Les raisons de la renaissance du saké dans le monde entier
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De plus en plus apprécié dans le monde
Les exportations de nihonshu (terme japonais plus formel pour le saké) ont augmenté chaque année. Leur volume a été quasiment multiplié par deux entre 2006 et 2016 et leur valeur par 2,5. Asahi Shuzô, producteur du célèbre Dassai, est l’un des éléments moteurs à l’origine de ce boom (le brasseur a par ailleurs mis son produit sur le marché américain pour la première fois en septembre 2023). En 2005, la petite brasserie de la préfecture rurale de Yamaguchi n’a expédié que 216 kilolitres de son produit. Au cours des années suivantes, cependant, le propriétaire a poursuivi une nouvelle stratégie audacieuse, se concentrant exclusivement sur le saké de première qualité, en petite quantité. Le pari a porté ses fruits, et en 2013, les ventes de l’entreprise ont été multipliées par 10. La réputation de Dassai s’est rapidement répandue parmi les chefs et les gourmets du monde entier. En avril 2018, Asahi Shuzô a ouvert un restaurant-boutique à Paris en collaboration avec Joël Robuchon.
Et à cela est liée l’augmentation du nombre de producteurs de saké hors des frontières du Japon. Loin d’être des installations établies à l’étranger par de grands brasseurs commerciaux japonais, ce sont au contraire des microbrasseries fondées par des amateurs de saké non japonais dans leur propre pays, comme la Grande-Bretagne, le Canada, la Norvège, l’Espagne et les États-Unis. (Voir article Saké à la londonienne : la première brasserie de saké de Grande-Bretagne pour apprendre comment la boisson gagne en popularité à l’étranger.)
Le saké est pratiquement devenu une obsession chez certains des meilleurs chefs et sommeliers du monde. Alain Ducasse a chargé un fabricant japonais de lui produire un saké conçu pour se marier avec la cuisine française. Le saké Premium figure sur les menus des meilleurs restaurants de New York, Paris et Hong Kong. De plus en plus, les chefs et les gourmets prennent plaisir à explorer les possibilités d’associer un saké raffiné à une cuisine raffinée, japonaise, mais aussi française, italienne, chinoise, vietnamienne ou thaïlandaise. La boisson nationale du Japon est devenue une boisson à l’échelle internationale.
Rien à voir avec le saké des générations passées
À première vue, la situation au Japon semble très différente. La production et les ventes de nihonshu dans leur ensemble ont continué de décliner d’année en année. En volume, à l’intérieur des frontières de l’Archipel, les ventes de saké représentent moins d’un tiers du niveau atteint en 1973, alors que l’industrie se portait bien. Cette tendance reflète un marché en déclin pour le saké bon marché produit en masse. Autrefois incontournable pour la consommation quotidienne et décontractée au Japon, ce saké a progressivement cédé des parts de marché à une sélection de bières, de whiskys, de vins et de liqueurs de plus en plus diversifiée. Délaissé par tout le monde, semblait-il, à l’exception des Japonais d’un certain âge et d’un certain standing, le nihonshu était il y a peu de temps encore considéré comme une relique du passé.
Mais la situation a bien changé, surtout au cours des dix dernières années. Au Japon comme ailleurs dans le monde, les sakés de type junmai et ginjô produits avec soin ont gagné en popularité, trouvant particulièrement et rapidement leur place chez les jeunes d’une vingtaine d’années, les femmes et la communauté internationale. Les marques difficiles à trouver de junmai ginjô ont pris une dimension mystique et ont déclenché ce qui s’apparenterait presque à un culte. Les médias ont réagi et alimenté l’engouement avec des critiques et des profils fréquents. (Le saké junmai (« riz pur ») est préparé à partir de riz, d’eau, de levure et de la bactérie kôji, sans addition d’alcool distillé. Le saké ginjô est un type spécial de saké haut de gamme produit à partir de riz extrêmement poli et fermenté à basse température.)
Pourquoi, après toutes ces années, le saké est-il soudain devenu un phénomène mondial ? Comment a-t-il conquis les jeunes consommateurs urbains du Japon plus soucieux de la mode qu’autre chose ? La réponse simple : le nihonshu a radicalement changé au cours des vingt dernières années alors que les fabricants les plus audacieux se sont efforcés de développer de nouvelles variétés distinctives, douces mais riches en saveur et en arôme, qui plaisent aux goûts cosmopolites. Le Japon a été témoin d’une révolution du saké, menée par une nouvelle génération de brasseurs-propriétaires.
