Quand gourmandise rime avec plaisir
Les râmen, plébiscitées par les Japonais
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Né à Aomori, goûter aux râmen de nombreux restaurants était déjà un passe-temps lorsque j’étais lycéen. À mon entrée à l’université à Tokyo, j’ai commencé à vivre seul. Avoir la liberté de choisir mes repas a renforcé mon intérêt pour les râmen, d’autant plus qu’à Tokyo, j’ai découvert des variantes introuvables à Aomori.
Pour moi qui ne connaissais que les râmen servies dans un bouillon maigre à base de poisson séché assaisonné de sauce de soja, les râmen à la mode de Hakata ou de Yokohama, avec leur riche bouillon à base d’os de porc mijotés, ont constitué un véritable choc. Je me souviens avoir sillonné la ville sur ma moto, à la recherche du bouillon le plus riche possible.
Étudiant, je mangeais des râmen tous les midis. Mon université avait des campus à Shibuya et Yokohama, deux hauts lieux de la culture des râmen ; je déjeunais donc chaque jour dans un restaurant différent. À force de comparer mon avis à celui de mes camarades, j’ai fini par fonder le Cercle d’étude des râmen, reconnu par l’université. C’est ainsi que j’ai pu participer à l’émission télévisée Le championnat des râmen ; ma présence dans les médias m’a conduit à faire de ce passe-temps mon métier.
La base : un bol de râmen par jour
C’est en 2004 que j’ai pour la première fois supervisé un guide gastronomique sur les râmen dans la préfecture d’Aomori. Jusque-là, j’avais déjà écrit des articles pour des magazines, mais c’était la première fois que je rédigeais un livre entier. Il m’a fallu visiter plus d’une centaine de restaurants en deux mois, à un rythme soutenu. Le succès de ce premier guide a débouché sur la rédaction d’une vingtaine d’autres livres sur les râmen en dix ans.
Ces dernières années, je travaille de plus en plus pour la télévision, mais la base de mon travail reste la dégustation quotidienne de râmen variées. Je m’intéresse également aujourd’hui à d’autres genres culinaires, comme le yakiniku ou les sushis, ce qui fait que je mange moins de râmen qu’autrefois, mais, malgré tout, je continue à en avaler au moins un bol par jour, sans relâcher mes efforts de recherche.
Il ne faut pas sous-estimer les râmen. Elles constituent un fonds commun à tous les Japonais, et les amateurs de râmen sont nombreux. Elles m’ont permis de me faire des amis dans les rangs des P.-D.G. de grandes entreprises, des sportifs connus, des actrices ou encore des stars du petit écran. Ces relations et ce qu’elles m’ont appris me permettront à l’avenir de travailler encore plus efficacement à la promotion du secteur des râmen.
Brève histoire des râmen
Voyons comment les râmen du Japon ont vu le jour.
Tout d’abord, faisons le point sur ce que sont les râmen : un plat composé de nouilles dans un bouillon et agrémentées de divers ingrédients.
Le bouillon est à base d’os de porc, de carcasse de poulet ou de produits de la mer (sardines séchées, copeaux de bonite séchée, algue konbu). En y adjoignant des légumes aromatiques, la forte odeur animale s’efface pour laisser place à des saveurs complexes. Ce bouillon est ensuite décliné en goûts variés, grâce à un assaisonnement de sauce de soja, miso ou sel.
Les nouilles sont confectionnées avec de la farine de blé et du kansui, une eau alcaline qui leur confère leur texture particulière.
À l’origine, les râmen étaient des nouilles utilisées en cuisine chinoise. Au fil du temps, elles ont adopté le nom de « soba de Chine » ou « soba chinoises », et sont devenues un plat largement apprécié de tous les Japonais.
Les premières râmen japonaises connues sont les « soba de Chine » du restaurant Rairaiken du quartier d’Asakusa, alors l’un des quartiers les plus animés de Tokyo ; l’établissement avait embauché un chef du quartier chinois de Yokohama pour son ouverture, en 1910. Les râmen sont alors l’avant-garde de la gastronomie, dans un quartier où l’on va au spectacle. Il s’agissait à l’époque d’une « cuisine étrangère » encore peu connue au Japon, mais on peut imaginer que l’exotisme, allié à une certaine ressemblance avec les soba japonaises, est à l’origine de ce premier succès.
Plus tard, au début de l’ère Shôwa (1926-1989), dans les années 30, les Chinois font connaître les râmen dans d’autres régions du Japon, notamment à Sapporo (Hokkaidô), Kitakata (Fukushima) ou Kurume (Fukuoka). Les râmen, qui n’étaient jusqu’alors qu’un plat chinois parmi tant d’autres, adoptent une forme proche de celle qu’on leur connaît aujourd’hui après la Seconde Guerre mondiale. La farine de blé utilisée pour les préparer était alors plus facile à se procurer que le riz, un plus pour tous ceux qui, de retour du front, ont commencé à en vendre dans des échoppes ici et là. En cette période de disette, les râmen ont rapidement conquis le pays entier.
Les plus anciens restaurants de râmen de Tokyo, mais aussi de Kyûshû ou de Sapporo voient le jour dans la décennie suivant la fin de la guerre en 1945.
Internet, accélérateur de succès
À Tokyo, les râmen étaient d’abord considérées comme des « soba chinoises » assaisonnées à la sauce de soja, c’est-à-dire une variation des soba japonaises. Mais en même temps que les râmen au miso ou les tonkotsu râmen nées en province se font connaître au niveau national, on assiste à la naissance d’une nouvelle culture gastronomique.
