La mode nippone passe par les régions

Aizome : la teinture à l’indigo, une tradition japonaise de longue date

Culture Tourisme

Au Japon, l’indigotier « ai » est surtout cultivé dans la préfecture de Tokushima. Avec les feuilles de cette plante on prépare la fameuse teinture à l’indigo « aizome » qui était déjà très prisée par les guerriers de l’époque Sengoku (1467-1568), à la fois pour ses qualités pratiques et pour sa grande beauté. Une tradition de longue date qui s’est perpétuée jusqu’à aujourd’hui, en dépit de toutes sortes de difficultés. Nous nous sommes rendus sur place pour essayer d’en savoir davantage.

Un milieu naturel de prédilection pour l’indigotier

La préfecture de Tokushima, qui correspond à l’ancienne province d’Awa, se trouve au nord-est de l’île de Shikoku. Traversée d’ouest en est par la rivière Yoshino, celle-ci est limitée au nord par la chaîne montagneuse du Sanuki et au sud par celle du Shikoku. C’est dans ce cadre que s’est développé l’un des centres les plus actifs de l’art traditionnel japonais de la teinture à l’indigo.

La vallée de la Yoshinogawa est un lieu très propice à la culture de l’indigotier. Quand il n’y avait pas d’installations pour réguler son cours, les pluies torrentielles provoquées par les typhons faisaient déborder la rivière pratiquement chaque année. Les alluvions fertiles apportées régulièrement par les inondations constituaient un terreau idéal pour cultiver l’indigotier. C’est ainsi que la province d’Awa est devenue la première région productrice d’indigo de haute qualité du Japon.

L’indigotier (indigofera tinctoria) est une plante annuelle de la famille des Fabacées qui mesure de 60 centimètres à 1,2 mètre de hauteur et donne des grappes de fleurs blanches ou rouges en automne. Originaire de la péninsule d’Indochine, il aurait été introduit au Japon via la Chine au cours de la période d’Asuka (592-710). La culture de l’indigotier a fait la prospérité de la vallée de la Yoshinogawa. En 1889, au moment de la mise en place du nouveau système de division territoriale instauré par le gouvernement de Meiji, la ville de Tokushima arrivait au 10e rang des municipalités les plus peuplées du Japon. En 2010, elle n’occupait plus que la 86e place. Mais la tradition de la teinture à l’indigo n’en reste pas moins toujours vivante, même si les temps ont changé.

Un mouchoir teint à l’indigo au musée Ai no yakata (la Maison de l’indigo) de Tokushima

Une teinture aux multiples qualités

Le quartier d’Aizumi, dans la ville de Tokushima, abrite un musée appelé Ai no yakata (Maison de l’indigo) qui est installé dans l’ancienne demeure d’un riche marchand d’indigo. Cette résidence splendide témoigne à elle seule de la prospérité que l’indigotier a apporté dans la région.

L’indigo a fait son apparition dans la province d’Awa au cours de l’époque de Heian (794-1185). Pendant l’époque de Sengoku (1467-1568) qui a été marquée par des conflits incessants entre les seigneurs féodaux, la demande en tissus teints à l’indigo a fortement augmenté. Sous leur armure, les guerriers portaient volontiers des vêtements réalisés dans ce type d’étoffes parce qu’ils appréciaient non seulement leur beauté mais aussi leurs propriétés antiseptiques. La teinture à l’indigo a en effet la particularité de contribuer à éviter les irritations et d’autres problèmes cutanés liés aux frottements et à la transpiration, comme en témoignent certaines tenues encore en usage aujourd’hui dans les arts martiaux.

L’indigo : une matière vivante

À gauche : le musée Ai no yakata, installé dans l’ancienne résidence d’un marchand d’indigo. À droite : des visiteurs en train de s’exercer à la pratique de la teinture à l’indigo (aizome) traditionnelle, dans un atelier du musée.

