Les différents courants de l'animation japonaise
Shinkai Makoto : une conception de l’anime tout à fait originale
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Un artiste résolument indépendant, doué d’une très grande créativité
Né en 1973, Shinkai Makoto fait partie de la même génération que Hosoda Mamoru. Mais les deux réalisateurs diffèrent par bien des côtés. Shinkai Makoto a toujours veillé à rester indépendant alors que Hosoda Mamoru, directement issu d’un grand studio de production d’anime, considère qu’un film d’animation est le résultat de la « cristallisation d’un travail d’équipe ». Si les œuvres de Hosoda Mamoru sont destinées au grand public, celles de Shinkai Makoto sont beaucoup plus originales et elles sont le reflet de la très grande créativité de ce réalisateur.
Shinkai Makoto a commencé à travailler en tant que graphiste pour Nihon Falcom Corporation, une entreprise japonaise spécialisée dans l’édition et le développement de jeux vidéo. Dans le même temps, il a réalisé ses premiers courts-métrages d’animation. En 2000, il a remporté le grand prix du 12e concours du film d’animation DoGA(*1) avec Kanojo to kanojo no neko (Elle et son chat), un court-métrage en noir et blanc de 4 minutes et 46 secondes. En 2002, son film Hoshi no koe (La Voix d’une étoile), qui dure près de 30 minutes, a été projeté dans quelques salles avant d’être commercialisé sous la forme d’un DVD. Pour chacune de ces œuvres, Shinkai Makoto a assumé les rôles non seulement de réalisateur et de scénariste mais aussi de dessinateur, coloriste, programmateur 3D, photographe, monteur et doubleur. Autrement dit, la quasi totalité des métiers de l’animation. Ce travail « en solitaire » a beaucoup attiré l’attention sur lui. Hoshi no koe a eu beaucoup de succès et a figuré sur la couverture de plusieurs revues de films d’animation. Le début du XXIe siècle a coïncidé avec celui d’une nouvelle ère de l’animation japonaise, en partie grâce à Shinkai Makoto.
L’héritier de la révolution numérique
La fin du XXIe siècle a été marquée par la « révolution numérique » déclenchée par le développement et la diffusion rapides de l’informatique et d’Internet. Ce bouleversement a tellement affecté le monde de l’animation qu’en 2002, la majorité des entreprises de ce secteur s’étaient déjà entièrement converties au numérique. À l’heure actuelle le processus de réalisation des films d’animation est presque entièrement numérisé. La colorisation, la photographie et le montage se font par ordinateur. Et les seuls procédés analogiques qui ont survécu sont les dessins et les fonds qui continuent à être réalisés à la main. Si Hosoda Mamoru a été l’un des premiers à adopter ces nouvelles techniques, Shinkai Makoto a lui aussi été complètement influencé par la révolution numérique, même si c’est d’une autre façon.
Les équipements nécessaires pour réaliser des films d’animation ont tellement baissé de prix que le fossé qui séparait les professionnels des amateurs a disparu. Les images de Hoshi no koe de Shinkai Makoto n’ont absolument rien à voir avec un travail d’amateur. Si le traitement des personnages laisse parfois quelque peu à désirer, celui des paysages et des chars d’assaut humanoïdes est absolument remarquable. Grâce à Internet, ce film est devenu célèbre bien plus rapidement que du temps des revues d’animation. Sans compter qu’au même moment, le développement des médias de type DVD a multiplié le nombre des fans qui ont acheté le film et l’ont regardé plusieurs fois. Tous ces éléments ont contribué à la formation d’une vague de changement énorme sur laquelle Shinkai Makoto a surfé en la faisant encore grandir.
À l’époque, beaucoup de critiques de films d’animation, moi le premier, ont cru qu’on allait assister à l’apparition d’une série de jeunes réalisateurs décidés à suivre l’exemple de Shinkai Makoto en faisant tout par eux-mêmes. Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. À l’heure actuelle, il y a très peu d’exemples de réalisateurs de films d’animation indépendants sur le marché. Ceux-ci ont d’ailleurs beaucoup de mal à vivre de leur travail depuis que la diffusion de vidéos en ligne est devenue une pratique courante, en 2006.
