La culture pop nippone se mondialise

« L’Attaque des Titans » au cinéma

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L’Attaque des Titans, le manga d’Isayama Hajime, a eu un succès planétaire. Il vient de sortir sur les écrans sous la forme d’une adaptation cinématographique combinant les effets spéciaux japonais traditionnels et le numérique. Le réalisateur Higuchi Shinji, responsable de cet ambitieux projet, explique comment lui et son équipe ont procédé pour transposer l’univers graphique du manga dans un film en prises de vues réelles.

Higuchi Shinji HIGUCHI Shinji

Né en 1965, à Tokyo, Higuchi Shinji est passionné depuis l’enfance par les films pour le cinéma et la télévision comportant de nombreux effets spéciaux. En 1978, alors qu’il était encore au collège, il a vu Message from Space, une production des studios Tôei réalisée par Fukasaku Kinji, qu’il a trouvée plus intéressante que La Guerre des étoiles, sorti sur les écrans japonais la même année. Après son entrée au lycée, il a commencé à travailler à temps partiel sur le tournage de films à effets spéciaux. Il a créé une société de production de films d’animation, Gainax Co. Ltd, avec entre autres Anno Hideaki, le réalisateur de Neon Genesis Evangelion. Après avoir occupé le poste de directeur d’effets spéciaux dans une dizaine de films pendant dix ans, Higuchi Shinji a réalisé plusieurs films dont Lorerai (2005), La Submersion du Japon (2006), The Last Princess (2008).

Le début d’une « attaque » planétaire

Quand l’éditeur Kôdansha a commencé à publier un manga intitulé Shingeki no kyojin (L’Attaque des Titans), en 2009, les lecteurs ont été saisis par la façon unique dont Isayama Hajime, son auteur, distille l’horreur à travers d’étranges créatures géantes humanoïdes, les Titans, capables de traverser d’énormes murailles pour aller dévorer les derniers représentants de l’humanité. Depuis, la série a connu un immense succès avec plus de 50 millions d’exemplaires vendus à travers le monde. Le cinéaste Higuchi Shinji vient de réaliser une adaptation en prises de vues réelles de l’Attaque des Titans pour le grand écran, où il a utilisé à la fois les effets spéciaux japonais de style tokusatsu – comme dans les séries Godzilla – et les techniques les plus récentes des images générées par ordinateur (CG). En portant ce manga cauchemardesque à l’écran, le réalisateur japonais a réussi à donner une vision encore plus forte et saisissante du monde d’Isayama Hajime.

Avant sa sortie sur les écrans de l’Archipel, le 1e août 2015, la première partie du film de Higuchi Shinji – qui en comporte deux – a été présentée le 14 juillet en première mondiale à Los Angeles, devant le public particulièrement exigeant d’Hollywood.

De gauche à droite : Mizuhara Kiko dans le rôle de Mikasa Ackerman, Miura Haruma dans celui d’Eren Jäger, et Hongô Kanata dans celui d’Armin Arlelt. Ces trois personnages, qui se connaissent depuis leur enfance, sont fascinés par le monde qui s’étend au-delà de la ville fortifiée où ils vivent. Jusqu’au jour où un Titan encore plus colossal que les autres réussit à ouvrir une brèche dans la muraille par laquelle s’engouffrent ses congénères. (Photo : 2015 Attack on Titan Movie Production Committee © Isayama Hajime / Kodansha)

Pour mettre un terme aux attaques meurtrières des Titans, les humains créent une brigade d’exploration dotée d’équipements de manœuvres tridimensionnelles (3DMG) qui est chargée de réparer le mur extérieur de la ville. (Photo : 2015 Attack on Titan Movie Production Committee © Isayama Hajime / Kodansha)

« Que la première ait lieu à l’étranger, c’était déjà quelque chose, mais que le film soit projeté par la même occasion devant le grand public était aussi très stressant », raconte Higuchi Shinji. « Quoi qu’il en soit, les spectateurs de la Mecque du cinéma ont fait un bon accueil à notre film et ils ont montré aussitôt à quel point ils l’appréciaient », explique Higuchi Shinji.

