Les grandes figures historiques du Japon
Andô Momofuku, l’inventeur des nouilles instantanées
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Dans la vie, il n’est jamais trop tard
Andô Momofuku a été surnommé à juste titre « Mr Noodle » (« M. Nouilles »). C’est à lui en effet que l’on doit l’invention, en 1958, des nouilles instantanées dont il se vend 5,5 milliards d’unités par an, rien qu’au Japon. La consommation annuelle à l’échelle de la planète s’élève à près de 100 milliards de portions, ce qui en fait un produit alimentaire véritablement global. Nissin Food Products Co. Ltd, l’entreprise fondée par Andô Momofuku, fait aujourd’hui partie du groupe Nissin, une multinationale dont le chiffre d’affaires net a dépassé 490 milliards de yens (environ 370 milliards d’euros) pour l’année fiscale (1er avril – 31 mars) 2017.
Mais cette belle réussite n’a pas été sans difficultés. Si Andô Momofuku débute très tôt en tant qu’entrepreneur, il passe par bien des hauts et des bas avant de connaître le succès. En 1957, il est même totalement ruiné du jour au lendemain. Quand il invente les nouilles instantanées, il a presque 50 ans. En considérant rétrospectivement son passé, Andô Momofuku déclarait d’ailleurs : « Dans la vie, il n’est jamais trop tard. Il m’a fallu 48 ans pour arriver à inventer les nouilles instantanées ».
Un jeune entrepreneur emprisonné deux fois
Andô Momofuku naît le 5 mars 1910 à Taïwan, alors sous la domination du Japon. Ayant perdu très tôt son père et sa mère, il est élevé en même temps que ses deux frères ainés et sa petite sœur, par ses grands-parents. Ceux-ci tiennent une boutique de kimonos dans la ville de Tainan, ce qui a pour effet de développer l’intérêt de l’enfant pour le commerce.
À l’âge de 22 ans, Andô Momofuku créé une entreprise spécialisée dans la vente de tricots japonais à Taïwan. Le succès est immédiat puisque dès l’année suivante, il ouvre une succursale à Osaka. Il devient rapidement célèbre dans la région du Kansai en tant que jeune entrepreneur. Bien qu’ayant pratiquement tout perdu à cause de la Seconde Guerre mondiale, il retrouve toute sa vitalité et son esprit d’entreprise dès la fin du conflit. Il se lance alors dans la fabrication de logements rudimentaires, la production de sel et la création d’une école.
Andô Momofuku est emprisonné deux fois au cours de sa vie. La première, au tout début de la guerre, pour avoir détourné des biens appartenant à l’armée en direction du marché noir. La seconde, après la fin des hostilités, pour évasion fiscale. Mais dans les deux cas, il finit par être acquitté et remis en liberté. Les accusations portées contre lui sont en partie dues à sa situation de riche homme d’affaires né à Taïwan, et il rencontre ainsi beaucoup plus de problèmes qu’il ne le mérite durant les années chaotiques de l’après-guerre.
Une invention de la dernière heure par un quadragénaire sans le sou
En 1957, Andô Momofuku se confronte à la pire des épreuves de sa carrière. Il a alors un peu plus de 45 ans. Cette année-là, la caisse de crédit mutuel dont il assume la direction à la demande d’un ami fait faillite. Du jour au lendemain, il perd tous ses biens, à l’exception d’une propriété locative située à Ikeda, près d’Osaka. Par la suite, il avoue qu’il « regrettait amèrement » de s’être impliqué dans le monde de la finance alors qu’il n’y connaissait pas grand-chose.
Andô Momofuku ne tarde pas à réaliser que cette expérience malheureuse peut aussi lui être très profitable. Il cherche rapidement, comme il sait si bien le faire, un moyen de reprendre pied. Et c’est à partir de là que l’histoire du « père des nouilles instantanées » débute. Dans l’arrière-cour de sa maison, il construit un petit atelier où il s’efforce de mettre au point un nouveau produit entièrement par lui-même.
