La naissance du whisky « Made in Japan »
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À 50 kilomètres à l’ouest de Sapporo sur l’île de Hokkaidô, se trouve une petite ville de 20 000 habitants appelée Yoichi. C’est aussi le nom de la distillerie qui produit le meilleur whisky single malt du monde. La distillerie, joyau du groupe Nikka, a été inaugurée en 1934 par Taketsuru Masataka (1894-1979), qui lui-même était né dans une famille de producteurs de saké de la préfecture de Hiroshima.
Taketsuru a trouvé ici un climat proche de l’Écosse
Si le fondateur de la distillerie s’est installé à Yoichi en 1934, c’est parce qu’il y a trouvé un climat « humide et frais » proche de l’Écosse. Au tout début, en attendant que les premiers whiskies distillés aient suffisamment vieilli (entre 3 et 5 ans) pour être mis en vente, la nouvelle société a survécu en commercialisant du jus de pommes et du cidre.
Un autre principe sur lequel se basait Taketsuru, et toujours scrupuleusement respecté de nos jours, est que les fûts devaient vieillir sur les lieux mêmes de la distillerie. « La personnalité du whisky lui est donnée par la nature et le climat de son terroir », disait-il. Et depuis toujours, à Yoichi, les fûts sont mis en vieillissement directement sur le sol de terre battue, empilés jusqu’à une hauteur de deux étages. Autour des bâtiments rustiques, les pétasites (une herbe comestible de Hokkaidô) poussent naturellement.
Pendant les nombreuses années de son vieillissement silencieux, le whisky mûrit au contact direct de l’air extérieur à travers le bois des fûts. Sugimoto Junichi, directeur de la distillerie, explique pourquoi Yoichi présente les qualités idéales pour produire un whisky d’exception.
« Nous ne sommes qu’à 900 mètres des côtes de la Mer du Japon. L’effet de la brise marine ajoute sa complexité aux arômes de notre whisky, même si je ne saurais pas vous en donner l’explication scientifique. »
Taketsuru et Torii, les pères du whisky japonais
L’histoire de la production de whisky au Japon commence en 1918, quand Taketsuru Masataka, à l’époque jeune ingénieur pour la brasserie de saké Settsu Shuzô, est envoyé en Écosse par son employeur. Un alcool était déjà commercialisé au Japon sous le nom de « whisky », mais ce n’était qu’un ersatz d’éthanol additionné de quelques colorants pour lui donner un peu de couleur et un vague goût.
En complément de ses études de chimie appliqué à l’Université de Glasgow, Taketsuru effectua des stages pratiques dans les distilleries de Longmorne (Speyside) et Hazelburn (Campbeltown). Or, à son retour au Japon en 1920, Settsu Shuzô hésitait à se lancer dans la production de whisky authentique, du fait que le Japon se trouvait dans une période de récession à l’issue de la Première Guerre mondiale.
C’est alors que Torii Shinjirô (1879-1962), le fondateur du magasin de vin Kotobuki-ya (devenu aujourd’hui Suntory) recruta Taketsuru sur la foi de sa maîtrise technique et de son expérience. À l’époque, Torii avait connu un franc succès commercial avec son Akadama Porto Wine, une boisson à base de vin de Porto, aromatisée pour que les Japonais de l’époque l’apprécient. Le patron de Kotobuki-ya souhaitait donc investir dans une nouvelle aventure.
Ainsi naquit le premier whisky « Made in Japan », créé par Taketsuru et Torii, qui fut commercialisé en 1929 sous la marque « Suntory Shirofuda » (c’est-à-dire « Suntory white label »). Néanmoins, Taketsuru rompit avec Torii et devint indépendant 5 ans plus tard.
En 1937, Torii lança « Kakubin » (« La bouteille carrée »), un produit à extrêmement longue traîne puisqu’il existe toujours aujourd’hui. De son côté, en 1940, Taketsuru commercialisa son premier produit sous son label personnel Nikka Whisky. Malgré les restrictions du temps de guerre, ni l’un ni l’autre n’eurent de difficultés à obtenir les matières premières nécessaires à leur production à partir de réquisitions militaires et purent poursuivre leur production.
Multiplication des sites de production
Le boom des boissons alcoolisées commence après la Seconde Guerre mondiale, vers 1955, quand la reconstruction du pays se met réellement sur orbite. Dans les zones urbaines, la bière et le whisky remplacent définitivement le saké comme boissons populaires. Quand arrive la période de forte croissance, en 1964, la production de whisky de grain démarre (whisky de maïs sur un procédé de distillation en continu), autorisant l’élaboration de blended whiskies. Nikka et Suntory fondent leur seconde distillerie, respectivement à Miyagikyô en 1969 pour Nikka, et en 1973 à Hakushû pour Suntory.
En Écosse, où opèrent plus d’une centaine de distilleries, chacune produit une base de distillerie riche et distinctive. Afin de proposer un catalogue varié, les bases s’échangent et se vendent entre distilleries pour produire des assemblages (appelés « blend »). C’est ainsi que des marques comme Johnnie Walker ou Ballantine parviennent à obtenir des goûts et des arômes aux accents complexes, grâce à l’assemblage de jusqu’à 40 bases différentes.
