Les grandes figures historiques du Japon

Le voyage de Lafcadio Hearn au cœur de l’esprit japonais

Culture Société

Lafcadio Hearn (1850-1904), alias Koizumi Yakumo, est connu pour les écrits qu’il a publiés sur le Japon à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, notamment ses réécritures d’histoires de fantômes. Son arrière-petit-fils Koizumi Bon revient sur la vie de son célèbre ancêtre.

Hearn parlait rarement de sa vie en Irlande, mais dans une lettre qu’il adressa plus tard de Tokyo au poète irlandais William Butler Yeats, il écrivit ceci : « J’avais une nurse du Connaught qui me racontait des contes de fées et des histoires de fantômes. Il fallait donc bien que j’aime les choses irlandaises, et c’est toujours le cas. » Il va sans dire que son affinité avec les esprits de l’Irlande et le bon accueil qu’il leur fit ont ouvert la voie à sa curiosité ultérieure pour les histoires de fantômes japonaises.

Il sortit du dénuement à Cincinnati en devenant journaliste, mais son mariage avec une métisse contrevenait à la loi de l’Ohio contre le croisement entre les races. Après avoir divorcé, il partit pour La Nouvelle-Orléans, où la fusion entre les traditions françaises, africaines et autochtones au sein de la culture créole le fascina. Il publia une anthologie de proverbes créoles et le premier livre au monde de cuisine créole. Outre cela, il fréquenta assidûment Marie Laveau, surnommée la reine du vaudou. Il se plongea dans l’étude des sortilèges et des croyances populaires liées au vaudou, qui est originaire d’Afrique et s’est enraciné localement.

À La Nouvelle-Orléans, Hearn a vécu dans des chambres louées au 516 de la rue Bourbon (à gauche) ; Notes prises par Hearn quand il était journaliste à La Nouvelle-Orléans. (© Lafcadio Hearn Memorial Museum)

La couverture par Hearn de l’Exposition internationale de La Nouvelle-Orléans, qui s’est tenue en 1884 et 1885, lui offrit la chance d’une rencontre avec la culture japonaise. Il acheta deux volumes d’une anthologie de mythes japonais résumés en français, et c’est ainsi qu’il commença à s’intéresser aux fondements de la culture de l’Orient inconnu. Il passa ensuite deux années sur l’île de la Martinique, où le peintre Paul Gauguin vivait alors dans la ville voisine. Il compila ses observations sur les coutumes folkloriques de l’île dans son ouvrage Two Years in The French West Indies (Deux années aux Antilles françaises).

De retour à New York, il découvrit The Soul of the Far East (L’âme de l’Extrême-Orient), de Percival Lowell, et fut aussi captivé par le Kojiki de Basil Hall Chamberlain, une traduction en anglais d’un recueil de mythes fondateurs japonais datant du VIIIe siècle (*5), qu’il avait emprunté à un éditeur de la revue Harper’s. Il décida que le moment était venu de se rendre au Japon. Le 4 avril 1890, il vit pour la première fois le mont Fuji depuis le pont de l’Abyssinia et prit pied sur le rivage à Yokohama. Il avait 39 ans.

Izumo, terre des dieux

À l’origine, Hearn est venu au Japon en tant que correspondant spécial de Harper’s, mais le contrat qui le liait à la revue fut annulé et il choisit de s’installer dans le pays. Avec l’aide de Basil Hall Chamberlain et de Hattori Ichizô, un fonctionnaire du ministère de l’Éducation qu’il avait rencontré à l’Exposition internationale de La Nouvelle-Orléans, il obtint un poste d’enseignant à l’école moyenne de Matsue, une école publique de la préfecture de Shimane. Il arriva à Matsue le 30 août 1890. En frontispice du Kojiki figurait une carte représentant « Le monde tel que le connaissaient les Japonais de l’Ère mythique », avec les mots « Recueil des mythes d’Izumo » inscrits en travers. L’opportunité de vivre à proximité d’Izumo, théâtre des anciens mythes du Japon, a dû inspirer à Hearn une grande joie et beaucoup d’enthousiasme.

À Matsue, Hearn trouva une âme sœur en la personne de Nishida Sentarô, le directeur adjoint de l’école, pour ne mentionner que lui. Dans la douce lumière onirique du soleil couchant et les reflets changeants à la surface du lac Shinji, il a découvert une beauté de l’Orient qui lui était jusque-là inconnue. C’est alors qu’il prit pour compagne de vie Koizumi Setsu, qui descendait d’une famille de samurais de Matsue et lui avait été présentée par Nishida. C’est à l’origine de la bouche de Setsu que Hearn a entendu bien des célèbres contes qu’il allait plus tard restituer dans son œuvre phare, Kwaidan.

Il fut chaleureusement accueilli au sanctuaire Izumo Taisha par le prêtre en chef Senge Takanori, et devint à cette occasion le premier occidental à pénétrer dans le honden, l’édifice principal du sanctuaire, auquel il effectua par la suite deux autres visites afin de faire une expérience directe du culte shintô. En partie en réponse à une demande de Chamberlain, il entreprit de collecter des amulettes protectrices provenant d’un grand nombre de sanctuaires d’Izumo et en expédia plus de 80 à Edward Burnett Tylor, le directeur du Musée Pitt Rivers d’Oxford, pour qui il éprouvait de l’affection et du respect.

L’approvisionnement en lait était déjà en place à Matsue et le chef d’un restaurant occidental lui livrait des steaks à domicile. Il pouvait aussi se procurer de la bière à la pharmacie locale. Aussi japonophile qu’il fût, Il fallut un certain temps à Hearn pour s’accoutumer à la cuisine locale et, ce qui ne manque pas d’ironie, la composante occidentalisée de son environnement lui apportait un réconfort physique et moral.

(*5) ^ Chamberlain était un linguiste britannique arrivé au Japon en 1873. Il a enseigné à l’Université impériale de Tokyo de 1886 à 1890 et contribué à la fondation des études modernes de la langue japonaise.

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