C’est en assistant à une scène de marché noir près de la gare ferroviaire principale d’Osaka qu’Andô Momofuku a pour la première fois l’idée de créer des nouilles instantanées. Le Japon est en pleine période de l’après-guerre et la crise alimentaire est là. Dans la lumière glaciale d’un ciel d’hiver, une file interminable de gens attendent leur tour pour avaler un bol de nouilles chinoises (ramen). Andô Momofuku comprend l’importance du besoin de se nourrir, et qu’en l’absence de nourriture, il ne peut y avoir aucune forme d’art, de culture, de vêtement, ou d’habitat. Il réalise aussi que les Japonais adorent les nouilles et que la longue queue en train de patienter dans le froid correspond à une demande latente. Lorsqu’il tombe au plus bas, quelques années plus tard, au point de ne pas savoir ce qu’il aurait à manger le lendemain, l’épisode de la gare d’Osaka lui revient en mémoire, et il décide de s’essayer à la fabrication des râmen faciles à préparer, à consommer et à conserver.
Une technique de cuisson inspirée par la recette de la tempura
Dès lors, Andô Momofuku s’investi totalement dans son travail. Ne dormant que quatre heures par nuit, il ne prend aucun jour de congé pendant une année entière. La plus grosse difficulté qu’il doit surmonter est la déshydratation des nouilles, une phase indispensable pour qu’elles se conservent pendant longtemps et qu’il suffise de verser de l’eau chaude dessus pour les préparer. Il finit par recourir à la méthode de la « déshydratation instantanée par l’huile chaude » qui consiste à plonger les nouilles dans de l’huile bouillante pendant deux minutes de façon à provoquer l’évaporation complète de l’eau qu’elles contiennent (voir article « Les nouilles instantanées : 50 ans d’une réussite à l’échelle mondiale»).
La ville de Tainan, où Andô Momofuku a grandi, est réputée pour ses yi-mian, des nouilles frites dans un bain d’huile avant d’être bouillies. D’aucuns voudraient que les yi-mian soient les précurseurs des nouilles instantanées parce qu’elles se conservent pendant un certain temps après avoir été plongées dans l’eau bouillante. Mais en fait, Andô Momofuku s’inspire de la recette de la tempura de son épouse, Masako. En la voyant préparer des beignets croustillants parce que frits de façon à éliminer toute trace d’humidité, il se dit qu’il peut soumettre ses nouilles au même traitement.
En août 1958, les premières nouilles instantanées du monde appelées Chicken Râmen font leur apparition dans les magasins de l’Archipel grâce aux recherches d’Andô Momofuku. Elles sont imprégnées d’un bouillon concentré à base de poulet et d’autres ingrédients et il suffit d’y ajouter de l’eau chaude pour obtenir un bol de râmen fumantes.
Arrivées sur le marché, les nouilles instantanées au poulet font un véritable carton. On les surnomme mahô no râmen (les râmen magiques). Le jour où Andô Momofuku avait dit à son épouse qu’il se lançait dans le business des nouilles, celle-ci lui avait répondu : « Si c’est le cas, je t’en prie, arrange-toi pour devenir le meilleur fabricant de râmen du Japon. » Andô Momofuku suit son conseil à la lettre tant et si bien que cinq ans plus tard, ses nouilles instantanées au poulet en sachet lui rapportent 4,3 milliards de yens en un an.
Une nouvelle idée de génie qui a changé le monde
En 1971, treize ans après les Chicken Râmen, Andô Momofuku – il a alors 61 ans – étonne une fois de plus le monde avec un nouveau produit intitulé « Cup Noodles », constitué de nouilles instantanées présentées dans un emballage en forme de gobelet. Même si le changement par rapport aux râmen en sachet n’est pas énorme, il n’en marque pas moins le début de la diffusion des nouilles « made in Japan » dans le monde entier.
Andô Momofuku a l’idée de ce nouveau produit en 1966, à l’occasion d’un voyage d’affaires aux États-Unis. Alors qu’il fait la promotion des Chicken Râmen auprès d’acheteurs potentiels, il se trouve dans l’impossibilité de montrer comment on peut les consommer en un clin d’œil, faute de bols et de baguettes. Voyant cela, le responsable du supermarché divise la portion de râmen en deux. Il met ensuite mis les morceaux dans un gobelet en papier, verse de l’eau chaude par-dessus et commence à manger les nouilles avec une fourchette. Andô Momofuku acquis alors la certitude que, pour conquérir les marchés internationaux, il fallait tenir compte des habitudes alimentaires locales. Et après cinq années de tâtonnements, il finit par mettre au point en 1971 le Cup Noodles, des nouilles instantanées présentées dans un gobelet jetable.
