Shodô, l’art de la calligraphie au Japon

La vie au quotidien de Kanazawa Shôko

Vie quotidienne

Katô Chiaki [Profil]

Kanazawa Shôko est née avec le syndrome de Down (trisomie 21), mais cela ne l’a pas empêchée de devenir une calligraphe célèbre dans le monde entier. Quand elle a eu 30 ans, elle a annoncé à sa mère qu’elle avait l’intention de vivre seule. Celle-ci, très inquiète, pensait que sa fille serait de retour à la maison au bout d’une semaine. Mais contrairement à toute attente, la jeune artiste est en train de profiter pleinement de cette nouvelle étape de sa vie.

Kanazawa Shôko KANAZAWA Shōko

Née à Tokyo en 1985. Calligraphe connue sous le nom de Shôran. A commencé à apprendre la calligraphie avec sa mère, dès l’âge de cinq ans. Première exposition personnelle intitulée Shôko, sho no sekai (Shôko, le monde de l’écriture) en 2005, à Tokyo. A ensuite présenté ses œuvres dans des temples bouddhiques prestigieux notamment le Kenchôji de Kamakura, le Kenninji de Kyoto et le Tôdaiji de Nara. À l’étranger, elle a exposé pour la première fois à New York en 2015 et la même année, elle a eu droit à deux expositions personnelles dans les villes tchèques de Pilsen et de Prague. Auteur, en collaboration avec sa mère, de plusieurs ouvrages dont Tamashii no sho : Kanazawa Shôko sakuhinshû (L’écriture de l’âme : recueil des œuvres de Kanazawa Shôko) et Umi no uta, yama no koe : Shoka Kanazawa Shôko inori no tabi (Chant de la mer, voix de la montagne : l’itinéraire spirituel de la calligraphe Kanazawa Shôko).

Une célébrité dans son quartier

Kanazawa Shôko est une calligraphe de renommée mondiale. Son travail a fait l’objet de plusieurs expositions personnelles notamment à New York, à Prague et à Singapour. Il y a un an et demi, elle a décidé de vivre seule en dépit de son handicap (voir article Kanazawa Shôko, une calligraphe de génie malgré son handicap). C’est au tout début du mois de mars 2017, par une belle journée de printemps, que je me rends chez elle, dans un quartier résidentiel de l’arrondissement d’Ôta à Tokyo.

Je viens à la rencontre de la jeune femme qui m’attend à la gare de Kugahara. En prenant la rue commerçante située devant, Shôko salue plusieurs personnes en souriant. Une femme vient même lui serrer la main. Dans la vitrine d’un fleuriste, je vois sa photographie et une de ses calligraphies ainsi qu’un prospectus à propos de sa prochaine exposition qui aura lieu en automne au musée d’art Ueno no mori, à Tokyo. Je retrouve le même papier dans un restaurant de soba (nouilles de sarrasin), une pâtisserie, une papeterie et un salon de coiffure.

En fait, elle a distribué elle-même deux prospectus à chacun des commerçants en leur demandant de les afficher recto-verso dans leur vitrine. Et son vœu a été largement exaucé. Avec le soutien dont elle bénéficie sur place, je me suis dit qu’on pourrait très bien renommer l’endroit en « rue Kanazawa Shôko ».

Kanazawa Shôko dans la rue commerçante menant à son appartement

Une passion pour la cuisine

Quand la porte de son appartement s’ouvre, je découvre une petite cuisine toute blanche avec une table de cuisson à induction. Un espace idéal pour cette passionnée de cuisine. Je pénètre ensuite dans un grand studio avec du parquet au sol. Les murs sont entièrement blancs avec des rideaux roses qui ajoutent un peu de douceur à l’ensemble. Le mobilier se compose notamment d’une coiffeuse de style rococo, d’un bureau et d’étagères. La couleur dominante est le blanc avec quelques touches de rose. Autant de détails vraiment typiques d’un logement de jeune femme.

