Le Pays de Cocagne des « kyara »

Ultraman et le regard des minorités

Culture

Le succès d’Ultraman ne s’est jamais démenti durant plus d’un demi-siècle. Avec cette histoire de super-héros venu du « Pays de la Lumière » menant le combat contre les monstres kaijû, quelle idée Uehara Shôzô, l’un des scénaristes des premières séries, voulait-il faire passer ?

La raison pour laquelle il resta à Tokyo

Kinjô démissionna de Tsuburaya Productions en 1969 et choisit de rentrer à Okinawa pour préparer le retour d’Okinawa sous souveraineté japonaise. À sa suite, Uehara aussi quitta la maison de production de Tsuburaya, mais déclina la proposition de Kinjô de retourner à Okinawa, et choisit au contraire de poursuivre sa carrière de scénariste à Tokyo.

Un diorama de Ultra Seven présenté lors d’une exposition en 2012. Le monstre à droite, King Joe, est un jeu de mot sur le nom de Kinjô, le scénariste.

Uehara avait d’autres raisons de demeurer à Tokyo. Il était encore lycéen quand il avait appris que la famille de son oncle était montée faire fortune à Tokyo et avait renoncé à leur état-civil d’Okinawa. « Les Okinawaiens étaient considérés comme des citoyens de deuxième zone, et il ne leur était pas possible de faire carrière ». À l’époque, un Okinawaien qui voulait monter à Tokyo avait encore besoin d’un passeport. Uehara avait lui-même fait l’expérience de cette discrimination quand il était venu étudier à Tokyo. C’est pourquoi il ressentait la nécessité de connaître de plus près les « Yamatonchu », c’est-à-dire les Japonais de la métropole. Toutefois, il s’était fait des amis à Tokyo maintenant, et sa carrière de scénariste se déroulait sans problème.

Uehara réintégra Tsuburaya Productions et devint scénariste principal de la troisième série d’Ultraman : Le Retour d’Ultraman (d’avril 1971 à mars 1972). Tsuburaya Eiji lui-même était décédé en 1970, et l’équipe de production devait rester soudée.

« La pression était forte, car les épisodes n°1 et n°2 de la nouvelle série devaient être réalisés par Honda Ishirô, le fameux réalisateur du Godzilla original. »

Uehara a choisi de faire évoluer le personnage d’Ultraman II dans une autre direction que celle du vaillant combattant monolithique développé par Kinjô.

« De toute façon, j’aurais voulu faire la même chose que je n’aurais jamais fait aussi bien que lui. La seule voie qui me restait était celle d’une recherche de réalisme en opposition avec la fantaisie pure de Kinjô. »

Gô, le héros du Retour d’Ultraman, est membre de la M.A.T., la brigade d’attaque contre les monstres, mais en fait, c’est un jeune homme ordinaire qui travaille comme mécanicien auto dans un garage ordinaire. La violence de son conflit intérieur est particulièrement décrit dans l’épisode n°33 : « Le garçon et le dresseur de monstres », sur le scénario de Uehara.

La scène se passe à Kawasaki et décrit la relation entre un vieil homme qui vit une cabane misérable sur les rives de la rivière, et un jeune orphelin originaire de Esashi, à Hokkaïdô. Il apparaît que le vieil homme est en réalité un extra-terrestre. Tous les deux sont victimes de discrimination et l’épisode décrit les dangers de la psychologie de masse qui conduit le vieil homme à être assassiné. Le monstre que le vieil homme tenait confiné sous sa cabane se trouve alors libéré. Les habitants de la ville appellent la M.A.T. en détresse pour les débarrasser du monstre. Mais Gô, le membre de la M.A.T. hésite à se transformer en Ultraman sous les yeux des citoyens. « C’est vous qui avez fait sortir le monstre ! », les critique-t-il.

Uehara raconte qu’il a créé le personnage du jeune garçon en pensant à un Aïnou, et celui du vieil homme en pensant aux résidents coréens au Japon. Appartenant lui-même à la minorité des habitants des Ryûkyû, il se considère comme du côté du jeune garçon, du vieil extra-terrestre et du monstre. Après la diffusion de cet épisode, le poste de scénariste en chef a été retiré à Uehara.

Il faut transmettre les contes traditionnels

Ensuite, Uehara a écrit de nombreux scénarios pour diverses séries populaires pour les enfants, comme Ganbare Robocon et Himitsu Sentai Goranger.

De son côté, Kinjô, à Okinawa, fut directeur artistique de la cérémonie principale de l’ Exposition maritime internationale d’Okinawa en 1975. Cet événement fut critiqué pour des dégâts environnementaux sur la mer d’Okinawa. Il est décédé dans un accident l’année suivante, à l’âge de 37 ans.

La maison natale de Kinjô Tetsuo (photo de droite), le restaurant Shôfûen à Haebaru, permet à ceux qui en font la demande de visiter les Archives Kinjô Tetsuo, une pièce dédiée à ses collections personnelles. Sur le bureau, une partie des figurines offertes par les fans. (Photos : Archives Kinjô Tetsuo)

L’été dernier, pour commémorer le 50e anniversaire de la série Ultraman, un vote des fans organisé par la chaîne de télévision NHK a élu le dernier épisode écrit par Kinjô « La plus grande invasion de l’histoire, 2e partie » comme l’épisode préféré des amateurs. L’épisode « Le garçon et le dresseur de monstres », écrit par Uehara, est arrivé à la deuxième place.

« La série possède ses fans de tous les âges, de 10 à 60 ans, raconte M. Uehara. Ce qui me fait le plus plaisir, c’est quand on me dit qu’à chaque nouveau visionnage, un sens nouveau apparaît. Mon souhait est que notre Ultraman continue à être apprécié au-delà des générations, et, trouvant pour chacune un sens nouveau, deviennent une histoire traditionnelle, comme aujourd’hui Princesse Kaguya ou Momotarô.

(Photo de titre : Ultraman devant le siège de la société Bandai. Tsuburaya Productions, en difficulté financière à cause des coûts de production énorme, a fusionné avec Bandai en 2008. Jiji Press)

Tags

télévision héros personnage série

Autres articles de ce dossier