Une publicité efficace inattendue
Mais la partie n’est pas gagnée pour autant. Avec un prix de vente du Cup Noodles légèrement supérieur à celui de la version en sachet, ce nouveau produit n’a pas un grand succès. Les nouilles instantanées en gobelet sont d’abord consommées pour l’essentiel par des gens travaillant la nuit ou à l’extérieur, notamment les policiers et les pompiers. Andô Momofuku n’en a pas moins continué inlassablement ses efforts de promotion, jusqu’à ce que la chance lui sourit, l’année suivante.
En février 1972, le Japon est pétrifié par l’affaire du chalet Asama, où des membres de l’Armée rouge se barricadent pendant dix jours avec une femme prise en otage jusqu’à ce que les forces de l’ordre donnent l’assaut. Avec un froid si intense que les bentô finissent par geler, les policiers se rabattent alors sur des gobelets de Cup Noodles. Le spectacle de ces hommes transis en train d’avaler des nouilles instantanées est retransmis dans tout l’Archipel par les chaines de télévision et contribue indéniablement à augmenter la popularité de ce produit dans la population japonaise.
Les « râmen de l’espace », son ultime défi
C’est lorsque les gobelets de nouilles instantanées de Nissin Food Products finissent par être adoptés par les Japonais que des entreprises concurrentes font leur apparition sur le marché. Ce nouveau type de râmen conquiert alors le monde entier. Persuadé que la compétition et l’émulation amicales favoriseraient la croissance de Nissin Food Products, Andô Momofuku n’a jamais fait breveter son invention et il se contente de pratiquer le licensing. Cette stratégie a une importance capitale dans le développement du gigantesque marché des nouilles instantanées et au bout du compte, elle favorise l’expansion de l’entreprise de « M. Nouilles ».
Andô Momofuku se démène tout au long de sa vie pour concrétiser ses idées. En 2001, à l’âge de 91 ans, il déclare vouloir mettre au point des aliments pour les vols spatiaux. Avec son équipe de chercheurs, il commence à envisager la création de râmen susceptibles d’être mangés dans l’espace. C’est ainsi que naissent les « Space Ram » (râmen de l’espace) préparés avec un bouillon plus épais pour éviter les éclaboussures dans un environnement en apesanteur. L’invention d’Andô Momofuku fait ses débuts en juillet 2005, avec l’astronaute japonais Noguchi Sôichi et ses camarades de la navette spatiale américaine Discovery. M. Nouilles est absolument enchanté par cette expérience qui le conforte dans sa conviction que « dans la vie, il n’est jamais trop tard ».
Un esprit d’entreprise toujours d’actualité
Andô Momofuku meurt le 5 janvier 2007, à l’âge de 96 ans. Un jour après avoir présenté ses vœux à la cérémonie du Nouvel An de Nissin Foods Products. Sa disparition est évoquée dans le monde entier. Le New York Times lui consacre notamment un article intitulé « En mémoire de M. Nouilles ».
Durant toute sa vie, M. Nouilles n’a jamais cessé de trouver des idées créatives et de persévérer avec ténacité dans ses projets. Nombreux sont ceux qui se souviennent encore que du temps où il dirigeait son entreprise, il avait fait installer juste à côté de son bureau un espace réservé à la préparation de la nourriture où il s’en donnait à cœur joie avec ses projets. Andô Momofuku était également bien connu pour son goût pour les aphorismes dont l’un des plus connus est : « Si vous tombez, ne vous contentez pas de vous relever. Tant que vous y êtes, ramassez un peu de terre. »
Ces phrases à la fois truculentes, implacables, et chaleureuses sont le reflet de la vie pleine d’épreuves qui a été celle d’Andô Momofuku. Elles ont touché les gens tout au long de son existence et aujourd’hui encore, elles servent d’encouragement à tous ceux qui se lancent dans une nouvelle aventure.
(Avec nos remerciements à Nissin Foods Holdings pour l’accès aux documents et photographies d’archives. Photo de titre : Andô Momofuku devant son microscope, en train de faire des recherches. Reportage et texte : Yamaguchi Noriko. Photos : Yamazaki Yoshinori.)