L'école au Japon aujourd'hui
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L'éducation yutori (non stressante, sans pression) visait à donner aux enfants une aisance spirituelle et à les encourager à développer leur propre manière de voir les choses en diminuant leur charge de travail scolaire. Cette réforme avait fait baisser le nombre annuel d'heures d'enseignement, et introduit la semaine de cinq jours. Elle prévoyait notamment à l'intérieur du temps scolaire des heures d'apprentissage général pendant lesquelles les élèves pouvaient participer à des activités extra-scolaires ainsi qu'aux activités de la communauté à laquelle ils appartenaient. Mais après sa mise en place, les enquêtes internationales d'évaluation des compétences ont mis en évidence une baisse du niveau des écoliers japonais, et les nouvelles directives pour l'enseignement, qui seront appliquées à l'ensemble de l'enseignement obligatoire à partir d'avril prochain – l'année scolaire commence en avril au Japon, où l'école primaire dure six ans, et le collège trois –, ont l'objectif affiché de sortir du yutori. Elles comprennent une augmentation de 10 % des heures d'enseignement et énoncent de nouveaux buts, développement du raisonnement, du jugement du l'expression, et acquisition de connaissances et de compétences fondamentales et élémentaires.
La notion d'éducation non stressante n'était pas mauvaise
La notion vers laquelle tendait l'éducation yutori, sans pression, développer la faculté de penser de chacun, n'était, selon moi, pas absolument mauvaise. Si elle a posé problème, c'est sans doute parce que les enseignants et les parents d'élèves n'en étaient pas suffisamment imprégnés. Par conséquent, les mesures concrètes nécessaires pour en faire une réalité n'ont pas fonctionné comme elles auraient dû le faire dans les établissements d'enseignement.
Le système de l'enseignement de l'après-guerre faisait appel au bachotage, et sa priorité était de faire absorber aux élèves le plus grand nombre de connaissances possible. Cela n'a pas permis de développer suffisamment la volonté indépendante d'apprendre ni les capacités nécessaires pour développer son propre jugement. D'où un changement de cap, qui visait à passer d'un système de bachotage à l'idée d'un enseignement sans pression. Cette réforme s'est traduite par une diminution du nombre d'heures d'enseignement, la création d'heures d'apprentissage général qui donnaient aux enfants la possibilité d'acquérir des savoirs très variés en fonction de ce que chaque école prévoyait dans ce cadre, ainsi que des enseignements optionnels qui permettaient aux enfants de développer des savoirs qui accordaient une grande importance aux spécificités de chaque enfant.
Mais la mise en place efficace de ces heures d'apprentissage général, dont le contenu était libre, a demandé une énergie plus importante que prévu. La personnalité et les compétences individuelles des enseignants ont grandement influé sur le contenu de ces heures, et cela a abouti à de grandes différences entre les initiatives des écoles. Elles ont trop souvent choisi la facilité en remplissant ces heures avec la préparation de rencontres sportives ou des voyages scolaires. Quant aux enseignements optionnels, il s'est avéré d'une part que les enfants voulaient souvent tous faire la même chose, et d'autre part que la variété de ce que les établissements d'enseignement pouvaient offrir était limité par les contraintes matérielles de leurs équipements. Dans de nombreux cas, les enfants n'ont pas pu choisir les cours qu'ils souhaitaient suivre, et dans d'autres, tout aussi nombreux, les enseignants n'ont pas eu la force de développer des contenus créatifs. L'écart entre l'idée de l'enseignement sans stress et la réalité de sa mise en œuvre a été considérable, et il est indéniable que dans le milieu enseignant, on a eu l'impression que cette vision demandait trop des enseignants et n'était pas appropriée à leur réalité.
La trop forte diminution des heures d'enseignement qu'elle prévoyait a été un autre problème. Pour que les enfants puissent véritablement acquérir les connaissances de base, il faut garantir un certain nombre d'heures d'enseignement. Comme cela n'était plus le cas, il a fallu au contraire prévoir des heures complémentaires, ce qui a fait naître une nouvelle contrainte pour les établissements. On peut penser que, comme cette réforme a empêché les enfants d'acquérir les connaissances de base, elle n'a pas permis de réaliser ce qui était un de ses grands buts, à savoir développer la faculté de penser seul des élèves.