Le système est un peu différent au Japon, dans la mesure où chaque fabricant doit distiller lui-même toute une variété de bases pour assembler ses blends. Aussi bien pour assurer la production de ces différents malts que pour continuer à rechercher une qualité toujours meilleure, l’ouverture d’une seconde distillerie pour chacun des deux producteurs nationaux s’avérait indispensable.
En d’autres termes, si la demande n’avait pas explosé pendant la période de reconstruction et la période de forte croissance qui a suivi, il n’aurait jamais été envisageable de prendre les décisions industrielles agressives qui seules ont permis aussi bien à Suntory qu’à Nikka d’investir dans une nouvelle distillerie, et le whisky japonais n’aurait jamais pu atteindre le niveau mondial qui est le sien aujourd’hui.
Sakuma Tadashi, master blender de Nikka, explique : « La distillerie de Miyagikyô est totalement différente de celle de Yoichi, en terme de terroir, de climat et d’environnement. Également en termes d’équipements et de machineries. La raison n’est pas un secret : nous voulions produire des bases de malts doux et élégants qui contrastent avec la puissance qui caractérise ceux de Yoichi. »
Produire des malts contrastant avec ceux de leur première distillerie était également l’objectif de Suntory. Puisque la distillerie mère, celle de Yamazaki, se situait dans une terre lacustre, près d’Osaka, c’est à Hakushu, dans la ville de Hokuto, préfecture de Yamanashi, à 700 mètres d’altitude dans les forêts des Alpes japonaises du sud, que fut fixé le lieu de la seconde. Grâce à cette différence complémentaire de ses deux lieux de production, Suntory assemble et commercialise aujourd’hui plus de 100 types de whiskies.
Récession des années 1980
Les fabricants de whisky japonais avaient le vent en poupe. Mais celui-ci finit par tourner. Le pic fut atteint en 1983 avec une production de 379 000 Kilolitres de whisky. Depuis, et jusqu’en 2008, le marché déclina inexorablement jusqu’à n’être plus qu’un 1/5 de ce qu’il avait été 25 ans auparavant.
Parmi les causes de cette baisse, outre l’augmentation de la taxe sur le Whisky en 1984, qui fit double effet avec la baisse significative des tarifs douaniers sur les whiskies à l’importation, il faut mentionner une diversification des goûts des consommateurs qui se sont portés à cette époque vers les long drinks à base de Shôchû (ces long drinks qu’on appelle Chû-high(Shôchû Highball) et qui connaîtront une véritable boum dans les années 1990), et vers le vin. La récession obligea certaines distilleries nationales à fermer, comme celle de Mercian Karuizawa.
Il faudra attendre jusqu’en 2009 pour que le marché du whisky retrouve le chemin de la croissance.
(Reportage d’Ishii Masato, de Nippon.com. Photographies de la distillerie : Yamada Shinji.)
Repères historiques du whisky au Japon
1853 | Le premier contact des Japonais avec le whisky date-t-il de l’arrivée des navires du commodore Perry ? |
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Vers 1870 | Premières importations de whisky au Japon. |
1902 | Alliance anglo-japonaise. La part du whisky dans les importations d’alcools augmente. |
1918 | Taketsuru Masataka, ingénieur chez le brasseur de saké Settsu Shuzô, se forme à la production de whisky en Écosse (retour en 1920). |
1923 | Torii Shinjirô, président de Kotobuki-ya (actuellement Suntory) veut lancer une production de whisky de fabrication nationale. Taketsuru rejoint Kotobuki-ya. |
1924 | La distillerie de Kotobuki-ya à Yamazaki démarre sa production. |
1929 | Mise en vente du premier whisky japonais, le Suntory Shirofuda . |
1934 | Taketsuru quitte Kotobuki-ya et crée la Dai-Nippon Kajyu (actuellement Nikka Whisky) . |
1937 | Lancement de la Kakubin de Suntory. |
1940 | Nikka Whisky lance son premier whisky sous sa marque. |
Vers 1955 | Les « Tory’s bars » se multiplient dans les grandes villes du Japon. Les Hi-balls (long drink sur une base de whisky) sont à la mode. |
1964 | Une filiale du groupe Asahi (brasseur de bière) très proche de Nikka produit pour la première fois au Japon un authentique whisky de grain. |
1969 | Nikka ouvre sa deuxième distillerie à Miyagikyô. |
1971 | Libéralisation totale des importations d’alcool. |
1973 | Suntory ouvre une deuxième distillerie à Hakushu. |
Le brasseur Kirin Seagram (actuellement Kirin Distillery) établit une distillerie à Fuji-Gotemba. Le « Robert Brown » est lancée l’année suivante. | |
1983 | Le marché du whisky atteint son sommet. Au-delà et jusqu’en 2008, s’installe une période de récession. |
1989 | Suntory lance Hibiki |
2000 | Nikka lance Taketsuru |