Les grandes figures historiques du Japon
Honda Sôichirô, l’homme qui a bâti l’empire Honda de ses « propres mains »
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En 1948, Honda Sôichirô (1906-1991) fonde Honda Motor Co. Ltd, une firme à l’origine spécialisée dans la fabrication de motocyclettes. Quinze ans plus tard, en 1963, il élargit ses activités à la production de quatre-roues et devient le quatrième et le plus jeune constructeur automobile de l’Archipel. Son initiative audacieuse est couronnée de succès au point qu’à l’heure actuelle, Honda Motor figure au nombre des plus grands fabricants de voitures du monde.
Le PDG de Honda Motor quitte ses fonctions en 1973, à l’âge de 66 ans. Mais pour sa plus grande fierté, l’entreprise n’en continue pas moins à se développer sur le marché mondial. Ce gestionnaire et ingénieur hors pair a le grand mérite de transmettre à ses successeurs l’ADN et les ressources humaines dont ils ont besoin pour continuer dans son sillage après son départ.
Un constructeur automobile fasciné par la Formule 1
Honda Sôichirô naît le 17 septembre 1906 à Kômyô, un petit village de la préfecture de Shizuoka aujourd’hui englobée dans la ville de Hamamatsu. Son père est un modeste forgeron faisant aussi office de réparateur de bicyclettes. C’est lui qui transmet à son fils sa passion pour tout ce qui touche à la mécanique. À l’âge de 15 ans, le jeune garçon quitte son village natal pour Tokyo où il travaille en tant qu’apprenti dans un atelier de réparation de voitures. Il semble nourrir dès lors le rêve de devenir constructeur automobile.
Six ans plus tard, le patron de l’atelier invite le jeune Sôichirô à ouvrir un garage à Hamamatsu. Fort du succès de sa première entreprise, il en créé une seconde, en 1937. Cette nouvelle firme, appelée Tôkai Seiki, est spécialisée dans la production de segments de piston (anneaux fendus), des pièces qui jouent un rôle capital dans le fonctionnement des moteurs à explosion. En passant du statut de garagiste à celui de fabriquant de pièces détachées, Honda Sôichirô entame ainsi un premier pas vers la réalisation de son rêve.
Tôkai Seiki connaît un essor rapide jusqu’à ce que la défaite du Japon à l’issue de la Seconde Guerre mondiale vienne y mettre un terme. La période chaotique de l’immédiat après-guerre n’empêche pas toutefois Honda Sôichirô de continuer à aller de l’avant. Dès 1948, il fonde une troisième entreprise, la fameuse Honda Motor, où il commence à produire des motocyclettes. Il a alors 42 ans.
Grâce à son génie en matière de mécanique, les affaires de Honda Sôichirô prospèrent, si bien qu’à un moment donné, il se sent prêt à fabriquer des automobiles dans ses usines. C’est ainsi qu’en 1963, à l’âge de 57 ans, il réalise enfin son rêve de jeunesse. Loin de se reposer sur ses lauriers, il annonce aussitôt que des voitures de Honda Motor participeraient aux épreuves de Formule 1, la catégorie reine du sport automobile.
Un pari audacieux pour un constructeur dont la production en matière de quatre-roues se limite encore à des camionnettes de petite cylindrée… Mais Honda Sôichirô a confiance dans les capacités techniques de son entreprise. Après tout, ses motos dominent déjà les compétitions internationales. Il n’hésite donc pas à aligner dès 1964 des prototypes dans les courses de Formule 1, une première dans l’histoire de la construction automobile japonaise. Et l’année suivante, une des voitures de l’écurie Honda remporte le Grand Prix automobile du Mexique de F1 et une autre arrive à la 5e place.
Un dirigeant d’entreprise à la fois intraitable et très humain
En tant que dirigeant, Honda Sôichirô a un double visage. Pour aller de l’avant, il explore de nouvelles voies avec une telle exigence du point de vue du travail qu’il se montre parfois d’une extrême sévérité. Mais il sait également faire preuve d’une grande humanité ainsi que d’une considération et d’une compréhension naturelles pour ceux qui le secondent. C’est sans doute pourquoi ses collègues et ses employés restent d’une loyauté à toute épreuve à son égard, malgré l’intransigeance dont il est capable dans le cadre du travail. La façon dont cet homme à la main de fer dans un gant de velours dirige son entreprise lui vaut d’être aimé et respecté par tous.
Se lancer des défis et réaliser l’impossible
En 1954, Honda Sôichirô annonce que Honda Motor participera à la prestigieuse course de moto Tourist Trophy de l’île de Man. À l’époque, l’entreprise est au bord de la faillite et c’est précisément parce que l’avenir est si incertain que Honda Sôichirô veut confronter ses employés à un aussi énorme défi. Le même scénario se reproduit en 1963, lorsqu’il prend la décision d’aligner des voitures dans les compétitions de Formule 1 alors que la situation de l’entreprise est au plus bas. Sans compter que le gouvernement japonais n’apprécie guère l’irruption de ce nouveau venu dans le marché de l’automobile au moment précis où il entend limiter le nombre des constructeurs. À chaque fois, personne ne croit que cette petite firme ambitieuse a la moindre chance de réussir. Mais Honda Motor réussit à prouver le contraire à ses détracteurs, même si la victoire n’est jamais facile. Honda Motor met ainsi mis au point des techniques et acquiert des compétences qui lui permettent de s’élever parmi les tout premiers constructeurs automobiles du monde.