Je ne remets pas en question le fait que le système de l'enseignement de l'après-guerre a soutenu la croissance économique rapide du Japon après la guerre. La méthode d'enseignement basée sur le bachotage, qui permettait aux élèves de trouver la bonne réponse a assurément fonctionné au moment où l'économie japonaise ne cessait de croître. Mais maintenant que l'économie est entrée dans une période de maturation où elle ne croît plus beaucoup, et que nous vivons dans une société secouée par de grands changements, où cohabitent toutes sortes de sens des valeurs, il faut absolument que les élèves aient la volonté d'apprendre pour et par eux-mêmes, et la capacité de juger par eux-mêmes. Il me semble tout à fait louable d'avoir décidé de changer drastiquement notre politique éducative. Au risque de me répéter, je tiens à souligner que les objectifs que se donnaient l'enseignement sans pression n'étaient pas si mauvais.
A mon avis, les nouvelles directives introduites dans les écoles primaires depuis la rentrée 2011, et qui le seront dans les collèges à partir d'avril prochain, date de la rentrée 2012, ne le remettent d'ailleurs pas en question mais marquent une évolution importante, puisqu'elles comprennent des méthodes pratiques pour résoudre les problèmes causés par l'enseignement yutori. En garantissant un volume d'heures d'enseignement plus conséquent, elles indiquent l'importance de donner aux élèves la possibilité d'acquérir les connaissances fondamentales et élémentaires dans chaque matière, et de développer les facultés de raisonnement, de jugement et d'expression, parvenant ainsi à un équilibre entre ces deux pôles.
Je suis aussi favorable à l'importance accordée au thème de l'activité verbale des élèves, qui ne concerne pas seulement le japonais, mais souligne l'importance de développer les capacités verbales des élèves dans toutes les matières. Dans une société où les familles sont de plus en plus nucléaires et non élargies, où les contacts avec la parentèle sont moins forts, et où la faculté de communication des enfants est détournée par la diffusion des moyens de communications électroniques comme les SMS, se réapproprier cette faculté et viser à une meilleure communication verbale est à mes yeux une des missions essentielles de l'école pour permettre aux enfants de construire leur futur.
Je pense que l'introduction des nouvelles directives aboutira jusqu'à un certain degré à une amélioration de la performance des élèves, mais je suis moins certain que cela permettra de développer la « force vitale » dont elles parlent : cela dépendra de la compréhension de cet objectif non seulement par les élèves mais aussi par l'ensemble de la communauté scolaire, y compris les parents d'élèves, et de la manière dont les activités d'enseignement reflèteront concrètement cet objectif.
Qu'ils soient autonomes, capables de contribuer à la société
Quelles sont les initiatives que nous avons prises au collège Wada ?
Ce collège, le premier à Tokyo à accueillir un principal venu de la société civile, en 2003, a réalisé des réformes de grande ampleur. Je lui ai succédé en 2008, il y a quatre ans, et le collège fêtera ses dix ans de réforme l'an prochain. Mon prédécesseur Kazuhiro Fujiwara et moi-même n'avions pas le même âge, ni la même carrière au moment de notre prise de fonction, et nos méthodes de gestion sont aussi très différentes. Ce que nous avons en commun, c'est notre forte volonté de faire des enfants des personnes autonomes dans la société, en nous fondant sur notre expérience dans le secteur privé.
