aide ou solliciter un échange d'informations avec moi car ils n'avançaient pas dans leurs enquêtes.
Seul un vrai journalisme d'investigation garantit aux médias une bonne gestion des risques
Dans n'importe quel domaine, les professionnels doivent non seulement prendre eux-mêmes les risques mais aussi veiller à les limiter. Dans le cas des médias, cette diminution des risques ne doit pas être conçue comme la possibilité de fermer les yeux et de ne pas publier, mais comme la volonté de continuer à enquêter de manière à éventuellement pouvoir résister à des poursuites.
Si l'on critique les dirigeants d'Olympus, les membres extérieurs du conseil d'administration et les commissaires aux comptes d'avoir laissé la société agir au mépris des règles sans remplir leur mission de vérification, il faut aussi critiquer les médias japonais, pour ne pas avoir joué leur rôle de chien de garde en ne faisant aucun effort pour enquêter sur cette affaire et en n'osant pas la regarder en face.
Les médias seront-ils capables d'accueillir les lanceurs d'alerte ?
Mon propos n'est pas de me vanter. En toute honnêteté, si j'ai pu faire un papier sur l'affaire Olympus, c'est uniquement parce que j'ai eu la chance de rencontrer plusieurs informateurs qui étaient prêts à se sacrifier en me fournissant des informations. Ils ne se connaissaient pas entre eux, mais ils m'ont tous dit leur désir de faire d'Olympus une meilleure entreprise et leurs craintes de ne pas la voir survivre plus de dix ans si elle ne changeait pas. Il s'agit de personnes conscientes des problèmes, très déterminées, qui ne retiraient aucun bénéfice matériel des informations qu'ils me fournissaient. D'ailleurs, lorsque je leur ai proposé de les inviter à dîner pour les remercier de leur contribution, ils ont tous réagi de la même façon, s'écriant immédiatement, avec indignation, qu'il ne saurait en être question.
Chacun d'entre eux a une vie personnelle, une famille à protéger. Ils savaient les dangers auxquels ils s'exposaient en révélant à un journaliste des informations internes à la société. Leurs craintes à ce sujet étaient considérables. L'un d'entre eux m'a d'ailleurs envoyé ce SMS vers deux ou trois heures du matin : « Je suis rempli d'appréhension pour l'avenir en voyant ma famille dormir paisiblement. »
Maintenant que l'ancienne équipe dirigeante qui a mené l'entreprise à ses errements a été contrainte à la démission, il est permis de penser que ces hommes courageux ont gagné. Il ne s'agit en aucun cas d'une victoire de la plume mais de celle d'individus résolus.
Les médias sont-ils aujourd'hui capables de faire face à une volonté aussi forte, sont-ils capables de la recevoir ? Et les journalistes qui travaillent en première ligne de l'information, ont-ils la volonté de le faire ? L'affaire Olympus a agi comme le révélateur de toutes ces interrogations. (16 décembre, 2011)