L’ascension des brasseurs artisanaux
Les exemples ne manquent pas : Aoshima Takashi, le créateur de Kikuyoi. Dans ses jeunes années, Aoshima Takahashi a abandonné l’entreprise brassicole familiale pour faire une carrière prometteuse dans une société de bourse à New York. Mais après avoir vécu à Manhattan pendant quelques années, il s’est rendu compte que les paysages ruraux de la préfecture de Shizuoka lui manquaient. Retournant à la case départ, avec la culture de son propre riz biologique, il se lance dans le saké et a tiré le numéro gagnant. Ensuite, il y a Kuno Kuheiji, un ancien mannequin parisien qui a lancé la marque haut de gamme Kamoshibito Kuheiji, basée dans la préfecture d’Aichi, Usui Kazuki de Senkin Shuzô, qui a suivi une formation de sommelier avant de retourner dans la maison de ses ancêtres dans la préfecture de Tochigi pour s’occuper des affaires de sa famille. Bien que les spécificités de leurs carrières varient, chacun de ces innovateurs a d’abord fait son chemin dans un milieu différent avant de reprendre l’entreprise familiale et de la transformer avec une nouvelle approche de la production de saké.
Ce qui fait avant tout la différence avec leurs aînés, c’est leur détermination à se retrousser les manches pour enfiler la blouse de « propriétaire-brasseur » (par opposition à « propriétaire d’une brasserie »). Au lieu d’externaliser la production de saké aux tôji itinérants, ou maîtres brasseurs, comme l’avaient fait leurs pères et leurs grands-pères, ils ont pris le contrôle direct de chaque étape du processus afin de laisser leur griffe sur le produit. En intégrant de nouvelles technologies de brassage sophistiquées dans un processus artisanal traditionnel, ils ont pu créer des produits reflétant leurs propres idées basées sur la saveur et l’arôme du nihonshu. Dans le processus, ils ont bouleversé la sagesse conventionnelle au sujet du « bon saké », qui mettait l’accent sur un goût propre et sec qui s’attarde à peine sur la langue. Eux, ils recherchaient une saveur de saké complètement différente.
Un « prince » qui a mené la renaissance du saké
Peut-être l’archétype de ce nouveau type de producteur de saké : Takagi Akitsuna, propriétaire de Takagi Shuzô, XVe génération. Après avoir repris la brasserie vieille de plus de 400 ans de la préfecture de Yamagata en 1993 à l’âge de 21 ans, Takagi Akitsuna se consacra à la création d’un nouveau saké, de ses propres mains. Il recherchait une saveur riche et vibrante, assez différente de celle du saké sec et léger, très prisé, de l’époque. En 1999, il a lancé Jûyondai (littéralement, quatorze générations), avec un profil aromatique riche en umami et un arôme de fruits fraîchement cueillis. Jûyondai a tout d’abord gagné la faveur des citadins dans les régions de Tokyo et de Kyoto-Osaka, des consommateurs cosmopolites chez eux avec des plats et des vins occidentaux ou encore de la cuisine japonaise traditionnelle et moderne. Avec une production limitée, Jûyondai devint rapidement difficile à obtenir et par conséquent encore plus convoité.
C’est avec raison que Takagi Akitsuna a été surnommé le « prince de la renaissance du saké ». Dans les années 1990, le brassage du saké avait pris l’allure d’une industrie condamnée, en déclin. Beaucoup de petites brasseries autour du Japon avaient cessé leurs activités, et celles qui subsistaient faisaient du surplace. Dans un tel environnement, remplir son devoir d’héritier de l’entreprise familiale peut sembler une tâche ingrate. Le succès de Jûyondai a donné de l’espoir à une nouvelle génération de producteurs de saké en démontrant la viabilité d’un modèle d’affaires basé sur des ventes limitées de saké artisanal haut de gamme. Inspirés par l’exemple de Takagi Akitsuna, d’autres fabricants de saké se sont lancés dans l’art de produire du nihonshu premium. À mesure que ces marques haut de gamme proliféraient et attiraient de plus en plus d’adeptes, la concurrence entre les brasseurs s’intensifiait, ce qui permit de nouvelles avancées dans la technologie du saké.
Bien sûr, ce changement ne s’est pas produit du jour au lendemain. La tendance a commencé comme une simple ondulation à la surface de l’eau. Mais au cours des 10 dernières années, l’ondulation s’est transformée en une vague, changeant graduellement la production du saké à travers le pays.
Produits à la main avec les meilleurs ingrédients et intégrant des technologies de brassage de pointe, ces sakés artisanaux ne se prêtent pas à la production en quantité, et certains sont extrêmement difficiles à trouver. Mais leur attrait distinctif et séduisant a captivé non seulement les fans japonais mais aussi les professionnels gastronomiques du monde entier.
Le monde du saké est vaste, profond et complexe à l’infini, mais un peu de connaissance peut contribuer grandement à améliorer son plaisir. Dans cette série d’articles, nous vous présenterons des dernières tendances du nouveau monde du nihonshu, ainsi que les principes fondamentaux de la production du saké, de sa dégustation et de sa terminologie.
(Photos : Kawamoto Seiya. Remerciements au bar à saké MiwaMiya dans l’arrondissement de Suginami, Tokyo)