« Une contribution autonome : faire son mieux pour réaliser ses rêves, et devenir une personne capable d'apporter sa contribution à la société ». Tel est l'objectif du collège Wada, sa vision éducative. Je pense que nous vivons aujourd'hui une époque où les enfants et les jeunes doivent avoir des rêves et des espoirs. Mais je veux que même s'ils connaissent l'échec et le désespoir, ils soient capables de ne pas perdre de vue leurs rêves et leurs attentes, et qu'ils soient des acteurs dans la nouvelle société, sachant penser indépendamment. Cette pensée est incluse dans notre vision. Il est bien sûr important que les collégiens fassent des efforts pour réussir les examens d'entrée au lycée. Mais ce qui compte encore plus à mes yeux, c'est que depuis l'âge de treize ans, au moment où ces élèves quittent l'enfance, ils commencent à penser à leur façon de vivre une fois qu'ils seront adultes, à agir non seulement en fonction de leur bien individuel, mais à réfléchir à leurs devoirs en tant que membres de la société. Mon sentiment est qu'il est important qu'ils aient des égards pour les autres, sans aller jusqu'à parler de sacrifice, et de veiller à ce qu'ils aient conscience de la manière dont ils peuvent contribuer.
Je pense que si le collège Wada a pu appliquer toutes sortes de réformes, c'est parce que nous avons une image claire des élèves que nous voulons former. En d'autres termes, le fait que la vision d'une contribution autonome soit connue bien sûr par tous les élèves, tous les enseignants, tous les parents d'élèves, et toute la communauté locale, qu'elle soit comprise et approuvée, que tout le monde se dirige dans la même direction, a joué un grand rôle dans la mise en place de ces réformes.
Découvrir la société dans un cours
Cette matière est une manifestation concrète de notre vision éducative. Dans le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui, il existe toutes sortes de questions auxquelles il est impossible d'apporter une réponse simple. Chacun y sera confronté une fois adulte, et devra y réfléchir, parfois douloureusement. Voilà pourquoi il est important de prendre l'habitude de penser en groupe à ce genre d'interrogations dès le collège.
Voici quelques exemples des questions abordées par cette matière : les collégiens ont-ils besoin de portables ? faut-il que Tokyo accueille les Jeux olympiques ? un collégien qui souffre d'un cancer doit-il en être informé ? que se passerait-il dans notre quartier si une base militaire s'y implantait ? doit-on autoriser le clonage humain ? Pour approfondir la réflexion de nos élèves, nous invitons au collège des médecins, des avocats, des sportifs, des politiciens, des artisans et des employés de la mairie.
En 2010, Murata Renho, ministre des réformes administratives, a donné un cours dans notre collège sur la nécessité d'avoir ou non des allocations familiales.
J'ai été fier de nos collégiens sûrs d'eux, qui exprimaient leur avis devant elle en toute franchise : « chez moi, les allocations familiales ne sont pas utilisées pour notre éducation, et je pense que souvent elles sont en réalité utilisées comme argent pour faire vivre les familles », « redistribuer l'argent collecté sans plus de manière n'a aucun sens. Il faudrait que les allocations aient une valeur ajoutée que seule la politique peut leur donner ». Si nous implantons chez nos élèves une disposition d'esprit fondamentale, à savoir comprendre que toutes sortes d'idées cohabitent que dans la société, en les rendant non seulement plus conscients des différents thèmes mais aussi en les mettant en contact avec des personnes d'opinions diverses, ils apprennent à penser plus en profondeur.
Mais à mon avis, organiser des cours où interviennent des personnalités extérieures seulement deux ou trois fois par an n'a aucun sens, car cela ne permettra pas de faire évoluer la conscience des élèves. Dans la matière « Le monde autour de nous », que j'enseigne moi-même, les élèves de première et de deuxième années ont dix cours d'une heure (45 minutes en réalité) par an, un par mois, et ceux de troisième année, deux heures (donc quatre-vingt-dix minutes) toutes les deux semaines, ou vingt fois par an. Par ailleurs, tous les élèves écrivent chaque mois un texte de deux cents caractères, dans le cadre des « Nouvelles du cours le monde autour de nous », et nous avons aussi un cours « Le futur du cours le monde autour de nous », où nous invitons des artisans qui s'adressent à tous les élèves d'une classe d'âge. Mon projet est de faire en sorte que tous les élèves pendant leur scolarité au collège aient des contacts avec environ une cinquantaine de personnalités extérieures de premier plan. La continuité est ce qui fait la force de cette matière.
