Les bains publics, un voyage au quotidien
Sentô d’hier et sentô d’aujourd’hui
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Le Takarayu, icône des bains publics japonais à l’ancienne
On ne saurait trop recommander aux adeptes des sentô à Tokyo de diriger leurs pas vers l’arrondissement d’Adachi. Plus de trente établissements en activité les attendent sur place. Même si la plupart des logements sont à présent équipés d’une salle de bain, les habitants de cette partie de la capitale continuent à fréquenter les bains publics traditionnels. Ils ont été encouragés par la municipalité d’Adachi, la première des 23 que compte Tokyo à prendre de nouvelles mesures dans ce sens, notamment des réductions pour les étudiants.
L’un de ces établissements est l’incontournable Takarayu (littéralement « les bains du trésor ») fondé en 1927. Considéré comme l’emblème des sentô de style rétro, il est très prisé par les amateurs de bains publics. Certains viennent même de loin pour goûter aux plaisirs qu’il procure.
Le Takarayu se présente sous la forme d’un vaste édifice à l’allure majestueuse parce qu’il a été construit par un charpentier spécialisé dans l’architecture des sanctuaires et des temples, au tout début de l’ère Shôwa (1926-1989). Il est dominé par une haute cheminée chargée d’évacuer la fumée produite par le bois que l’on fait brûler pour chauffer l’eau des bains.
Une clientèle essentiellement locale
« Lorsque mon grand-père a creusé le puits qui lui a permis de créer notre établissement de bains, il n’y avait que des champs aux alentours », raconte Matsumoto Kôichi, le propriétaire du Takarayu sur la 3e génération. Pendant la Seconde Guerre mondiale, certains sentô ont été détruits par les bombardements, mais le Takarayu a eu la chance d’en sortir intact. « Chaque fois qu’il y avait un raid aérien, on coupait l’électricité et les clients prenaient leur bain à la lumière des bougies » ajoute-t-il. Ce qui prouve à quel point le sentô faisait alors partie intégrante de la vie quotidienne des Japonais.
À l’heure actuelle, la plupart des clients du Takarayu sont des gens âgés du quartier qui préfèrent aller au sentô plutôt que prendre leur bain chez eux. « Les personnes seules trouvent les bains publics plus rentables en raison du coût élevé du gaz, de l’eau et de l’électricité et du travail que demande le nettoyage de la salle de bains », précise Matsumoto Kôichi. Qui plus est, elles se sentent davantage en sécurité au sentô parce qu’elles sont entourées de baigneurs susceptibles de leur venir en aide au cas où elles seraient victimes d’un malaise cardiaque ou autre dans l’eau ou dans les vestiaires. Mais le Takarayu accueille aussi de plus en plus de touristes étrangers de passage dans les chambres d’hôtes aménagées à proximité.
Un magnifique jardin japonais et de belles peintures
Le Takarayu a aussi la particularité d’abriter un vaste jardin japonais, une invite directe à goûter les beautés de l’esthétique nippone. Construit par le grand-père de Matsumoto Kôichi, un maître jardinier réputé, il a été conservé en l’état jusqu’à ce jour. « Autrefois, il y avait des jardins dans les sentô. Malheureusement beaucoup d’entre eux ont été remplacés par des laveries automatiques », déplore le propriétaire.
Une autre caractéristique des bains publics à l’ancienne, c’est qu’ils disposaient d’un poste de surveillance surélevé (bandai), situé au centre de l’établissement, du haut duquel on pouvait voir en même temps les deux zones réservées respectivement aux femmes et aux hommes. Ce système permettait de garder un œil sur les effets personnels des baigneurs et de s’assurer que le règlement était parfaitement respecté. Mais depuis quelque temps, il tend à disparaître, les clients étant de plus en plus nombreux à dire qu’ils n’aiment pas qu’on les observe quand ils sont nus. Il y a donc de moins en moins de sentô équipés d’un bandai et c’est ainsi qu’en 1988, le Takarayu a réaménagé son poste de surveillance en une réception, à l’occasion de travaux de rénovation.
Les images qui décorent les bains proprement dits du Takarayu sont l’œuvre commune du peintre Maruyama Kiyoto et du spécialiste des sentô Machida Shinobu (voir sa présentation de dix magnifiques sentô). Elles sont réversibles et décorées sur l’envers des œuvres de Nakajima Morio, le grand peintre de bains publics.
Dans les coulisses du Takarayu
Au Takarayu, la journée commence et finit invariablement par un grand ménage. Tous les matins à partir de 9h, le sentô est soigneusement nettoyé pendant deux à trois heures. Vers 11h30, on allume la chaudière alimentée avec des bûches et on chauffe l’eau pendant environ une heure et demie. L’établissement de bains de Matsumoto Kôichi ouvre ses portes à 15h et il les referme à 23h30. Après quoi, trois à quatre employés récurent à nouveau les locaux à fond. L’édifice comporte des fenêtres coulissantes installées en hauteur pour évacuer la vapeur qui peuvent s’ouvrir de l’extérieur et restent ouvertes pendant l’été.