Les motos et les voitures engagées dans des compétitions sont obligatoirement équipées de moteurs hautement compétitifs. En cherchant à améliorer leurs performances par tous les moyens, les jeunes ingénieurs de Honda Motor développent une grande expertise qui s’avère très précieuse quand il s’agit de mettre au point des véhicules de tourisme. Et ce sont les automobiles compactes de la marque Honda qui bénéficient particulièrement du savoir-faire acquis dans le cadre de la compétition. Les moteurs des prototypes de course doivent avoir un rendement énergétique optimal dans les pires conditions, ce qui pousse les ingénieurs de Honda Motor impliqués dans la Formule 1 à explorer à fond les techniques de gestion de la consommation de carburant. C’est dans ces conditions que naît le fameux moteur à combustion contrôlée par double chambre CVCC (Compound Vortex Controlled Combustion), mis au point en 1972. Cet engin révolutionnaire de par ses faibles émissions, son excellent rendement énergétique, sa simplicité d’entretien et sa fiabilité, assurent à Honda Motor un essor à l’échelle de la planète.
Un homme attentif à tous, y compris les plus modestes
Honda Sôichirô encourage les chercheurs qui travaillent dans les laboratoires de son entreprise à « se mettre à l’écoute du cœur humain », c’est-à-dire à se mettre totalement à la place des consommateurs de façon à leur proposer des produits vraiment adaptés. Mais il n’aime pas prendre des décisions en se fiant à des études de marché. « Nous avons une expertise technique que les clients n’ont pas. Nous ne pouvons pas nous fier à leur opinion pour savoir ce que nous devons faire » précise-t-il à l’époque.
Mais pour lui, « se mettre à l’écoute du cœur humain » doit aussi s’appliquer aux responsables de son entreprise vis-à-vis de leurs subordonnés. En effet, Honda Sôcihirô voue une grande considération pour les employés affectés à des tâches subalternes et les collaborateurs anonymes qui travaillent dans l’ombre.
« Chérir la main gauche » est l’une des autres phrases fétiches du PDG de Honda Motor, lui qui, en commençant par la réparation de bicyclettes, a toujours été un homme manuel. Quand on est droitier et que l’on utilise un marteau par exemple, l’essentiel de la tâche est effectué par la main droite. Mais la gauche a aussi son rôle crucial à jouer dans la mesure où c’est elle qui maintient les différents éléments en place. Autrement dit, quand les dirigeants et les cadres d’une entreprise ont droit à des félicitations, ils ne doivent surtout pas oublier que leur réussite repose aussi sur leur « main gauche », c’est-à-dire le labeur du personnel subalterne. Voilà quel était son message.
Soit dit en passant, la véritable main gauche de Honda Sôichirô est couverte de cicatrices, quarante-huit au total, et il manque cinq millimètres à l’extrémité de deux de ses doigts ! Autant de traces d’accidents du travail qui démontrent à quel point elle est utile à la tâche !
Un départ courageux qui a marqué les esprits pour longtemps
Honda Motor doit indéniablement son développement au niveau mondial au génie en matière de mécanique de Honda Sôichirô. Mais Fujisawa Takeo (1910-1988), avec qui il fonde l’entreprise en 1948, joue de même un rôle déterminant dans sa réussite. Il sauve en effet Honda Motor à deux reprises, quand la firme est au bord de la faillite. Fujisawa Takeo est un homme de grand talent qui seconde Honda Sôichirô tout au long de sa carrière avec la seule ambition de permettre aux immenses capacités de ce bricoleur dans l’âme de s’exprimer pleinement. Et ce faisant, il contribue grandement à l’expansion rapide du constructeur automobile.
À partir de la fin des années 1970, Honda Sôichirô est dépassé par le rythme très rapide des innovations techniques et son style plus que jamais autoritaire commence à mal passer auprès de certains de ses jeunes collaborateurs. Ce que voyant, Fujisawa Takeo annonce brusquement qu’il a l’intention de démissionner, en 1973. La signification de son geste n’a pas échappé à Honda Sôichirô qui décide peu après de quitter à son tour ses fonctions. Il est remplacé en tant que PDG par Kawashima Kiyoshi (1928-2013), un ingénieur de 45 ans qui est le premier diplômé de l’université engagé par Honda Motor en 1948. Ce changement soudain de génération à la tête de l’entreprise fait lui aussi partie intégrante de l’héritage de Honda Sôichirô. Cette pratique est en effet devenue une tradition que Honda Motor conserve jusqu’à ce jour.
(Photographies avec l’aimable autorisation de Honda Motor Co. Ltd. Photo de titre : Honda Sôichirô dans le showroom de Honda Motor d’Aoyama, devant la célèbre McLaren-Honda MP4/4. En 1988, ce prototype a littéralement écrasé la concurrence, en remportant 15 des 16 Grands Prix de la saison de Formule 1.)