L’univers du poète Miyazawa Kenji, 120 ans après sa naissance

L’utopie de l’écrivain Miyazawa Kenji

Culture

« Ihatov » est l’un des principaux mots-clés pour comprendre l’œuvre de Miyazawa Kenji. Ce mot, qui désigne ce qu’on pourrait qualifier d’utopie intime, puise ses sources dans la région natale de Miyazawa, la préfecture d’Iwate. Examinons aujourd’hui sa signification, 120 ans après la naissance de son auteur, en compagnie d’un chercheur chinois.

En 2000, une enquête du quotidien Asahi Shimbun établissait la liste des auteurs japonais préférés des mille dernières années : Miyazawa Kenji arrivait en quatrième place de ce palmarès, devant les auteurs mondialement connus que sont Mishima Yukio et les prix Nobel de littérature Kawabata Yasunari et Ôe Kenzaburô.

Miyazawa Kenji, né dans une famille aisée de Hanamaki, dans la préfecture d’Iwate, au lieu de reprendre l’affaire familiale, a préféré se consacrer au développement de méthodes scientifiques pour l’agriculture et à la formation des agriculteurs, activités dans lesquelles il s’est lui-même impliqué. En parallèle, il a écrit une centaine de contes et livres pour enfants, dont le plus connu est sans doute Train de nuit dans la Voie lactée, ainsi qu’un millier de poèmes et de textes variés. Faute de reconnaissance littéraire de son vivant, Traversée de la neige est le seul texte pour lequel il a été rémunéré.

Ses œuvres ont gagné en notoriété après sa disparition au jeune âge de 37 ans ; elles figurent aujourd’hui encore dans les manuels scolaires et font l’objet de nombreuses adaptations à la télévision ou au cinéma, ainsi qu’en musique. Traduites dans 22 langues, elles ont été largement diffusées à l’étranger. Les admirateurs de Miyazawa Kenji venus du monde entier se pressent dans le musée érigé à son souvenir dans sa ville natale de Hanamaki.

Ihatov est l’utopie au cœur du paysage intime de Miyazawa Kenji, un toponyme inspiré de sa région natale d’Iwate.

Puissance poétique

Lorsqu’on lit Miyazawa Kenji, il est nécessaire de garder continuellement à l’esprit le toponyme Ihatov, créé de toutes pièces par l’auteur. Ce terme qui désigne le village idéal au cœur de son paysage intime puise ses sources dans sa région natale d’Iwate, frappée par de nombreuses catastrophes naturelles, tremblements de terre et tsunami, entre autres.

En mars 2011, la région a été durement éprouvée par le séisme et le tsunami du nord-est du Japon, mais une fois encore, les habitants du Tôhoku ont su se relever, malgré le désespoir et l’impuissance. Environ un mois après la catastrophe, le poème Ame ni mo makezu (Sans céder face à la pluie) avait été lu plus de 40 000 fois sur Internet. L’œuvre de Miyazawa Kenji a encouragé tous ceux qui cherchaient à aller de l’avant, sans céder face à la catastrophe.

Sans céder face à la pluie
Sans céder face au vent
Pas plus que sous la neige ou la chaleur de l’été
Avoir un corps solide
Ne pas entretenir de désirs
Ne jamais se fâcher
Toujours sourire tranquillement

Le manuscrit d’Ame ni mo makezu

Ihatov sans frontières

Ihatov, sans se limiter à la région du Tôhoku, s’étend le long du rivage et par-delà les collines et les montagnes du village natal de Miyazawa Kenji. Englobant jusqu’aux îles de l’océan, serpentant à travers les déserts et les continents, il est devenu un lieu utopique s’étendant d’est en ouest. Et sur les rails transparents du Train de nuit dans la Voie lactée, il monte jusqu’au ciel, vers « l’éternel inachevé dans sa complétude » (Introduction à l’art agricole), vers l’infini.

En consacrant son existence à dépeindre le monde d’Ihatov, Miyazawa Kenji y a épuisé sa vie. Et il nous a ainsi laissé les clés, à travers ses œuvres, de ce rêve qui était le sien.

Miyazawa Kenji et la Chine

À l’époque où l’on n’avait encore guère conscience des problèmes environnementaux, il y a une centaine d’années, Miyazawa Kenji a forgé ce concept qu’il a mis au cœur de son œuvre. Il l’a baptisé Ihatov.

À la source de cette capacité à anticiper se trouve un lien étroit avec la pensée chinoise. L’équilibre entre les humains et leur environnement est expliqué dans le taoïsme de l’époque des Printemps et des Automnes (770 à 453 av. J.-C.). D’après le Traité sur l’égalité de toutes les existences, l’être humain et la variété d’existences du monde naturel s’influencent mutuellement et fusionnent. Miyazawa Kenji avait intégré la sagesse des philosophes orientaux, à commencer par le taoïsme.

Parmi les grands classiques chinois, l’ouvrage préféré de Miyazawa Kenji était La Pérégrination vers l’Ouest, comme l’a révélé son frère Seiroku. La bibliothèque de l’école supérieure d’agriculture de Morioka (actuelle Université d’Iwate), où Miyazawa a étudié, abrite encore un exemplaire de cet ouvrage, qu’on peut imaginer être celui dont le poète a tourné les pages.

Miyazawa se trouvait à Iwate, mais son esprit voyageait vers les territoires de l’Ouest, jusqu’en Inde, créant son propre pont entre Iwate et la route de la soie sur le 40e parallèle nord, espace dans lequel il songeait à son Ihatov. Parfois, son quotidien rejoignait ces territoires rêvés, comme lorsqu’il convoque le Roi des singes dans le deuxième chapitre de Printemps et Asura, ou qu’il évoque dans une lettre à son père « un saut de 18 000 li » (23 février 1918) digne de ce même Roi des singes.

Une photographie des ruines de Gaochang, ancienne étape de la route de la soie, est affichée au Musée Miyazawa Kenji, et les noms de villes environnantes apparaissent fréquemment dans ses propres œuvres. Il créait en s’appuyant sur la carte dessinée par les Pérégrinations, dépeignait les déserts des territoires de l’Ouest et Shanghai la nuit. Bercé par le son du guqin chinois traditionnel, il décrivait à loisir ses rêves de Chine et de route de la soie.

Les liens entre Miyazawa Kenji et la Chine offrent de nombreuses pistes de réflexion. La philosophie asiatique a toujours eu sa place aux fondements de la culture japonaise, influencée par la civilisation chinoise. Cette fusion entre une vision harmonieuse et paisible du monde, et une vision selon laquelle tout ici-bas est relié, vient bouleverser nos principes contemporains.

(Photos : Ôhashi Hiroshi. Photo de titre : un message de Miyazawa Kenji sur le mur du bâtiment de l’Association Rasuchijin, créée par lui-même à Hanamaki et où il a subsisté par ses propres moyens jusqu’à sa mort.)

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