Cap sur les îles les plus fascinantes du Japon
Les îles Gotô : sur les traces des « chrétiens cachés » du Japon
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Des chrétiens cachés découverts par un prêtre français au Japon
Le christianisme est introduit au Japon en 1549 par le missionnaire jésuite espagnol François-Xavier et se répand rapidement dans l’île de Kyûshû, où se trouve la ville de Nagasaki. Ômura Sumitada, qui a ouvert le port de Nagasaki aux étrangers, est le premier daimyô (seigneur de province) à se convertir à cette religion en 1562. Cependant, le seigneur Toyotomi Hideyoshi tente d’interdire le christianisme par ordonnances en 1587 puis en 1596.
Au début de l’époque d’Edo (1603-1868), l’opposition au christianisme s’intensifie progressivement : le shogunat l’interdit dans les régions sous son contrôle direct en 1612, puis à l’ensemble du pays en 1613. Un an plus tard, la plupart des missionnaires sont expulsés du Japon. De plus, avec la mise en place de la politique d’isolement du Japon au milieu du XVIIe siècle, la répression s’accentue : elle durera au total plus de 250 ans.
Malgré cette situation très difficile, les chrétiens d’Urakami, le village au nord de Nagasaki, transmettent en secret leur foi à leurs enfants. Plus de deux siècles plus tard, en 1865, le missionnaire catholique français Bernard Petitjean fera la « découverte » de ces descendants chrétiens.
Quelques années plus tôt, en 1859 (année suivant l’ouverture du Japon), Bernard Petitjean est envoyé au Japon pour prêcher la bonne parole. Il s’installe à Nagasaki et fait construire l’église d’Ôura. Peu de temps après son ouverture, alors que le père était agenouillé pour offrir une prière, quinze chrétiens cachés – les kakure kirishitan en japonais – venant d’Urakami s’approchent de lui pour lui révéler leur foi. Petitjean, profondément ému, transmet cette nouvelle aux autorités catholiques en Europe. Cette découverte « miraculeuse » fait le tour du monde chrétien.
Départ du port de Nagasaki vers les îles Gotô
Cette année, soit près de 150 ans après cette découverte, les « sites des chrétiens cachés de la région de Nagasaki » ont été inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est sur les îles Gotô, dans la préfecture de Nagasaki, que se trouvent les plus importants sites de cet héritage. L’archipel est accessible par bateau depuis plusieurs ports. Je choisis de partir depuis le port de Nagasaki, un point de départ incontournable pour se lancer dans un voyage sur les traces du christianisme japonais.
Le nom officiel de l’église d’Ôura est « Basilique des Vingt-Six Saints Martyrs du Japon ». C’est une église dédiée aux 26 chrétiens qui ont été exécutés le 5 février 1597 sur ordre de Toyotomi Hideyoshi. Longtemps révérés en Europe comme les premiers martyrs du Japon, ils ont été canonisés en 1862. Deux ans plus tard, l’église construite sous les ordres du missionnaire Petitjean est nommée en leur honneur. Elle est dirigée vers le quartier de Nishizaka à Nagasaki, lieu du martyre des 26 saints.
La façade de l’édifice est surmontée d’une belle flèche octogonale. À l’intérieur, les vitraux laissent filtrer la lumière extérieure, qui confère une atmosphère solennelle et mystérieuse à l’église. On ne peut qu’imaginer l’émotion des quinze kakure kirishitan admirant les vitraux dans l’église, alors qu’ils ont pratiqué leur foi en secret pendant toute leur vie. Ils avaient décidé de se rendre à l’église en prétextant une visite du « temple français », comme elle était surnommée par les habitants de la ville à cette époque.
Visite des îles où se sont réfugiés les chrétiens cachés
On peut rejoindre les îles Gotô depuis le port de Nagasaki par ferry ou hydroptère. Pour les voyageurs qui ont du temps, il est recommandé de prendre le ferry et d’apprécier la traversée depuis le pont du navire. Le premier bateau quitte le port à 8h05.
Depuis l’époque d’Edo, de nombreux chrétiens cachés ont trouvé refuge sur les îles Gotô. Malgré la « découverte de chrétiens » au Japon en 1865, qualifiée de miracle par les autorités catholiques en Europe, l’interdiction de pratiquer la religion continue sous le gouvernement Meiji jusqu’à son abrogation en 1873. Cette découverte incite de nombreux kakure kirishitan à faire connaître leur foi publiquement. Ceci aura pour conséquence d’intensifier les persécutions envers les chrétiens jusqu’à la levée de l’interdiction 12 ans plus tard, notamment au cours de l’ « Urakami Yoban Kuzure », une opération de répression particulièrement violente dans le village d’Urakami. Les autorités japonaises ont également effectué une descente sur les îles Gotô, appelée « Gotô kuzure ».