(*1) ^ DoGA CG Animation Contest (dôga signifie « image en mouvement » en japonais). DoGA est une organisation qui s’est donné pour vocation d’encourager les animateurs débutants.
Conserver son indépendance, le meilleur moyen de faire des œuvres personnelles
Si le succès de Shinkai Makoto n’a pas suscité la vague de réalisateurs indépendants attendue, cela prouve que la réussite de Hoshi no koe n’est pas seulement due à ce que son auteur fait tout lui-même. Le jeune réalisateur a sans doute choisi de travailler en solitaire parce que c’est la méthode qui correspond le mieux à ses interrogations profondes sur la solitude et la nature des relations humaines.
Une des questions majeures posées par Hoshi no koe est la suivante : Dans quelle mesure deux personnes qui sont séparées et ne peuvent communiquer que par SMS peuvent-elles conserver leur lien ? On retrouve le thème de la souffrance provoquée par l’impossibilité de se toucher dans 5 centimètres par seconde (2009) et dans Your name. Il est constamment présent dans les films de Shinkai Makoto, même s’il est traité à chaque fois d’une façon différente. Et il touche les spectateurs en plein cœur. Si ce réalisateur a eu autant de succès dès 2002, c’est à cause de sa façon d’aborder directement des problèmes dans lesquels beaucoup de personnes se reconnaissent.
À un moment où les courriels étaient encore une nouveauté, Shinkai Makoto a revisité le thème classique et universel de la séparation et de la distance entre les êtres, en le considérant sous l’angle du maelstrom provoqué par la révolution numérique. Et les spectateurs, subjugués par l’idée qu’il avait créé ces images tout seul, se sont sentis encore plus proches de lui.
Des paysages qui expriment des émotions
Dans les anime de Shinkai Makoto, les personnages expriment rarement leur émotions directement et on n’y trouve pas non plus de scènes régies par le principe d’action-réaction. Les émotions passent par d’autres vecteurs. Les mouvements des nuages dans le ciel, les changements subtils d’éclairage, les monologues poétiques et la musique qui accompagne constamment les images. Une autre caractéristique des œuvres de Shinkai Makoto, c’est que, bien que reposant souvent sur une histoire d’amour, elles comportent très rarement des scènes où les deux protagonistes sont ensemble ou proches au point de pouvoir se toucher. Il n’y a pas non plus beaucoup de moments décisifs. Les spectateurs ont donc tout le loisir de plaquer leurs propres sentiments sur le récit. Et quand Shinkai Makoto joue ainsi avec l’alchimie des sentiments et des réactions des spectateurs, ses films prennent une dimension poétique.
Si Hoshi no koe n’avait pas eu un tel succès, Shinkai Makoto aurait peut-être continué à faire des anime tout seul dans son coin. Mais dès le film suivant – La Tour au-delà des nuages, un long-métrage de 91 minutes sorti en 2004 –, il a adopté une nouvelle approche. Tout en gardant son indépendance et ses distances vis-à-vis du courant dominant de l’industrie de l’anime, il a commencé à travailler avec une équipe d’artistes ayant la même sensibilité que lui. En comparaison de ses œuvres précédentes, La Tour au-delà des nuages est plus proche du genre de la science-fiction et l’action se déroule dans un monde fictif nettement plus élaboré où les problèmes personnels des protagonistes sont représentés par l’univers qui les entoure et dans lequel ils sont impliqués. Avec son long-métrage intitulé 5 centimètres par seconde sorti en 2009, le réalisateur s’est toutefois fait remarquer par un retour vers l’absence d’expression des émotions ainsi qu’un cadre et un sujet complètement réalistes. En 2011, Shinkai Makoto a réalisé Voyage vers Agartha, une histoire très sombre. Le traitement des personnages faisait tellement penser au studio Ghibli qu’on a eu l’impression que Shinkai Makoto était prêt à travailler avec les grands studios d’animation. Beaucoup ont alors pensé que ce revirement était incompatible avec le style très personnel de l’auteur. En 2013, le réalisateur a de nouveau changé de cap avec un court-métrage de 46 minutes intitulé The Garden of Words où il est revenu au thème de l’expression des sentiments par le décor. Dans cette œuvre d’une grande force, l’eau tient une place prépondérante. Shinkai Makoto décrit avec une maîtrise admirable une multitude de plantes baignées par l’humidité ambiante de la saison des pluies qui précède l’été. La transparence de l’eau symbolise la pureté des échanges entre les deux personnages principaux, une femme professeur dans un lycée et un jeune garçon. Le film évoque les sentiments que l’on ne peut pas exprimer par des mots, une référence directe à un thème littéraire japonais très ancien qui remonte au Manyôshû (Recueil des dix-mille feuilles), la première anthologie poétique du Japon, compilée en 759.
