Les fruits japonais : le goût de la perfection

La France et l’Espagne se découvrent une passion pour le fruit « yuzu »

Culture

Le parfum délicat du yuzu est depuis très longtemps apprécié dans la cuisine japonaise. Aujourd'hui, l'Occident découvre les possibilités culinaires de cet agrume unique, la France et l’Espagne en première ligne, grâce aux efforts tenaces d'une petite communauté de la préfecture de Kôchi.

Impossible d’imaginer la cuisine d'un chef japonais sans le précieux yuzu. S’il ne se retrouve que rarement au premier plan, il est néanmoins renommé pour son arôme concentré. Une goutte de son jus ou un mince copeau de son zeste suffit à relever des plats en leur conférant un parfum unique et raffiné qu’on ne trouve dans aucun autre agrume.

Il y a encore peu, la popularité du yuzu s’arrêtait aux frontières de l’Archipel. Mais ces dernières années, il a fait son entrée dans les menus des meilleurs restaurants français, espagnols, et même américains, les chefs et les pâtissiers occidentaux découvrant les possibilités de cet ingrédient très spécial.

Deux protagonistes de la campagne d'exportation du yuzu du village Kitagawa : Ôtsubo Takashi de la mairie et Tadokoro Masaya, propriétaire de la ferme Tosa Kitagawa.

Quand le yuzu rencontre la gastronomie moléculaire espagnole

Bien que le yuzu ait été à l’origine importé de Chine, ce fruit est profondément ancré dans la société et la culture japonaise. Souvent cultivé dans les jardins familiaux dans les zones plus chaudes de l'Archipel, il a depuis longtemps été adopté dans la tradition culinaire du pays. Mais il a fallu un illustre maître queux pour lui donner ses lettres de noblesse en Occident.

Le chef espagnol Ferran Adrià semble avoir été celui qui a réellement attiré l'attention des chefs et gourmets occidentaux sur le yuzu. Célèbre pour sa gastronomie créative et expérimentale, Ferran Adrià s’est fait connaître en tant que chef cuisinier du restaurant trois étoiles Michelin « El Bulli » dans le nord de l'Espagne, lequel a inspiré le documentaire éponyme El Bulli en 2010.

Ferran Adrià a découvert le yuzu en 2002, lors de son premier voyage au Japon. Hattori Yukio, directeur de l'École de cuisine Hattori à Tokyo se remémore sa rencontre avec le maître espagnol.

« J'avais amené Ferran à Mibu, à Ginza, un restaurant spécialisé dans la cuisine de Kyoto. On nous a servi un plat parfumé avec un zeste de yuzu entier. Après la dégustation, Ferran a appelé le chef lui-même pour qu’il lui apporte un vrai yuzu. Immédiatement, il l'a pris dans sa main et l'a pressé. Le jus s’est répandu, embaumant la pièce du doux parfum du fruit. Ferran a été tellement ému par la profondeur de l'arôme qu’il en avait les larmes aux yeux. »

De retour en Espagne, Ferran s’est empressé de parler de sa trouvaille, présentant le yuzu au salon culinaire de renom Madrid Fusion.

Très vite, Nakazawa Toshirô, qui dirige la société commerciale alimentaire Top Trading, basée à Osaka, a remarqué un intérêt de plus en plus prononcé de la part des chefs français qu'il invitait au Japon chaque année. « Ils ont commencé à accorder plus d'attention aux ingrédients typiquement japonais, en particulier au yuzu », explique-t-il.

« Contrairement à la plupart des chefs, Ferran est toujours prêt à partager ses découvertes, car son objectif principal est de contribuer à la culture culinaire », ajoute Nakazawa. « Quand un grand chef comme celui-ci présente au monde entier un ingrédient comme le yuzu, il n’en faut pas plus pour susciter un sentiment d’excitation général. »

« Yuzu à l'Aube », un dessert créé par le chef pâtissier espagnol Jordi Bordas, vainqueur de la Coupe du monde de la Pâtisserie 2011 (avec l’aimable autorisation du village Kitagawa).

La France à la rescousse

En 2006, Nakazawa recevait tellement de demandes d’informations de France qu'il a commencé à réfléchir à la possibilité d'exporter les précieux agrumes japonais à l'étranger. En 2007, il a fait un pas dans cette direction en lançant des exportations de jus de yuzu, de poudre, de confiture et d'autres produits transformés.

En 2008, Nakazawa a rencontré Katô Shinobu, directeur de Kitagawa-mura Yuzu Ôkoku, qui fabrique des produits à partir du yuzu cultivé dans le village de Kitagawa dans la préfecture de Kôchi. Katô Shinobu avait également pour ambition de développer son activité de produits à base de yuzu, en mettant l'accent sur la reconnaissance de la marque premium Kitagawa. Ces idées ont commencé à trouver écho auprès des autorités locales lorsque les récoltes exceptionnelles ont provoqué l'effondrement des prix du yuzu en 2009 et 2010, les incitant fortement à envisager d’élargir le marché vers l'étranger.

