Les grandes figures historiques du Japon

Le voyage de Lafcadio Hearn au cœur de l’esprit japonais

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Koizumi Bon [Profil]

Lafcadio Hearn (1850-1904), alias Koizumi Yakumo, est connu pour les écrits qu’il a publiés sur le Japon à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, notamment ses réécritures d’histoires de fantômes. Son arrière-petit-fils Koizumi Bon revient sur la vie de son célèbre ancêtre.

Étudier l’esprit du Japon

Après un an et trois mois passés à Matsue, Hearn, accablé par le froid qui y régnait en hiver, reprit son bâton de pèlerin. Il vécut successivement à Kumamoto, Kobe et Tokyo. Alors qu’il était à Kobe, sa vie familiale prit pour lui une place prépondérante. Il épousa Setsu en 1896 et prit le nom japonais Koizumi Yakumo. Comme il l’a joyeusement expliqué dans une lettre écrite au mois de septembre à son ami Elwood Hendrick, « ‘Yakumo’ est un équivalent poétique de ‘Izumo’, ma province bien aimée, ‘le lieu où se forment les nuages’. Tu comprendras le choix de ce nom. »

Lafcadio Hearn (à gauche) avec sa famille à Kobe (© Lafcadio Hearn Memorial Museum)

Pendant son séjour à Kumamoto et par la suite, il a découvert un Japon qui avait perdu son humilité et s’engageait résolument sur le chemin de l’occidentalisation, de la modernisation et de la militarisation, une évolution dont il n’avait rien perçu à Matsue. Le sentiment de déception qu’il éprouva lui ouvrit les yeux sur le pays et lui permit de s’en faire une conception plus mature. Il réduisit son champ de travail et confina ses recherches à l’étude de la vision japonaise des kami (divinités). Dans le même temps, il écouta les histoires de fantômes racontées par Setsu et entreprit d’en rédiger des versions imprégnées d’un esprit littéraire.

En Occident, bien des gens considéraient le Shintô comme un culte païen, du fait de sa carence en textes et préceptes religieux. Hearn, quant à lui, pensait que le Shintô vivait, non pas dans les livres, mais dans le cœur des Japonais, où il entrait en résonance profonde avec une forme d’esprit populaire qui est au fondement de la superstition, de la légende et de l’occulte. Il se montra réceptif à l’idée qu’il peut arriver que des êtres humains deviennent des divinités et à la largeur de vue qui permet d’accepter que des esprits vivants puissent habiter des objets inanimés.

La lecture de Hearn dans le Japon occupé

Dans son dernier ouvrage, Japan : An Attempt at Interpretation (Japon : une tentative d’interprétation), Hearn a retracé l’histoire de l’esprit du Japon. Il y définit des phases que traverse le culte des ancêtres, depuis le « culte domestique », en passant par le « culte communal », pour arriver au « culte d’État », dans le cadre duquel un culte est rendu aux ancêtres impériaux au sanctuaire d’Ise. Autrement dit, le culte des ancêtres était à ses yeux inséparable de la vénération de l’empereur. Au nombre des lecteurs qui ont partagé ce point de vue figurait le général américain Bonner Fellers, qui a servi sous les ordres du général Douglas MacArthur pendant la Seconde Guerre mondiale.

Le général américain Bonner Fellers

Fellers avait lu tous les livres de Hearn et, à son arrivée au Japon dans le cadre des opérations menées dans l’immédiat après-guerre, il se mit en quête des descendants de l’auteur et se rendit sur sa tombe. Le général a contribué à l’élaboration d’un mémorandum sur l’institution impériale et d’un mémoire conçu par l’empereur Shôwa (Hirohito). Il a également suggéré que l’empereur soit dispensé de comparaître devant le tribunal de Tokyo, mais qu’en contrepartie une orientation plus démocratique soit donnée à son autorité. Cette proposition visait à éviter que le peuple japonais soit privé de son ancrage spirituel. Feller a grandement contribué à l’instauration du rôle symbolique que l’empereur joue aujourd’hui.

Le Mémorial MacArthur, un musée de Norfolk, en Virginie, abrite 5 000 volumes provenant de la bibliothèque personnelle du général, dont sept livres de Hearn. Des ouvrages comme Japan : An Attempt at Interpretation (Japon : une tentative d’interprétation) et Glimpses of Unfamiliar Japan (Aperçus sur un Japon méconnu) ont constitué d’importantes sources de référence à l’époque où MacArthur était au Japon.

Les jardins japonais Lafcadio Hearn à Tramore, en Irlande. Pendant son enfance à Dublin, Hearn effectuait de fréquentes visites dans cette ville du littoral avec sa grand-tante. Ces jardins sont constitués de 10 parcelles qui retracent la vie de Hearn.

(D’après un original en japonais publié le 28 novembre 2018. Photo de titre : Lafcadio Hearn en 1889. Photos avec l’aimable autorisation de la famille Koizumi, sauf mention différente)

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Koizumi BonArticles de l'auteur

Arrière-petit-fils de Lafcadio Hearn et directeur du Musée mémorial Lafcadio Hearn. Directeur honoraire du Musée mémorial Lafcadio Hearn de Yaizu. Professeur honoraire à l’Université préfectorale de Shimane. Né à Tokyo en 1961. Se spécialise dans le folklore au cours de ses études à l’Université Seijô. Il reçoit en 2017 l’Éloge du ministère japonais des Affaires étrangères pour sa contribution aux échanges entre le Japon et l’Irlande. Sa bibliographie inclut Minzoku gakusha : Koizumi Yakumo (Lafcadio Hearn, folkloriste) et Kaidan yondaiki : Yakumo no itazura (Les quatre générations de Kwaidan : l’espièglerie de Yakumo).

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