« Miura Haruma et Mizuhara Kiko – deux des stars du film – étaient présents à la première. Bien que très angoissés eux aussi, ils se sont joints au public en faisant des commentaires à haute voix et en plaisantant, alors que c’étaient eux-mêmes qu’ils étaient en train de regarder sur l’écran. Je suis ravi que ces jeunes acteurs à qui j’ai fait vivre des moments difficiles pendant le tournage aient pu participer à cette séance mémorable. »

D’après les studios Tôhô qui ont produit le film, l’adaptation cinématographique du manga l’Attaque des Titans est déjà programmée dans 63 pays et autres régions du monde.

Transposer l’univers du manga dans un film en prises de vues réelles

Higuchi Shinji a travaillé sur de nombreux tournages de films à effets spéciaux (tokusatsu), dès l’époque où il était au lycée. En 1984, il a fait partie de l’équipe chargée des trucages de Godzilla, sorti en 1985. Et après avoir collaboré à la trilogie consacrée à Gamera dans les années 1990, il a fini par acquérir une réputation de spécialiste des effets spéciaux. En 2005, il a tourné Lorelei, son premier film en tant que réalisateur. L’action, qui se situe vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, comprend des scènes avec des effets visuels particulièrement sophistiqués impliquant, entre autres, des sous-marins. Mais en dépit de sa grande expérience des effets spéciaux, Higuchi Shinji s’est trouvé confronté à une tâche d’une difficulté sans précédent, quand il s’est lancé dans la réalisation de l’Attaque des Titans.

Higuchi Shinji a une grande expérience en matière d’animation, mais avec l’Attaque des Titans, c’est la première fois qu’il s’aventurait dans l’adaptation cinématographique d’un manga.

« En fait, nous avons dû tout créer à partir de zéro. Quand on fait un film historique, par exemple, on sait ce qu’on cherche et puis on peut se baser sur ce qui existe déjà. Il y a aussi des costumes conservés dans des entrepôts. Mais pour l’Attaque des Titans, nous avons été obligés de tout fabriquer par nous mêmes, jusqu’au moindre petit accessoire, ou de faire des recherches à n’en plus finir. C’est la première fois que j’adaptais un manga en film en prises de vues réelles et j’ai été surpris de voir à quel point c’est difficile. »

Le scénario de l’Attaque des Titans a lui aussi posé beaucoup de problèmes. « Le travail des scénaristes aurait été plus facile si le manga que nous avons adapté avait été complet. Mais il était encore en cours de publication et nous devions trouver une conclusion à notre film. » Le réalisateur a donc procédé par tâtonnements jusqu’à ce qu’il arrive au résultat recherché. Il a dû aussi tenir compte du fait que le film devait rendre compte en « live » de la vision du monde véhiculée par le manga.

« Quand j’ai lu Shingeki no kyojin, j’ai réalisé que ce manga était d’une intensité bien supérieure à tout ce que j’avais connu jusque-là. J’ai eu l’impression que le dénommé Isayama, que je n’avais encore jamais rencontré, avait créé dans sa tête un univers qui allait bien au-delà du manga qu’il avait utilisé comme moyen d’expression. Il m’a semblé que j’étais en présence d’un monde qui ne demandait qu’à se mettre en mouvement de la façon la plus instinctive possible. »

« Les Titans ont aussi une façon d’être horribles qui leur est propre », précise Higuchi Shinji. «  En fait, dans le manga, ils sont dessinés et représentés avec beaucoup plus de précision que les êtres humains. Au point qu’on peut se demander s’ils n’ont pas été inspirés par un modèle. En parcourant les pages de Shingeki no kyojin, j’ai pensé que c’étaient des êtres détestables qui ne méritaient pas de pardon. Et je me suis demandé comment je pouvais exprimer le paradoxe qui fait que, dans le manga, les Titans ont l’air d’une certaine façon plus humains que les hommes. »

Higuchi Shinji affirme aussi avoir ressenti une profonde « crainte de l’autre » en lisant le manga d’Isayama Hajime. « La peur de quelqu’un qui n’est pas spécifié. Quelqu’un dont on ne connaît pas le nom et dont on ne sait pas ce qu’il pense. Je n’ai pas fait part de mon sentiment à l’auteur, mais je me demande si cette crainte n’est pas une métaphore de celle que lui a inspirée la mégalopole de Tokyo quand il a quitté le petit bourg où il est né, dans le Kyûshû, pour venir s’installer dans la capitale, à l’âge de 20 ans. »

Suite > Des géants « de chair et de sang »

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