Les râmen locales, jusque-là considérées comme des spécialités régionales, conquièrent le Japon à partir de 1965, en une décennie, sous forme de nouilles instantanées ou grâce à l’ouverture d’enseignes franchisées. C’est ainsi que les râmen au miso de Sapporo ou les tonkotsu râmen de Hakata deviennent une sorte de marque établie, ouvrant la voie aux râmen d’autres régions.
Aujourd’hui, le succès jamais démenti des râmen est soutenu par Internet. Les informations, jusqu’alors disponibles uniquement par le biais de la télévision ou des magazines, sont désormais partagées sur des sites Internet et par le biais des réseaux sociaux, qui permettent de relayer les commentaires des clients.
Nouveaux restaurants, menus spéciaux, établissements les plus prisés ici ou là, toutes ces informations peuvent être lues ou partagées gratuitement et à tout moment. La multitude d’informations relatives aux quelque 30 000 restaurants de râmen du Japon s’est parfaitement adaptée aux spécificités d’Internet, et a renouvelé la popularité de ce plat. Avec l’arrivée du Smartphone, cette synergie devrait encore progresser.
Les râmen, un symbole japonais
En octobre 2014, un nouveau développement intervient, avec l’entrée de restaurants de râmen dans le Guide Michelin Tokyo 2015. Aucune étoile pour les nouilles, mais 22 établissements dans la section Bib Gourmand du guide, recommandés pour leur excellent rapport qualité-prix ; on peut y manger pour moins de 5 000 yens.
Jusque-là, pour les étrangers, la gastronomie japonaise était avant tout synonyme de sushi et tempura ; les râmen étaient considérées comme de la cuisine de fast-food ou un genre de plat chinois. L’apparition des râmen comme une spécialité à part entière dans un guide gastronomique à la réputation mondiale est donc un événement à marquer d’une pierre blanche. Ne craignons pas d’affirmer que les râmen sont aujourd’hui mondialement reconnues comme un pan de la gastronomie japonaise.
De plus, la même année, le Fonds Cool Japan, un organisme privé-public qui soutient la diffusion de la culture japonaise, a annoncé un financement de 2 milliards de yens pour la chaîne internationale de tonkotsu râmen Hakata Ippûdô. La place des râmen dans la gastronomie japonaise est prête à s’imposer au niveau international.
Pionnier du développement international
Le développement international des râmen a été initié par le restaurant Ajisen Ramen de Kumamoto, dans la région de Kyûshû. En 1994, une première enseigne est ouverte à Taïwan, suivie de Pékin en 1995, puis Hong Kong en 1996. L’implantation à Hong Kong, un marché particulièrement dynamique, a eu un impact certain sur la stratégie internationale des autres grandes enseignes comme Hakata Ippûdô ou Men-ya Musashi.
Ajisen Ramen a été fondé en 1972 par un restaurateur originaire de Taïwan. Il est l’un des pionniers des râmen de Kumamoto, des tonkotsu râmen agrémentées d’huile parfumée à l’ail. C’est aussi le pionnier du développement à l’international des restaurants de râmen. Aujourd’hui, l’enseigne possède quelque 700 implantations à l’étranger, alors que la plus grande chaîne nationale ne compte que 500 établissements au Japon.
Sur les traces d’Ajisen Ramen, Hakata Ippûdô s’est installé à Hong Kong en 2010. En coopération avec le numéro un local de la restauration, Maxim, l’enseigne a ouvert quatre restaurants à Hong Kong, et même en France. Le restaurant de New York, ouvert en 2008, a décroché la première place nationale du site d’avis américain YELP, déclenchant un boom des râmen à New York.
Hakata Ippûdô, réputé pour ses tonkotsu râmen blanches ou rouges, né en 1985 à Fukuoka, s’est installé à Tokyo en 1995. Ses restaurants, agencés de façon à attirer la clientèle féminine, ont renouvelé l’image très masculine des râmen.
Enfin, en 2015, l’ouverture qui attire la plus grande attention est celle de Ryukishin, un restaurant d’Osaka spécialisé dans les râmen au sel, dans le cadre de l’exposition universelle de Milan. Cette participation à un événement d’envergure mondiale va consolider le statut des râmen en tant que représentant de la cuisine japonaise et asiatique.
Les tonkotsu râmen, prisées à l’étranger
Les râmen sont de plus en plus appréciées à l’étranger, notamment en Asie, à commencer par la Chine, Hong Kong, Taïwan et Singapour, où elles sont souvent appelées « râmen à la japonaise », pour les différencier des nouilles locales. Alors que ces dernières coûtent environ 200 yens le bol, les râmen japonaises sont trois fois plus chères. Les restaurants japonais s’installent dans les grands centres commerciaux et les artères les plus fréquentées ; en Asie, les râmen japonaises sont souvent considérées comme un plat à déguster en famille ou en couple pour fêter une occasion spéciale.
Notons qu’à l’étranger, les tonkotsu râmen sont les plus prisées. Même Men-ya Musashi, connu au Japon comme un pionnier des râmen au bouillon à base de produits de la mer, sert des tonkotsu râmen en Asie. Comme autrefois à Tokyo, la clientèle préfère les saveurs riches, clairement différentes des nouilles locales au goût plus léger, d’où le succès des tonkotsu râmen.
Le washoku, inscrit en 2013 au patrimoine mondial immatériel, englobe la culture gastronomique japonaise digne d’être protégée et transmise. Les râmen, elles, doivent leur succès à leur renouvellement incessant. Souhaitons qu’elles deviennent une référence mondiale et qu’un jour, chaque pays concocte ses propres râmen locales.
(Photo de titre : le restaurant Hakata Ippûdô à New York, avec l’aimable autorisation de l’auteur)
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