
Les fruits japonais : le goût de la perfection
Les fraises de Tochigi, joyaux de l’agriculture japonaise
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Des fruits dignes de la table d’un roi
Numao Hiroaki saisit doucement une tige délicate entre ses doigts. D’un coup sec, il détache le fruit situé à son extrémité et l’approche de la lumière. Un fruit bien rouge en forme de cœur, sans le moindre défaut, presque aussi gros qu’un œuf de poule. Un exemple parfait des fraises de la variété Tochiotome, que les grands magasins haut de gamme vendent à prix d’or. Mais l’agriculteur n’hésite pourtant pas à mordre dedans en savourant le « fruit » de son travail.
Numao Hiroaki a 41 ans. En 2003, il a quitté le poste de salarié qu’il occupait chez un fabricant de fibre optique pour créer une exploitation agricole dans la préfecture de Tochigi, considérée par les Japonais comme le « royaume de la fraise ». Il a appelé son entreprise Nikkô Strawberry Park (Le parc aux fraises de Nikkô).
Numao Hiroaki devant l’une de ses serres, avec en toile de fond le sommet du mont Nyohô.
« Quand je suis arrivé ici, il n’y avait ni eau ni électricité, rien que des rizières », raconte Numao Hiroaki, en montrant une bande de terrain bordée par des cyprès et dominée par les imposantes cimes enneigées des monts Nantai et Nyohô.
Au départ, Nikkô Strawberry Park se limitait à 6 serres en plastique mais aujourd’hui, l’exploitation n’en compte pas moins de 29, dont 3 ajoutées en 2017. Les fraises de Numao ont déjà été envoyés comme dons à l’empereur du Japon, et tous les ans, plus de 50 000 personnes viennent visiter les lieux en parcourant tranquillement les rangées de plants bien entretenues et en cueillant eux-mêmes de délicieux fruits rouges.
« Les fraises japonaises sont sucrées, bien juteuses, et elles ont beaucoup de goût. Elles plaisent à tout le monde », affirme Numao Hiroaki. « Les enfants adorent venir "chasser les fraises" chez nous. La partie la plus agréable de mon travail, c’est quand j’entends les visiteurs exprimer leur satisfaction en dégustant nos fruits. "Humm ! C’est bon". Ça me rend vraiment heureux. »
Un couple de la préfecture d’Ibaraki en train de cueillir des fraises à l’intérieur d’une serre de l’exploitation de Numao Hiroaki. En période de haute saison, le nombre de visiteurs par jour dépasse le millier.
Tochiotome et Skyberry, deux variétés de fraises exceptionnelles
Numao Hiroaki cultive quatre variétés de fraises dans ses serres : Tochiotome, Yayoihime, Benihoppe et Skyberry. Elles ont presque toutes été créées dans la préfecture de Tochigi grâce aux efforts déployés par les autorités locales pour améliorer ce fruit. La variété Skyberry, par exemple, a été obtenue en 2014, dans le cadre d’un programme minutieux d’hybridation. Elle a fait l’objet d’une marque déposée et elle est exploitée exclusivement dans la préfecture de Tochigi.
Des belles fraises bien rouges de la variété Tochiotome.
« Dans la préfecture de Tochigi, la culture des fraises à grande échelle n’a commencé que dans les années 1960. Au début, la récolte ne pouvait se faire qu’entre les mois de février et d’avril et elle était aléatoire », explique Ôhashi Takashi, chercheur en chef du Centre de recherches sur les fraises du Laboratoire expérimental d’agriculture de la préfecture de Tochigi.
« Mais en 1985, une nouvelle variété appelée Nyohô a vu le jour. Elle a la particularité de se récolter à partir du mois de décembre et donc de permettre aux pâtissiers de faire des gâteaux de Noël garnis de fraises. » Depuis, la génoise aux fraises et à la crème chantilly a un tel succès que la demande en fruits a explosé. « Les chercheurs continuent à essayer d’obtenir des variétés avec des fruits toujours plus gros et plus sucrés », ajoute Ôhashi Takashi, « et les agriculteurs font davantage de profits ».
Gâteau aux fraises et salades de fruits proposés par la fruiterie haut de gamme Shinjuku Takano de Tokyo.
Les fraises ont fait leur apparition dans l’Archipel il y a environ deux siècles sous la forme de plants originaires des Pays-Bas, arrivés par bateau à Nagasaki, le seul port japonais autorisé à communiquer avec le reste du monde durant la longue période de fermeture du pays à l’époque d’Edo (1603-1868).
Au cours de l’ère Taishô (1912-1926), les fraises ont commencé à être cultivées dans la préfecture de Tochigi, mais il a fallu attendre longtemps pour qu’elles soient appréciées à leur juste mesure et que davantage d’espace soit consacré à leur culture.
« Cela fait près de 50 ans que la préfecture de Tochigi occupe la première place en ce qui concerne la production des fraises dans l’Archipel », dit Ôhashi Takashi. « Les producteurs de riz recherchaient des plantes à cultiver pendant la période de morte-saison et la région constituait un emplacement idéal à cet égard parce qu’elle est bien ensoleillée en hiver. »
« Pendant plus de 20 ans, ils ont cultivé de plus en plus de fraises, en commençant par la Nyohô. Et quand de nouvelles variétés ont permis d’obtenir des fruits pratiquement toute l’année, ils ont fini par faire de la fraisiculture leur activité principale. À l’heure actuelle, on ne peut plus considérer les fraises comme une culture saisonnière. D’autant que les exploitations fraisicoles attirent de plus en plus les touristes. »
La variété Tochiotome, mise sur le marché en 1996, a pris la succession de la Nyohô parce que ses fruits sont à la fois plus gros et plus sucrés. Elle est également très appréciée des consommateurs à cause de sa couleur rouge foncé et de sa chair fondante. Aujourd’hui, 90 % des fraises produites dans la préfecture de Tochigi appartiennent à la variété Tochiotome, un nom prédestiné puisqu’il signifie « jeune fille de Tochigi ».
Outre la Tochiotome, une nouvelle variété est en train de conquérir le cœur et les papilles des amoureux des fraises. Il s’agit de la Skyberry, résultat de 17 années de recherches, qui est unanimement louée pour son parfum, le fondant de sa chair et une subtile alchimie de notes sucrées et acidulées.
D’après le ministère japonais de l’Agriculture, des Forêts et de la Pêche, 5 450 hectares de terres de l’Archipel sont occupés par des cultures de fraises, pour une production de 158 700 tonnes. La préfecture de Tochigi arrive largement en tête avec 24 800 tonnes suivie par celle de Fukuoka avec 16 000 tonnes.