Le bateau arrive comme prévu au port de Fukue à 11 h 15. Il est recommandé de louer une voiture sur place pour pouvoir se déplacer librement car les bus sur l’île de Fukue – la plus grande de l’archipel – ne desservent les arrêts que quelques fois par jour. C’est donc en voiture que je me lance dans ma tournée des églises. Je visite d’abord l’église de Dôzaki dans le district d’Okuura, au nord du port de Fukue. C’est la première église à avoir été bâtie dans les îles Gotô, en 1880, après la levée de l’interdiction. C’est un bel édifice de style gothique fait en briques rouges.
Ma prochaine destination est le quartier de Tamanoura à l’extrémité ouest de l’île, où se trouve l’église d’Imochiura, connue pour être la première « grotte de Lourdes » du Japon. Suite à la création d’une réplique de la grotte de Lourdes au Vatican en 1891, de nombreuses autres sont construites à travers le monde. En 1899, une réplique ornée d’une statue de Marie est créée à l’église d’Imochiura. Plus tard, d’autres répliques ont été fabriquées dans les églises catholiques de tout le Japon.
J’arrive en soirée au site des monuments funéraires catholiques de Fuchinomoto, au nord-ouest de la péninsule de Miiraku, alors que le soleil se couche sur la mer de Chine orientale. C’est un lieu empreint de solennité et de gravité, évoquant la foi inébranlable des chrétiens japonais qui ont vécu avec courage malgré les persécutions.
Le patrimoine mondial des îles Gotô
Du port de Fukue, je prends un bateau vers le nord en passant par les îles de Hisaka et de Naru, puis par l’île de Nakadôri (la deuxième plus grande de l’archipel), pour enfin accoster sur l’île Kashiragashima. C’est ici que se trouvent les villages au cœur des « sites des chrétiens cachés de la région de Nagasaki ».
C’est sur l’île Kashiragashima que 200 personnes ont été torturées dans une petite pièce d’environ 20 mètres carrés pendant 8 mois. Ces victimes sont des chrétiens qui ont été capturés par les autorités sur l’île de Hisaka en 1868. Sur les lieux du martyre, une église a été érigée en hommage aux 42 personnes décédées au cours des tortures. Dans la partie orientale de l’île se trouve l’ancienne église de Gorin, bâtie sur un autre lieu en 1881 puis déplacée sur son emplacement actuel. C’est la plus ancienne église de la ville de Gotô. Elle est aujourd’hui abandonnée. Le style gothique et les rais de lumière provenant des fenêtres donnent une atmosphère surnaturelle à l’intérieur de l’église.
De nombreux kakure kirishitan ont vécu sur l’île de Naru. À la différence des chrétiens japonais qui ont rejoint l’Église catholique en recevant formellement le baptême après la levée de l’interdiction du christianisme, les kakure kirishitan ont continué de vivre selon leur propre foi, qui s’était peu à peu transformée au fil des années en l’absence de missionnaires européens. C’est sur cette île qu’au début de la période Meiji, des habitants du village d’Egami ont été baptisés par un prêtre français. Ils ont par la suite bâti l’église d’Egami. Malgré sa petite taille, l’église a été désignée en 2008 bien culturel important car elle est représentative des églises en bois japonaises. Pour l’anecdote, le village a été agréablement surpris de voir ses filets de pêche remplis bien plus que par le passé au cours de l’année 1917, alors que l’église était en pleine construction. Les habitants du village, reconnaissant, ont interprété cette pêche miraculeuse comme une « grâce de Dieu ».
L’île Kashiragashima est accessible par un pont depuis l’île de Nakadôri. Des chrétiens cachés venant de Tainoura de l’île de Nakadôri y ont établi un village et bâti une église au début de la restauration de Meiji. L’édifice a été construit avec des rochers de l’île, que les habitants ont soigneusement taillés puis empilés. Seule église en pierre de l’ouest du Japon, elle a une apparence extérieure imposante.
Des îles aujourd’hui désertes
La dernière étape de mon voyage est l’île de Nozaki, au nord-est de l’archipel. L’île comptait par le passé 600 habitants répartis dans trois villages. Elle est aujourd’hui déserte.
On peut y visiter l’ancienne église de Nokubi. En 1908, les chrétiens de l’île ont amassé les fonds nécessaires pour construire l’église. Ils n’étaient que 17 familles au total, et ont vécu de pêche et d’agriculture pour parvenir à mettre de l’argent de côté, ne mangeant que deux repas par jour.
Au sud de l’île, on peut trouver les traces du village de Funamori et de l’église de Setowaki, dont il ne reste que des murs en pierre. Le village est situé sur une pente raide : la vie des habitants devait être rude. À travers tout l’archipel ont été construites de magnifiques églises, mais il ne faut pas oublier que vivre dans ces petites îles ne devait pas être chose aisée.
Si vous avez un jour l’opportunité de visiter les îles Gotô, je vous recommande d’approfondir vos connaissances sur l’histoire des chrétiens cachés japonais : le voyage sera d’autant plus mémorable.
(Photos et texte : Kuroiwa Masakazu. Photo de titre : l’ancienne église de Nokubi)
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