Les grandes figures historiques du Japon

Donald Keene : une vie dévouée à la cause de la littérature japonaise

Culture

Le grand spécialiste de la littérature et de la culture japonaises Donald Keene est mort à Tokyo en 2019, à l’âge de 96 ans. Tout au long de sa vie, il s’est efforcé de diffuser la langue et la civilisation japonaises dans les pays anglophones, comme son contemporain René Sieffert (1923-2004) en France. Cet article retrace le parcours exceptionnel d’un érudit doublé d’un traducteur hors pair. Tout a commencé il y a près de 80 ans, le jour où dans une librairie de New York, il a acheté un exemplaire du Dit du Genji traduit en anglais, un monument de la littérature japonaise.

Un apprentissage du japonais en temps de guerre

Pendant dix-sept mois, de février 1942 à juin 1943, Donald Keene s’est plongé dans l’étude du japonais. Beaucoup de ses professeurs étaient des Américains d’ascendance nippone et le manuel de référence était le fameux Hyôjun nihongo dokuhon (Manuel de japonais standard) de Naganuma Naoe (1894-1973). Outre l’acquisition d’un niveau de lecture et d’écriture comparable à celui d’un Japonais de langue maternelle instruit, les élèves de l’école de l’US Navy devaient apprendre à déchiffrer des textes écrits à la main, entre autres les lettres, les notes journalières ou tout autre document manuscrit susceptible d’intéresser l’armée. Le dévouement des enseignants américains d’origine japonaise à leur égard a grandement contribué au développement d’une solide relation de confiance.

À l’issue de cette formation intensive, Donald Keene a été envoyé à Pearl Harbor en tant qu’agent de renseignement de la marine américaine. Il a ensuite été affecté successivement dans les îles Aléoutiennes (Alaska) de Attu, Kiska et Adak, aux Philippines et dans les îles d’Okinawa et de Guam. Il a traduit en anglais des documents militaires japonais, lu des journaux écrits par des soldats capturés par les Américains et servi d’interprète dans le cadre d’interrogatoires de prisonniers de guerre. Grâce aux relations de confiance qu’il avait nouées avec les enseignants nippo-américains de l’UCB, Donald Keene n’a éprouvé aucune haine vis-à-vis des Japonais qu’il a rencontrés sur les champs de bataille. Il dit même avoir été profondément touché par les sentiments exprimés dans les journaux qu’il a eu en mains. L’intérêt qu’il a dès lors porté à cette forme d’écriture est devenu si vif qu’il lui a consacré un des ouvrages les plus remarquables de la fin de sa vie à savoir Travelers of a Hundred Ages (Les voyageurs au fil des siècles, Columbia University Press, 1999) où il a compilé des extraits de notes journalières écrites par des Japonais entre 850 et 1850, soit un millénaire.

Donald Keene (debout, au centre) avec des Américains d’origine japonaise placés sous ses ordres, à l’époque où il a été affecté à Okinawa en tant que traducteur et interprète de l’US Navy, d’avril à juillet 1945. (Avec l’aimable autorisation du Centre Donald Keene de Kashiwazaki)

La guerre a pris fin en août 1945, plus vite que Donald Keene n’avait imaginé. Le jeune Américain est rentré à New York et il s’est réinscrit à l’Université Columbia pour des études de troisième cycle en histoire de la pensée japonaise. Après l’obtention d’une maîtrise, en 1947, il a fréquenté l’Université Harvard, dans le Massachussetts pendant un an, et l’année suivante, il s’est rendu en Angleterre où il a entamé des recherches à l’Université de Cambridge. En 1951, il a obtenu un doctorat en littérature de l’Université Columbia sur le thème du théâtre de marionnettes (bunraku) du grand dramaturge Chikamatsu Monzaemon (1653-1725).

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