L’eau des bains du Takarayu est essentiellement chauffée avec du bois. Dans le temps, les bûches étaient acheminées sur des radeaux depuis des entrepôts installés sur les berges de la rivière Sumida, située à proximité. Par la suite, le bois a été livré sous forme de copeaux, de plaquettes et d’écorces par des camions venus des nombreux ateliers de menuiserie et autres fabricants de crayons et de contreplaqué que comptait alors l’arrondissement d’Adachi.
Aujourd’hui, ce type d’activité est en nette régression et la chaudière du Takarayu est aussi alimentée avec du bois de construction récupéré par des entreprises de démolition. Mais il arrive que ce combustible fasse totalement défaut. C’est pourquoi la chaudière du sentô peut également fonctionner au gaz. Cette source d’énergie a toutefois l’inconvénient de coûter nettement plus cher, ce qui préoccupe beaucoup Matsumoto Kôichi.
Gérer un établissement de bains publics est beaucoup plus difficile qu’on ne l’imagine. Mais Matsumoto Kôichi est résolu à garder le Takarayu en activité tant qu’il sera en mesure de répondre à l’attente des nombreux adeptes des sentô, à commencer par ses clients réguliers.
Le Taiheiyu, emblème de la nouvelle vague des sentô
Outre les sentô traditionnels au charme incomparable, de nouveaux établissements ultramodernes sont en train de faire des vagues dans le monde des bains publics. L’un deux n’est autre que le Taiheiyu (littéralement « les bains de la grande paix »), situé lui aussi dans l’arrondissement d’Adachi. Il a été conçu par Imai Kentarô, un architecte spécialisé dans la rénovation des sentô, dont c’est la première réalisation.
Le Taiheiyu a été créé en 1965. Vingt ans plus tard, il a fait l’objet de premiers travaux de rénovation. À cette occasion, sa structure a été renforcée par une armature métallique et il a été doté d’un vaste hall d’entrée moderne. En l’an 2000, Imai Kentarô a entièrement redessiné l’intérieur de l’édifice, et c’est alors que celui-ci a pris l’apparence qui est la sienne à l’heure actuelle.
Une ambiance de rêve
La caractéristique la plus originale du Taiheiyu, c’est le jeu de lumière avec les murs auquel il doit son atmosphère véritablement féérique. La nuit, l’ambiance des bains est encore plus romantique. Le Taiheiyu a innové à plusieurs titres. D’abord, on laisse déborder les bassins toutes les heures pendant cinq minutes, pour que l’eau soit toujours parfaitement propre. Ensuite, les visiteurs ont droit à du savon, du shampooing et un conditionneur gratuits. Ce sentô d’avant-garde a longtemps fonctionné avec de l’électricité consommée la nuit, pendant les heures creuses avant de finir par opter pour le gaz.
Un établissement de bains convivial, à portée de main
Yoshida Kensuke, le propriétaire du Taiheiyu, dit qu’il a demandé trois choses à Imai Kentarô, l’architecte à qui il a confié la rénovation de son établissement. La première, que les baigneurs puissent entrer dans l’eau en descendant des marches, comme dans les sources thermales (onsen), au lieu d’avoir à enjamber le bord du bassin (voir notre article Onsen : les bienfaits séculaires des sources thermales japonaises).
La seconde, que la partie réservée aux femmes comporte une zone pour la marche aquatique. Une suggestion de l’épouse de Yoshida Kensuke contrainte de faire une rééducation de la hanche. La troisième, que l’on installe un comptoir dans le hall d’entrée, où les clients puissent se restaurer. Imai Kentarô a respecté les exigences de son commanditaire, mais il a pris lui-même toutes les autres décisions en procédant par tâtonnements jusqu’au résultat final. Son travail remarquable lui a valu de nombreux compliments et il a inspiré quantité de créateurs de sentô.
Le Taiheiyu a la réputation d’un établissement à portée de main et convivial, où il fait bon se détendre. Tous les jeudis soir, il organise une séance de karaoke qui se déroule dans le hall d’entrée. Et il dispose d’un vaste parking à même d’accueillir de nombreux clients venus de loin. Pour Yoshida Kensuke « mieux vaut un sentô à proximité qu’un onsen lointain », un avis que semblent partager les adeptes de plus en plus nombreux du Taiheiyu.
Les bains publics à l’ancienne ont indéniablement un rôle essentiel à jouer en continuant à faire vivre une des traditions les plus authentiques de l’Archipel. Mais les sentô d’avant-garde proposant des installations modernes de haute qualité contribuent quant à eux à maintenir ce secteur d’activité en bonne santé et en phase avec le monde moderne.
(D’après un original en japonais de Waga Naofumi, Plant Q. Photos : Katô Kumazô. Avec l’aimable collaboration de Furo Wakuzô et de l’Association d’Adachi pour le développement de la culture des sentô)