Your name., le chef-d’œuvre de Shinkai Makoto
D’après Kawamura Genki, un producteur des studios Tôhô, Your name., le dernier film de Shinkai Makoto a été apparemment conçu comme une compilation de tout ce que le réalisateur avait « fait de mieux » en l’espace de dix ans. Depuis les superbes paysages qui symbolisent l’innocence de l’adolescence jusqu’à l’harmonie parfaite entre la musique et le rythme des images qui défilent sur l’écran, en passant par l’alchimie entre l’esthétique traditionnelle japonaise et la fiction. Et de fait, Your name. semble contenir tout ce que l’on pourrait attendre de ce réalisateur.
Your name.témoigne aussi d’un effort délibéré pour s’inscrire dans le cadre des anime destinés au grand public. Mais après avoir commencé par une touche d’humour, le film change rapidement de ton et se met à décrire les souffrances de deux êtres séparés par le temps et l’espace.
Un grand nombre des membres de l’équipe qui a participé à la réalisation de Your name. ont eu des parcours prestigieux. Tanaka Masayoshi, par exemple, est bien connu pour avoir collaboré à des anime destinés à la télévision, entre autres Toradora ! et Ano hi mita hana no namae o boku-tachi wa mada shiranai (littéralement : Nous ignorons toujours le nom de la fleur que nous avons vue ce jour-là). Andô Masashi est célèbre pour les dessins qu’il a effectués en tant qu’animateur du studio Ghibli, notamment pour Princesse Mononoke et Le Voyage de Chihiro. Your name.réunit donc tout ce que le cinéma d’animation japonais compte de mieux aujourd’hui en combinant à la fois la méthode du « fait maison » d’un réalisateur indépendant, le style des anime programmés tard le soir par la télévision et les traditions du studio Ghibli. Le plus remarquable, c’est que Shinkai Makoto a réussi cet exploit sans rien perdre de ses qualités personnelles auquel son travail doit son caractère unique.
Shinkai Makoto et Hosoda Mamoru : deux réalisateurs pleins d’avenir
Depuis La Traversée du temps (2006), les films de Hosoda Mamoru ont progressivement gagné en richesse et en profondeur en explorant toutes sortes de nouvelles possibilités. Shinkai Makoto suivra peut-être une trajectoire similaire dans les années qui viennent. Si le succès phénoménal du dernier film de ce réalisateur est dû au fait qu’il a su élargir sa perception du temps et de l’espace, nous risquons fort de le voir ouvrir une voie vers de nouveaux horizons, sans rien perdre pour autant du style qui lui est propre.
Hosoda Mamoru a commencé sa carrière dans un grand studio d’animation alors que Shinkai Makoto a fait ses débuts en tant que réalisateur indépendant avant de connaître le succès. Mais ce qui rapproche ces deux grands réalisateurs c’est qu’ils font l’un et l’autre des films qui s’adressent à la fois aux yeux et au cœur des spectateurs. Ils vont sûrement continuer à nous révéler de vastes mondes à travers leur art. Et j’espère que grâce à leur ambition et à leur passion pour les nouveaux défis, le film d’animation va réussir à devenir une forme d’art à part entière qui sera admirée et respectée en tant que telle.
(D’après un article en japonais du 7 novembre 2016. Bannière : Your name., le dernier film d’animation du réalisateur Shinkai Makoto. ©2016 Your Name Film Partners)