Shodô, l’art de la calligraphie au Japon
Kanazawa Shôko, une calligraphe de génie malgré son handicap
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Le 20 mars 2015, la calligraphe Kanazawa Shôko a prononcé un discours au siège des Nations unies à New York, dans le cadre de la quatrième journée mondiale de la trisomie 21 (WDSD). En conclusion elle a déclaré, « Ce que je souhaite, c’est toucher les gens, les réjouir et les rendre heureux. »
Un talent très précoce
Kanazawa Shôko est née à Tokyo en juin 1985. Sa mère, Kanazawa Yasuko avait alors 42 ans. C’était son premier enfant et elle était absolument enchantée par cette naissance. Malheureusement, sa joie a été de courte durée. Le médecin n’a en effet pas tardé à lui apprendre que le bébé était atteint de trisomie 21. Un jour où Kanazawa Yasuko allaitait sa fille en pleurant, celle-ci a essuyé les larmes de sa mère avec sa menotte, en souriant. « La volonté de vivre de Shôko, sa gentillesse et sa sagesse m’on beaucoup aidée », raconte Kanazawa Yasuko. Depuis lors, elles sont unies par un lien extrêmement fort.
Quand Shôko a eu cinq ans, sa mère qui avait étudié la calligraphie pendant de nombreuses années, a décidé de donner des cours chez elle pour les enfants du voisinage. Elle pensait que cela permettrait à sa fille d’avoir des amis. Sur les quatre enfants qui assistaient aux cours, Shôko s’est avérée la seule capable d’emblée de tenir correctement un pinceau. Kanazawa Yasuko a donc pensé que sa fille avait des dispositions naturelles pour la calligraphie.
Shôkô est allée dans une école primaire du voisinage où elle s’est fait beaucoup d’amis. La vie qu’elle menait alors était très paisible. Mais quand elle est entrée au cours moyen première année, la maîtresse a conseillé à sa mère de l’inscrire dans un établissement spécialisé pour les handicapés. Shôko qui aimait tant son école n’a pas compris pourquoi elle devait la quitter. Elle était si désespérée qu’elle a commencé à manquer les cours. Kanazawa Yasuko a cherché par tous les moyens à aider sa fille et c’est ainsi qu’elle a eu l’idée de lui faire écrire le Sutra du cœur (Hannya shingyô), un texte sacré de 276 idéogrammes qui contient l’essence du bouddhisme. Mais le Hannya shingyô est truffé de kanji très difficiles à comprendre et à écrire pour une fillette de dix ans, a fortiori handicapée. Shôko s’est pourtant attelée à la tâche en suivant les conseils très stricts de sa mère. Elle a travaillé jour et nuit en pleurant souvent. Le résultat de cet énorme travail est une œuvre poignante intitulée Namida no hannya shingyô (Le Sutra du cœur des larmes) qui a bouleversé et continue à bouleverser beaucoup de gens.
Un miracle opéré par l’amour
Avec Namida no hannya shingyô, Kanazawa Shôko s’est complètement investie dans la calligraphie et elle a fait d’immenses progrès. Elle a indéniablement assimilé et compris la structure et l’ordre des kanji dans toute leur complexité. Ses efforts ont été récompensés six ans plus tard, quand elle a obtenu le premier prix de l’exposition de la Fédération japonaise des étudiants calligraphes.
Mais cette période de sa vie a aussi été marquée par un événement tragique. Quand Shôko avait 14 ans, son père, Kanazawa Hiroshi est mort subitement d’une crise cardiaque. Il avait tout juste 52 ans. Mais l’amour immense qu’il avait pour elle a continué d’illuminer la vie de sa fille. Kanazawa Hiroshi avait souvent manifesté le désir d’organiser une exposition personnelle des œuvres de Shôko, quand elle aurait 20 ans. Son épouse qui se souciait elle aussi de l’avenir de sa fille s’en est souvenue. En décembre 2005, elle a réalisé le vœu de son mari avec une exposition intitulée Shôko, sho no sekai (Shôko, le monde de l’écriture), dans une galerie du quartier de Ginza, à Tokyo. Les nombreux visiteurs qui se sont rendus sur place ont été émus jusqu’aux larmes par le travail de la jeune calligraphe. La télévision, la presse et Internet se sont emparés de l’événement et Kanazawa Shôko a fait sensation en tant que calligraphe de génie atteinte du syndrome de Down. Un véritable miracle opéré par l’amour de son père.
La quête de l’indépendance
Depuis, Kanazawa Shôko n’a pas cessé de multiplier les activités et sa notoriété s’en est encore accrue. Elle a réalisé des œuvres en public, en présence de sa mère, à l’occasion d’expositions organisées dans tout l’Archipel non seulement dans de grands temples bouddhiques – notamment le Kenchôji de Kamakura, le Tôdai-ji de Nara, le Kennin-ji de Kyoto et le Chûson-ji d’Hiraizumi – mais aussi dans le sanctuaire shintô d’Itsukushima (préfecture de Hiroshima) et dans plusieurs musées des arts et des lettres. En 2011, elle a été chargée de calligraphier les caractères du titre du feuilleton historique consacré par la NHK à l’illustre guerrier Taira no Kiyomori (1118-1181). En 2012, elle a réalisé une immense œuvre de 5 mètres sur 5 représentant le caractère 夢 (yume, rêve) pour la cérémonie d’ouverture du Festival national des sports du Japon, qui s’est tenu à Tokyo. Et en 2015, elle a prononcé un discours au siège de l’ONU, à New York, dans le cadre de la quatrième journée mondiale de la trisomie 21 (WDSD). Un discours qui a profondément ému tous ceux qui étaient présents.