Enfin, depuis l'année scolaire 2010, les cours de cette matière sont faits en utilisant une tablette iPad. Nous avons mis au point une application par laquelle tous les élèves d'une classe partagent en temps réel ce qu'ils ont écrit, ce qui leur permet plus d'échanges en cours, parce que nous voulons qu'ils puissent apprendre la diversité.
Ces initiatives ont un impact : depuis trois ans les indices qui mesurent « la compréhension des motifs et du raisonnement », « l'approche active des sujets qui intéressent », et « le respect des autres opinions », des éléments essentiels de l'envie d'apprendre, ont progressé significativement. (Diagramme 1)
La force d'une communauté locale
Un des thèmes importants pour la gestion du collège est la création de liens entre lui, les familles et la communauté où il se trouve.
Dans notre collège, nous pensons qu'une bonne communauté locale fera un bon collège, et que les efforts intenses que tous feront pour créer ce bon collège permettront de réaliser une bonne communauté locale. Nous avons donc lancé il y a huit ans un « centre de la communauté » qui permet aux habitants du secteur de soutenir l'école. Alors qu'aujourd'hui les liens au sein des communautés locales deviennent de plus en plus ténus, nous avons décidé de lancer des activités pour permettre à la population locale de soutenir le collège et d'inclure dans notre gestion du collège toutes les ressources que possèdent le quartier. Tout a commencé par des choses élémentaires : nous avons ouvert la bibliothèque de l'école aux habitants, en leur demandant de jouer le rôle de bibliothécaires, et nous leur avons demandé de prendre soin de nos pelouses. Puis les activités se sont peu à peu élargies : des étudiants qui se destinaient à l'enseignement ont créé des cours du samedi, en anglais et d'autres matières. Le « cours du soir spécial », offert en collaboration avec une société privée, dont les médias ont parlé, fait aussi partie de nos activités locales. Actuellement, près de deux cents élèves viennent tous les samedis au collège pour suivre des cours organisés par le « centre de la communauté ». Grâce à toutes ces initiatives, le collège Wada, qui était il y a sept ans l'un des plus faible des 23 que compte l'arrondissement de Suginami n'a cessé de s'améliorer, et depuis l'an dernier, il est un des plus forts de l'arrondissement qui est bien classé dans la préfecture de Tokyo. (Diagramme 2)
Il ne faut pas à mon avis, faire trop grand cas de cette enquête sur le niveau de connaissances de nos élèves, car déterminer ce qui l'a fait progresser est plutôt difficile. Mais il va sans dire que nous n'aurions pas eu ces résultats sans la réforme des cours, et sans les activités éducatives que sont le respect des règles de politesse au sein de l'école, une bonne coordination avec les familles pour garantir que les élèves se couchent tôt, se lèvent tôt, et prennent un bon petit-déjeuner, et une bonne communication entre le collège et la communauté locale.
Les forces et les faiblesses du système éducatif japonais, telles qu'elles sont apparues après le séisme et le tsunami
Après le séisme, les médias étrangers ont chanté les louanges de la conscience collective des Japonais, ou de leur sens du devoir. A cet égard, le système éducatif japonais tel qu'il a été a montré ce qu'il savait produire.
Les dirigeants politiques et économiques, quant à eux, sont souvent critiqués pour leurs comportements indécis, mais il faut considérer que la question ne concerne pas seulement certains d'entre eux, mais aussi nous-mêmes, car elle porte sur les orientations futures de la société. Si ce sens de responsabilité manque chez les Japonais, ne serait-ce pas la faute de l’éducation ?
Nous devons veiller à ne pas reproduire avec les nouvelles directives pour l'enseignement l'écart constaté dans le cas de l'enseignement yutori, sans pression, entre l'idéal de la politique nationale et la réalité des établissement d'enseignements. Pour ne pas répéter les mêmes erreurs, ce qui compte d'abord est « l'aptitude à penser indépendamment » qui sache inclure à la fois les politiciens et les écoles, la force qui permettra aux enfants de prendre leur indépendance dans la société de demain.
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