Kanazawa Shôko est souvent en déplacement avec sa mère à cause des nombreuses expositions de ses œuvres, démonstrations de calligraphie en public et conférences auxquelles elle participe dans tout le Japon. Mais quand elle est à Tokyo, elle prépare toujours elle-même ses repas. Quand je lui demande ce qu’elle prévoit pour le dîner, elle me répond : « Ce soir, ça sera un ragoût de bœuf, parce que j’ai des invités. » Puis elle sort pour faire des courses.

Chez le boucher, elle demande de la viande de bœuf « qui ait du goût » et les ingrédients pour préparer une sauce, puis prend ensuite des carottes et des oignons au rayon légumes du magasin. Une cliente rencontrée sur place est toute heureuse d’expliquer qu’elles vont toujours ensemble à la piscine. Après avoir réglé ses achats, la jeune calligraphe nous emmènent dans son café favori.

Kanazawa Shôko en train d’acheter de la viande de bœuf dans une boucherie de son quartier

Le café en question a ouvert ses portes il y a plus de 40 ans et garde toujours quelque chose des années Shôwa. Nous sommes dans une atmosphère pleine de nostalgie. En attendant son café au lait, Shôko, pleine de bonne humeur, me parle de cuisine et des émissions de télévision auxquelles elle a participé avec le propriétaire des lieux. Elle se rend, semble-t-il, dans cet établissement pratiquement tous les jours. Le propriétaire et sa femme la traitent comme s’il s’agissait de leur propre fille. Dans le quartier, Kanazawa Shôko est considérée comme un véritable trésor, une sorte d’idole. Un agent de la police de proximité qui patrouille tous les jours dans le quartier dit à son propos : « C’est une petite fée venue du ciel. Avec sa baguette magique, elle fait apparaître des étoiles brillantes et redonne vie à ce quartier. » Et c’est tout à fait vrai.

Le café préféré de Kanazawa Shôko

De retour à son appartement, Shôko met un tablier et se lave soigneusement les mains en expliquant que des mains propres, « pour la cuisine, c’est très important ». Elle épluche les carottes et les pommes de terre avec un épluche-légumes avant de les couper avec un couteau de cuisine. Quand c’est le tour des oignons, elle me dit : « Ça va aller. Je n’ai pas les yeux qui piquent. » Mais peu après, ses yeux se remplissent de larmes… Elle se met aussitôt à les rincer à l’eau du robinet.

La jeune femme se lance dans une série d’explications, comme s’il s’agissait d’un cours de cuisine. « Ça, c’est de l’huile d’olive. » « Je coupe la viande en morceaux, pour qu’elle soit plus facile à manger. » « Quand la viande sera bien dorée, j’ajouterai du vin rouge. » Au bout d’environ une heure, le ragoût de bœuf est prêt et une délicieuse odeur envahit l’appartement.

Ce soir, au menu, un ragoût de bœuf !

Shôko met un peu de ragoût dans un petit bol et le dépose sur une étagère, devant la photographie de son père Hiroshi décédé en 1999. « Papa, voici du ragoût de bœuf. Nous allons le manger ensemble. Merci de continuer à veiller sur moi du haut du Ciel », dit la jeune femme en fermant les yeux et en joignant les mains.

Suite > Pas de calligraphie à la maison !

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Katô ChiakiArticles de l'auteur

Directeur du Musée d’art Dewazakura et conservateur du Musée des beaux-arts de Yamagata, dans la préfecture de Yamagata. Né en 1950 dans la préfecture de Fukui. Titulaire d’un diplôme en histoire de l’art européen de la faculté des lettres de l’Université du Tôhoku (1974). A commencé par travailler en tant que journaliste pour l’agence de presse Kyôdô. En 1985, il est entré au Musée des beaux-arts de Yamagata dont il est devenu directeur en 2003. Membre de plusieurs commissions consultatives de la préfecture de Yamagata, dont le Comité pour la protection du patrimoine culturel de Yamagata.

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