Peu après son trentième anniversaire, Kanazawa Shôko a quitté le domicile maternel et commencé à vivre seule. Jusque-là, elle ne s’était guère préoccupée des questions d’argent mais depuis, elle fait elle-même ses courses dans les rues du voisinage avec des billets de 1 000 yens à la main. La jeune calligraphe s’est parfaitement intégrée dans son quartier où tout le monde l’a accueillie avec le sourire. Elle se débrouille entièrement par elle-même, préparant elle-même ses repas qu’elle prend seule.
Kanazawa Yasuko est très fière et heureuse de voir sa fille voler de ses propres ailes même si, parfois, elle regrette de ne pouvoir partager plus souvent ses repas avec elle. Elle n’imaginait pas que quelqu’un atteint de trisomie 21 pourrait un jour acquérir son indépendance. Kanazawa Shôko est devenue un exemple et une source d’espoir dans le monde entier pour les personnes affectées par le syndrome de Down et leurs familles. Si elle a réussi à être indépendante, c’est sans nul doute grâce à la force que lui donne la pratique de la calligraphie.
Un style de calligraphie de plus en plus diversifié
Quand elle réalise une calligraphie, Kanazawa Shôko a en général recours au style « régulier » (kaisho楷書) qui se caractérise par des lignes régulières et des traits bien définis. Ce style est apparu en Chine à la fin de la dynastie des Han (206 av. J.-C.-220 apr. J.-C.) et il a connu son apogée au cours de la dynastie des Tang (618-907). Je ne suis pas un expert en la matière, mais il me semble que les œuvres de Kanazawa Shôko rappellent à bien des égards celles de Yan Zhenqing (709-785), un des plus grands calligraphes de l’époque des Tang. Le style de Yan Zhenqing est remarquable par la vigueur et la liberté du trait qui donnent à ses calligraphies une force et un délié incomparables. On retrouve toutes ces qualités dans le travail de Kanazawa Shôko. Mais elles vont de pair avec une spontanéité qui insuffle aux caractères le rythme même de la vie. Bien que la jeune calligraphe respecte scrupuleusement les règles traditionnelles qui régissent l’art d’écrire les kanji, on a l’impression qu’elle laisse librement courir son pinceau sur le papier. Et c’est sans doute pourquoi le public est souvent si ému en voyant ses œuvres. « Shôko n’est pas du tout préoccupée par le souci de bien écrire ou de ne pas déborder du cadre du papier », précise sa mère. « Tout ce qu’elle veut, c’est réjouir les gens et les rendre heureux. »
Kanazawa Shôko est maintenant en train d’explorer d’autres styles de calligraphie que le kaisho, en particulier les styles « semi-cursif » gyôsho (行書) et « cursif » sôsho (草書, appelé aussi style « herbe »), ainsi que les syllabaires japonais katakana et hiragana. Elle s’efforce également d’étendre le registre de ses œuvres. Outre les calligraphies composées d’un seul ou de plusieurs idéogrammes, elle puise son inspiration dans les textes sacrés bouddhiques (sutra), la poésie classique chinoise, la poésie traditionnelle japonaise – waka et haïku – et même les poètes contemporains. Mais le travail de Kanazawa Shôko, loin de se limiter à une reproduction fidèle de textes remarquables, doit aussi beaucoup à la grande richesse intérieure de la jeune calligraphe. Et à ce titre, c’est une véritable création qui s’inscrit dans le contexte de l’art contemporain où il jouit d’ailleurs de la plus grande considération.
En 2015, Kanazawa Shôko a fait l’objet de plusieurs expositions personnelles à l’étranger, d’abord à New York puis dans les villes tchèques de Pilsen et de Prague. En octobre 2016, elle a exposé des œuvres à Singapour. Et en avril et mai 2017, elle a eu le droit à deux expositions qui se sont déroulées respectivement à Dubaï et à Saint Pétersbourg, en Russie. La renommée de Kanazawa Shôko va sûrement s’étendre bien au-delà du pays situé à l’extrémité du continent eurasiatique où elle a vu le jour. Cette calligraphe de génie est en train de prendre son « envol » comme l’indique d’ailleurs le premier caractère — shô 翔 — de son prénom, qui signifie déployer ses ailes et s’envoler.
(Voir également notre article : La vie au quotidien de Kanazawa Shôko)
(Photographie du titre : Kanazawa Shôko devant son œuvre « Prière pour la paix » [Heiwa no inori, 平和の祈り], présentée le 13 août 2016, au Musée des beaux-arts de Yamagata. Avec l’aimable autorisation du journal Yamagata Shimbun)