Les grandes figures historiques du Japon

Natsume Sôseki, toujours contemporain et lu dans le monde entier

Culture

Natsume Sôseki, le géant de la littérature japonaise moderne, né à la fin de l’époque d’Edo, continue à toucher le cœur des Japonais d’aujourd’hui. La réévaluation de son œuvre est actuellement en cours dans le monde entier. Penchons-nous sur ses 49 ans de vie, et sur ses romans, reflets des tourments de l’égoïsme et de la solitude.

Sokuten kyoshi ou le regard acerbe sur l’égoïsme et la solitude

Dans tous les romans de Soseki sont dépeints les affres de l’égoïsme et de la solitude qu’elle engendre, jusqu’à atteindre une délivrance, ou l’on renonce à ses intérêts personnels pour se donner corps et âme à la nature, un état d’esprit symbolisé par l’écrivain sous la formule sokuten kyoshi.

Je suis un chat est un roman humoristique, et qui invite au rire, en mettant en scène un chat dans la peau d’un narrateur observant les créatures étranges que sont les intellectuels rassemblés dans la maison de son maître. Ce style unique ajoutée à une écriture vivante inspirée du rakugo (histoire japonaise racontée et mimée), ont valu à Sôseki son statut inamovible de romancier.

Dans Kusamakura (Oreiller d’herbes), il décrit avec légèreté l’état d’esprit d’un peintre qui a transcendé le monde et sa logique. Ne supportant plus la vie à Tokyo, baignée de civilisation, son héros se réfugie dans une source thermale.

Sanshirô, Et puis et La Porte forment sa première trilogie. Sanshirô décrit les dispositions amoureuses d’un jeune homme naïf, ainsi que les dangers inhérents à son âge tels ceux d’une brebis égarée. Dans Et puis et ses romans suivants, il traitera souvent d’une relation triangulaire entre deux hommes et une femme.

Et puis traite de la vie d’un intellectuel, fils d’une famille aisée, profondément épris de la femme d’un ami, et choisissant de vivre librement à leurs côtés. Dans La Porte, Sôseki dépeint un homme vivant effacé, en proie à la culpabilité, à la recherche d’une délivrance pour avoir volé la femme de son meilleur ami.

Sa deuxième trilogie, À L’Équinoxe et au-delà, L’Homme qui va et Le Pauvre Cœur des hommes, continue à creuser les thèmes de l’égoïsme et de la solitude.

Le Pauvre Cœur des hommes, qui figure aujourd’hui dans les manuels de japonais des lycées, est le roman de Sôseki le plus lu de nos jours. Le « je » au centre du roman, parle depuis le testament envoyé par le « maître » qui s’est suicidé. Ce « maître » a trahi son ami K, un camarade d’étude, puis a épousé sa femme. K se suicide alors de désespoir. Le « maître », lui, a continué à vivre malgré ses remords, mais rongé par son égoïsme et sa solitude, il finira par mettre fins à ses jours à la mort de l’Empereur Meiji.

Clair Obscur, son roman inachevé, traite également de l’égoïsme, avec en son centre un mariage malheureux. Il est supposé que Sôseki aurait eu une nouvelle fois l’intention de mettre en avant sa maxime sokuten kyoshi : un idéal de pensée qu’aspirait à atteindre l’écrivain dans ses dernières années. Cette expression lui serait venue de la pratique du zazen lorsqu’il était jeune.

Portrait de 1912. Sôseki portant un crêpe au bras, à l’occasion de la mort de l’Empereur Meiji. (Collection de la Bibliothèque nationale de la Diète)

Une œuvre de plus en plus appréciée à l’étranger

Les romans de Sôseki dépeignent des individus en conflit avec eux-mêmes, pris en plein processus de transition entre la société féodale et la société moderne.

S’il n’est pas aussi connu à l’étranger que des écrivains comme Kawabata Yasunari et Mishima Yukio, la quasi-totalité de son œuvre est traduite et publiée en français. De plus en plus appréciée, elle continue à faire l’objet de recherches diverses.

Damian Flanagan, un spécialiste britannique de littérature japonaise qui a publié en 2005 une traduction de La Tour de Londres, voit en Sôseki un écrivain mondial comparable à Shakespeare.

Michael K. Bourdaghs, un spécialiste américain de littérature japonaise, considère ce romancier comme un pionnier de la littérature du XXe siècle, et le place au même niveau que Kafka, Joyce ou Lu Xun. Critique de la littérature, son essai sur la littérature rédigé en se servant de psychologie et de sociologie, est pour ce spécialiste une œuvre mondialement avant-gardiste.

En Chine, Sôseki est le romancier japonais le plus connu. Deux de ses nouvelles furent d’ailleurs traduites très tôt en chinois par Lu Xun, dont le frère, Zhou Zuoren, a aussi présenté l’œuvre. Presque tous les romans de Sôseki ont été publiés en chinois, et il existe même près de 20 traductions de Je suis un chat.

Son érudition en poésie classique chinoise – il a écrit plus de 200 poèmes en chinois, et son intérêt pour les notions de nations et de sociétés, semblables à celle des écrivains chinois, font partie des raisons pour lesquelles ce peuple se sent proche de lui, solidaire. Car comme eux, cet intellectuel japonais se débat face à la modernisation et à l’occidentalisation radicales. Sans nul doute, la Chine accorde à Sôseki une image d’écrivain universel, au-delà de toutes frontières.

En Corée, pour des raisons liées à l’histoire, la littérature japonaise a connu un parcours compliqué avant d’être appréciée, et ce n’est qu’à partir de la dernière décennie du siècle dernier que Sôseki a commencé à y être largement connu. Aujourd’hui, ses œuvres complètes en 14 volumes y sont publiées. Là aussi, il n’est pas perçu comme un écrivain japonais, mais comme un écrivain appartenant à la littérature mondiale.

Ils se sont écoulés 150 ans depuis sa naissance. Il n’est pas impossible que son œuvre connaisse de nouvelles réévaluations tant au Japon que dans le reste du monde.

Le mémorial Sôseki Sanbô, en construction, à gauche du parc Sôseki (ouverture en septembre 2017).

(D’après un original en japonais écrit par Inoue Yûsuke. Photos : rédaction de Nippon.com)

Tags

littérature Meiji biographie

Autres articles de ce dossier