Les grandes figures historiques du Japon

Honda Sôichirô, l’homme qui a bâti l’empire Honda de ses « propres mains »

Économie

Itami Hiroyuki [Profil]

Un homme à la poursuite de ses rêves avec une formidable énergie qu’il savait transmettre aux autres. Un chef d’entreprise hors norme, qui, en valorisant absolument tous ses employés, a donné une envergure mondiale à Honda Motor, la firme qu’il a créée. Voilà en quelques mots comment on pourrait présenter Honda Sôichirô.

Se lancer des défis et réaliser l’impossible

En 1954, Honda Sôichirô annonce que Honda Motor participera à la prestigieuse course de moto Tourist Trophy de l’île de Man. À l’époque, l’entreprise est au bord de la faillite et c’est précisément parce que l’avenir est si incertain que Honda Sôichirô veut confronter ses employés à un aussi énorme défi. Le même scénario se reproduit en 1963, lorsqu’il prend la décision d’aligner des voitures dans les compétitions de Formule 1 alors que la situation de l’entreprise est au plus bas. Sans compter que le gouvernement japonais n’apprécie guère l’irruption de ce nouveau venu dans le marché de l’automobile au moment précis où il entend limiter le nombre des constructeurs. À chaque fois, personne ne croit que cette petite firme ambitieuse a la moindre chance de réussir. Mais Honda Motor réussit à prouver le contraire à ses détracteurs, même si la victoire n’est jamais facile. Honda Motor met ainsi mis au point des techniques et acquiert des compétences qui lui permettent de s’élever parmi les tout premiers constructeurs automobiles du monde.

Les motos et les voitures engagées dans des compétitions sont obligatoirement équipées de moteurs hautement compétitifs. En cherchant à améliorer leurs performances par tous les moyens, les jeunes ingénieurs de Honda Motor développent une grande expertise qui s’avère très précieuse quand il s’agit de mettre au point des véhicules de tourisme. Et ce sont les automobiles compactes de la marque Honda qui bénéficient particulièrement du savoir-faire acquis dans le cadre de la compétition. Les moteurs des prototypes de course doivent avoir un rendement énergétique optimal dans les pires conditions, ce qui pousse les ingénieurs de Honda Motor impliqués dans la Formule 1 à explorer à fond les techniques de gestion de la consommation de carburant. C’est dans ces conditions que naît le fameux moteur à combustion contrôlée par double chambre CVCC (Compound Vortex Controlled Combustion), mis au point en 1972. Cet engin révolutionnaire de par ses faibles émissions, son excellent rendement énergétique, sa simplicité d’entretien et sa fiabilité, assurent à Honda Motor un essor à l’échelle de la planète.

Un homme attentif à tous, y compris les plus modestes

Honda Sôichirô encourage les chercheurs qui travaillent dans les laboratoires de son entreprise à « se mettre à l’écoute du cœur humain », c’est-à-dire à se mettre totalement à la place des consommateurs de façon à leur proposer des produits vraiment adaptés. Mais il n’aime pas prendre des décisions en se fiant à des études de marché. « Nous avons une expertise technique que les clients n’ont pas. Nous ne pouvons pas nous fier à leur opinion pour savoir ce que nous devons faire » précise-t-il à l’époque.

Mais pour lui, « se mettre à l’écoute du cœur humain » doit aussi s’appliquer aux responsables de son entreprise vis-à-vis de leurs subordonnés. En effet, Honda Sôcihirô voue une grande considération pour les employés affectés à des tâches subalternes et les collaborateurs anonymes qui travaillent dans l’ombre.

« Chérir la main gauche » est l’une des autres phrases fétiches du PDG de Honda Motor, lui qui, en commençant par la réparation de bicyclettes, a toujours été un homme manuel. Quand on est droitier et que l’on utilise un marteau par exemple, l’essentiel de la tâche est effectué par la main droite. Mais la gauche a aussi son rôle crucial à jouer dans la mesure où c’est elle qui maintient les différents éléments en place. Autrement dit, quand les dirigeants et les cadres d’une entreprise ont droit à des félicitations, ils ne doivent surtout pas oublier que leur réussite repose aussi sur leur « main gauche », c’est-à-dire le labeur du personnel subalterne. Voilà quel était son message.

Soit dit en passant, la véritable main gauche de Honda Sôichirô est couverte de cicatrices, quarante-huit au total, et il manque cinq millimètres à l’extrémité de deux de ses doigts ! Autant de traces d’accidents du travail qui démontrent à quel point elle est utile à la tâche !

Honda Sôichirô en train de déjeuner en compagnie d’ouvriers dans la cantine de Honda Motor, vers 1960.

Suite > Un départ courageux qui a marqué les esprits pour longtemps

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Itami HiroyukiArticles de l'auteur

Président de l’Université internationale du Japon depuis 2017. Professeur émérite de l’Université Hitotsubashi depuis 2008. Spécialiste du management. Diplômé de la faculté des sciences commerciales de l’Université Hitotsubashi (1967). Titulaire d’un doctorat de l’Université Carnegie-Mellon (CMU) de Pittsburgh, aux États-Unis, obtenu en 1972. Il enseigne ensuite à la faculté des sciences commerciales de l’Université Hitotsubashi où il devient professeur titulaire en 1985. Il est également professeur à l’Institut de recherches sur l’innovation de l’Université des sciences de Tokyo, et professeur invité à l’Université Stanford, en Californie. Décoré de la médaille d’honneur au ruban pourpre du gouvernement japonais en 2005. Auteur de divers ouvrages dont Keiei senryaku no ronri (« La logique de la stratégie d’entreprise », Nihon Keizai Shimbun Shuppansha, 2012) et Ningen no tatsujin : Honda Sôichirô (« Honda Sôichirô : un expert en matière d’hommes », PHP Kenkyûjo, 2012).

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