Quand on entre dans l’atelier de teinture du musée Ai no yakata, on est tout de suite saisi par un parfum frais, celui de l’indigo situé dans de grandes cuves. Un des employés du musée précise que « l’indigo est une matière vivante et c’est d’ailleurs pourquoi nous avons l’impression de le “nourrir” ». Après la récolte, on coupe les feuilles d’indigotier et on les laisse fermenter longtemps jusqu’à obtention d’une matière tinctoriale appelée sukumo. On ajoute ensuite de la lessive de cendres (aku) et de la chaux (sekkai). Pour que le sukumo atteigne son point d’équilibre, il faut veiller à conserver une température ambiante et un degré d’alcalinité adéquats. Une écume de couleur bleu cobalt appelée « fleur d’indigo » (ai no hana) fait alors son apparition à la surface du sukumo. C’est le signe que la teinture est prête à l’emploi.

L’écume de couleur bleu cobalt se forme à la surface de la teinture à l’indigo.

Les tissus teints à l’indigo doivent leur couleur caractéristique à des microorganismes (kankin) qui se développent durant le processus de fermentation des feuilles d’indigotier. Sous l’action de ces bactéries, la matière colorante dont le tissu est imprégné prend une superbe coloration bleue quand elle s’oxyde à l’air libre. La teinture à l’indigo doit être préparée et traitée avec le plus grand soin afin de protéger et nourrir les microorganismes dont dépend sa couleur. Pour entretenir ces bactéries, on ajoute plusieurs ingrédients au mélange, entre autres du saké et une gelée à base de sirop d’orge malté (mizuame).

La teinture à l’indigo, mode d’emploi

À gauche : les visiteurs du musée Ai no yakata peuvent participer à une séance de teinture à l’indigo. Pour créer des motifs sur un mouchoir ou une petite serviette (tenugui), il faut isoler certaines parties du tissu avec des élastiques et des baguettes, de façon à ce que la teinture n’y pénètre pas. À droite : après avoir plongé le tissu un certain nombre de fois dans la cuve d’indigo en fonction de la couleur recherchée, on retire les élastiques et les baguettes qui maintenaient des portions du tissu hors d’atteinte de la teinture.

Au cours de notre visite du musée Ai no yakata, nous avons eu l’occasion de participer à une séance de pratique de teinture à l’indigo. Nous avons commencé par préparer un morceau de tissu, en l’occurrence un mouchoir, de façon à créer un certain nombre de motifs. Pour ce faire, nous avons eu recours à la technique de la « teinture à réserves » (shibori) qui consiste à isoler certaines parties de l’étoffe en les ligaturant pour empêcher la couleur d’y pénétrer. Nous avons créé des « réserves » à l’aide d’élastiques enroulés autour de bâtons et de baguettes, tout en essayant d’imaginer quel serait le résultat final. Nous avons ensuite plongé le tout dans la teinture à l’indigo pendant 60 secondes. Puis nous avons sorti le tissu de la cuve. C’est alors que nous avons vu sa couleur se transformer à vue d’œil et passer du vert foncé au bleu.

La couleur de l’indigo dépend du nombre de fois qu’on plonge le tissu dans la cuve de teinture. Et elle est d’autant plus foncée que l’opération est répétée. Chaque nuance a un nom qui lui est propre : kamenozoki (bleu pâle), asagi (bleu-vert pâle), hanada (bleu azur), nando (bleu-vert foncé), ai (indigo, bleu de Prusse), kon (bleu foncé), et kachiiro (indigo foncé, bleu-noir). Une fois la couleur souhaitée obtenue, la teinture proprement dite est terminée. On retire les élastiques et les baguettes et on rince soigneusement l’étoffe à l’eau claire. Le résultat est impressionnant. De superbes cercles blancs translucides flottent sur un fond indigo, comme des belles de jour blanches en train de s’épanouir dans un ciel d’été d’un bleu profond.

(Reportage et texte : Yoshimoto Naoko. Photographies : Nakano Haruo. Avec la collaboration du musée municipal d’histoire d’Aizumi, Ai no yakata)

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