Les différents courants de l'animation japonaise

Shinkai Makoto : une conception de l’anime tout à fait originale

Culture

Hikawa Ryûsuke [Profil]

Voici un aperçu du parcours de Shinkai Makoto, le réalisateur de Your name., un film d’animation qui a eu un succès retentissant au Japon.

Conserver son indépendance, le meilleur moyen de faire des œuvres personnelles

Si le succès de Shinkai Makoto n’a pas suscité la vague de réalisateurs indépendants attendue, cela prouve que la réussite de Hoshi no koe n’est pas seulement due à ce que son auteur fait tout lui-même. Le jeune réalisateur a sans doute choisi de travailler en solitaire parce que c’est la méthode qui correspond le mieux à ses interrogations profondes sur la solitude et la nature des relations humaines.

Une  des questions majeures posées par Hoshi no koe  est la suivante : Dans quelle mesure deux personnes qui sont séparées et ne peuvent communiquer que par SMS peuvent-elles conserver leur lien ? On retrouve le thème de la souffrance provoquée par l’impossibilité de se toucher dans 5 centimètres par seconde (2009) et dans Your name. Il est constamment présent dans les films de Shinkai Makoto, même s’il est traité à chaque fois d’une façon différente. Et il touche les spectateurs en plein cœur. Si ce réalisateur a eu autant de succès dès 2002, c’est à cause de sa façon d’aborder directement des problèmes dans lesquels beaucoup de personnes se reconnaissent.

À un moment où les courriels étaient encore une nouveauté, Shinkai Makoto a revisité le thème classique et universel de la séparation et de la distance entre les êtres, en le considérant sous l’angle du maelstrom provoqué par la révolution numérique. Et les spectateurs, subjugués par l’idée qu’il avait créé ces images tout seul, se sont sentis encore plus proches de lui.

Des paysages qui expriment des émotions

Dans les anime de Shinkai Makoto, les personnages expriment rarement leur émotions directement et on n’y trouve pas non plus de scènes régies par le principe d’action-réaction. Les émotions passent par d’autres vecteurs. Les mouvements des nuages dans le ciel, les changements subtils d’éclairage, les monologues poétiques et la musique qui accompagne constamment les images. Une autre caractéristique des œuvres de Shinkai Makoto, c’est que, bien que reposant souvent sur une histoire d’amour, elles comportent très rarement des scènes où les deux protagonistes sont ensemble ou proches au point de pouvoir se toucher. Il n’y a pas non plus beaucoup de moments décisifs. Les spectateurs ont donc tout le loisir de plaquer leurs propres sentiments sur le récit. Et quand Shinkai Makoto joue ainsi avec l’alchimie des sentiments et des réactions des spectateurs, ses films prennent une dimension poétique.

Si Hoshi no koe n’avait pas eu un tel succès, Shinkai Makoto aurait peut-être continué à faire des anime tout seul dans son coin. Mais dès le film suivant – La Tour au-delà des nuages, un long-métrage de 91 minutes sorti en 2004 –, il a adopté une nouvelle approche. Tout en gardant son indépendance et ses distances vis-à-vis du courant dominant de l’industrie de l’anime, il a commencé à travailler avec une équipe d’artistes ayant la même sensibilité que lui. En comparaison de ses œuvres précédentes, La Tour au-delà des nuages est plus proche du genre de la science-fiction et l’action se déroule dans un monde fictif nettement plus élaboré où les problèmes personnels des protagonistes sont représentés par l’univers qui les entoure et dans lequel ils sont impliqués. Avec son long-métrage intitulé 5 centimètres par seconde sorti en 2009, le réalisateur s’est toutefois fait remarquer par un retour vers l’absence d’expression des émotions ainsi qu’un cadre et un sujet complètement réalistes. En 2011, Shinkai Makoto a réalisé Voyage vers Agartha, une histoire très sombre. Le traitement des personnages faisait tellement penser au studio Ghibli qu’on a eu l’impression que Shinkai Makoto était prêt à travailler avec les grands studios d’animation. Beaucoup ont alors pensé que ce revirement était incompatible avec le style très personnel de l’auteur. En 2013, le réalisateur a de nouveau changé de cap avec un court-métrage de 46 minutes intitulé The Garden of Words où il est revenu au thème de l’expression des sentiments par le décor. Dans cette œuvre d’une grande force, l’eau tient une place prépondérante. Shinkai Makoto décrit avec une maîtrise admirable une multitude de plantes baignées par l’humidité ambiante de la saison des pluies qui précède l’été. La transparence de l’eau symbolise la pureté des échanges entre les deux personnages principaux, une femme professeur dans un lycée et un jeune garçon. Le film évoque les sentiments que l’on ne peut pas exprimer par des mots, une référence directe à un thème littéraire japonais très ancien qui remonte au Manyôshû (Recueil des dix-mille feuilles), la première anthologie poétique du Japon, compilée en 759.

Suite > Your name., le chef-d’œuvre de Shinkai Makoto

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Hikawa RyûsukeArticles de l'auteur

Né en 1958. Chercheur spécialisé dans les films d’animation et les effets spéciaux (tokusatsu). Professeur invité à l’Institut de recherches de troisième cycle de l’Université Meiji. A travaillé en tant qu’ingénieur informaticien. Ecrivain et critique spécialiste de l’image y compris du point de vue technique. Membre du jury du Festival Japan Media Arts pour la catégorie animation. Auteur de divers ouvrages dont Firumu to shite no Gundam (À propos des trois films Mobile Suit Gundam, Ohta shuppan, 2002)

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