En juin 2011, suite à de fortes sollicitations des importateurs français, Nakazawa a pu organiser le premier événement en Europe de dégustation de yuzu, en l’occurrence celui de Kitagawa. La dégustation a eu lieu à Paris au restaurant deux étoiles Senderens, où le chef Jérôme Banctel et le célèbre chef spécialiste de la cuisine fusion japonaise Kumagai Kihachi avaient préparé un repas à plusieurs plats pour 140 chefs locaux et critiques gastronomiques. Le yuzu s’imposait dans chacun des plats, des cocktails jusqu’au dessert. Avant que l'événement soit terminé, enthousiastes, les chefs demandaient comment il était possible de se procurer du yuzu frais.

Cependant, exporter du yuzu n’était pas chose aisée. Les importations d'agrumes sont souvent soumises à des exigences strictes en matière de quarantaine et d'inspection. Aucun accord n’avait par ailleurs été trouvé entre le Japon et l'Union européenne sur les normes d'exportation.

Des normes internationales strictes

La dégustation a rencontré un franc succès, mais des obstacles majeurs subsistaient pour que le Japon puisse commencer à expédier du yuzu frais vers la France. « Dès notre retour de Paris, nous nous sommes tous mis au travail : fonctionnaires locaux, agronomes, agriculteurs, exportateurs, absolument tout le monde », explique Katô de Yuzu Ōkoku.

La première étape consistait à sélectionner un verger modèle capable d’offrir un environnement de production répondant aux exigences strictes de l'UE en matière d'exportation. Nous avons choisi la ferme Tosa Kitagawa, le plus grand producteur de la préfecture de Kôchi.

Le plus grand défi de la ferme, nous explique le propriétaire Tadokoro Masaya, était de réduire l'utilisation de produits agrochimiques tout en s'assurant que le fruit ne présentait ni parasites ni maladies. « Seulement environ un tiers des pesticides autorisés au Japon peuvent être employés », explique Tadokoro Masaya. « Et les normes pour les résidus chimiques sont également extrêmement strictes. Les experts en agronomie de la préfecture ont dû élaborer un nouveau plan d'agriculture. Nous ne pouvions pas avoir recours aux herbicides, nous devions donc tondre toute l'herbe à la main. Et nous a fallu établir une zone tampon de dix mètres tout autour de la section du verger que nous avions mise de côté pour l'exportation du yuzu. Les exigences étaient cent fois plus strictes que pour le marché intérieur. »

Enfin, en février 2012, le ministère japonais de l'Agriculture, des Forêts et de la Pêche a conclu un accord avec l'UE sur les conditions de quarantaine pour les agrumes japonais exportés vers l'Europe. Des normes basiques pour l'exportation de yuzu frais ont finalement pu être définies.

La même année, au mois d’octobre, le yuzu frais a fait ses débuts au Salon international de l'alimentation (SIAL) à Paris, le plus grand salon européen consacré aux produits alimentaires. En l’espace de trois jours, les acheteurs potentiels se sont arrachés tous les yuzu que le Japon avait pu exporter cette saison. Les exportations vers la France ont commencé le mois suivant, en novembre. Depuis lors, la demande n’a cessé d’augmenter, dépassant les capacités de production locales.

Des produits de Kitagawa à base de yuzu exposés au SIAL Paris, automne 2012 (avec l’aimable autorisation du village de Kitagawa).

Une question de vie ou de mort

Le Kôchi Shimbun, un journal régional souligne une croissance encourageante des exportations annuelles. Les exportations de yuzu frais et de jus du précieux fruit représentaient 26 millions de yens en 2010. Elles sont passées à 40 millions de yens en 2011. En 2012, l’année où l’Union européenne a rendu possibles les exportations de yuzu, ce chiffre a atteint 89 millions de yens, puis 130 millions de yens en 2014. En 2016, Kitagawa exportait à lui seul 4 tonnes de yuzu frais.

Récolte de yuzu à la ferme Tosa Kitagawa

À l’instar de nombreuses communautés rurales au Japon, Kitagawa est confronté à une grave crise agricole. L’âge moyen de ses producteurs est supérieur à 70 ans et la relève est loin d’être assurée dans sa totalité. Le dynamisme des exportations a donc redonné du baume au cœur à la profession. La participation à des ateliers locaux sur la culture de yuzu a bondi pour passer de 48 % en 2011 à 91 % en 2012.

Lorsqu’il était en France à l’occasion d’un autre salon commercial en janvier 2017, Ôtsubo Takashi de la mairie du village de Kitagawa, a lui aussi pu constater les nombreuses opportunités à venir pour le précieux agrume. « En à peine quatre ans, le yuzu s’est fait un véritable nom. Des supermarchés locaux vendent même des biscuits au goût yuzu », se réjouit-il.

Pour autant, Ôtsubo Takashi reconnaît que le marché du yuzu n’en est qu’à ses balbutiements. Par ailleurs, il n’est pas sans savoir que les règles strictes continuent de rendre la production pour l’export laborieuse et onéreuse. « En bravant les problèmes liés à l’export de yuzu frais, nous espérons faire connaître davantage la marque du village de Kitagawa et le goût unique de nos produits, avec pour objectif final l’exportation à l’étranger de jus de yuzu de Kitagawa. Pour le petit village de 1 300 âmes, le défi reste entier.

(D’après un original en japonais de Doi Emiko, Nippon.com. Photos sauf mention contraire : Kusano Seiichirô. Photo de titre : une parcelle du verger de la ferme Tosa Kitagawa pour la production de yuzu, réservée à l’export vers l’Europe.)

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