La culture pop nippone se mondialise
« L’Attaque des Titans » au cinéma
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Le début d’une « attaque » planétaire
Quand l’éditeur Kôdansha a commencé à publier un manga intitulé Shingeki no kyojin (L’Attaque des Titans), en 2009, les lecteurs ont été saisis par la façon unique dont Isayama Hajime, son auteur, distille l’horreur à travers d’étranges créatures géantes humanoïdes, les Titans, capables de traverser d’énormes murailles pour aller dévorer les derniers représentants de l’humanité. Depuis, la série a connu un immense succès avec plus de 50 millions d’exemplaires vendus à travers le monde. Le cinéaste Higuchi Shinji vient de réaliser une adaptation en prises de vues réelles de l’Attaque des Titans pour le grand écran, où il a utilisé à la fois les effets spéciaux japonais de style tokusatsu – comme dans les séries Godzilla – et les techniques les plus récentes des images générées par ordinateur (CG). En portant ce manga cauchemardesque à l’écran, le réalisateur japonais a réussi à donner une vision encore plus forte et saisissante du monde d’Isayama Hajime.
Avant sa sortie sur les écrans de l’Archipel, le 1e août 2015, la première partie du film de Higuchi Shinji – qui en comporte deux – a été présentée le 14 juillet en première mondiale à Los Angeles, devant le public particulièrement exigeant d’Hollywood.
« Que la première ait lieu à l’étranger, c’était déjà quelque chose, mais que le film soit projeté par la même occasion devant le grand public était aussi très stressant », raconte Higuchi Shinji. « Quoi qu’il en soit, les spectateurs de la Mecque du cinéma ont fait un bon accueil à notre film et ils ont montré aussitôt à quel point ils l’appréciaient », explique Higuchi Shinji.
« Miura Haruma et Mizuhara Kiko – deux des stars du film – étaient présents à la première. Bien que très angoissés eux aussi, ils se sont joints au public en faisant des commentaires à haute voix et en plaisantant, alors que c’étaient eux-mêmes qu’ils étaient en train de regarder sur l’écran. Je suis ravi que ces jeunes acteurs à qui j’ai fait vivre des moments difficiles pendant le tournage aient pu participer à cette séance mémorable. »
D’après les studios Tôhô qui ont produit le film, l’adaptation cinématographique du manga l’Attaque des Titans est déjà programmée dans 63 pays et autres régions du monde.
Transposer l’univers du manga dans un film en prises de vues réelles
Higuchi Shinji a travaillé sur de nombreux tournages de films à effets spéciaux (tokusatsu), dès l’époque où il était au lycée. En 1984, il a fait partie de l’équipe chargée des trucages de Godzilla, sorti en 1985. Et après avoir collaboré à la trilogie consacrée à Gamera dans les années 1990, il a fini par acquérir une réputation de spécialiste des effets spéciaux. En 2005, il a tourné Lorelei, son premier film en tant que réalisateur. L’action, qui se situe vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, comprend des scènes avec des effets visuels particulièrement sophistiqués impliquant, entre autres, des sous-marins. Mais en dépit de sa grande expérience des effets spéciaux, Higuchi Shinji s’est trouvé confronté à une tâche d’une difficulté sans précédent, quand il s’est lancé dans la réalisation de l’Attaque des Titans.
« En fait, nous avons dû tout créer à partir de zéro. Quand on fait un film historique, par exemple, on sait ce qu’on cherche et puis on peut se baser sur ce qui existe déjà. Il y a aussi des costumes conservés dans des entrepôts. Mais pour l’Attaque des Titans, nous avons été obligés de tout fabriquer par nous mêmes, jusqu’au moindre petit accessoire, ou de faire des recherches à n’en plus finir. C’est la première fois que j’adaptais un manga en film en prises de vues réelles et j’ai été surpris de voir à quel point c’est difficile. »
Le scénario de l’Attaque des Titans a lui aussi posé beaucoup de problèmes. « Le travail des scénaristes aurait été plus facile si le manga que nous avons adapté avait été complet. Mais il était encore en cours de publication et nous devions trouver une conclusion à notre film. » Le réalisateur a donc procédé par tâtonnements jusqu’à ce qu’il arrive au résultat recherché. Il a dû aussi tenir compte du fait que le film devait rendre compte en « live » de la vision du monde véhiculée par le manga.
« Quand j’ai lu Shingeki no kyojin, j’ai réalisé que ce manga était d’une intensité bien supérieure à tout ce que j’avais connu jusque-là. J’ai eu l’impression que le dénommé Isayama, que je n’avais encore jamais rencontré, avait créé dans sa tête un univers qui allait bien au-delà du manga qu’il avait utilisé comme moyen d’expression. Il m’a semblé que j’étais en présence d’un monde qui ne demandait qu’à se mettre en mouvement de la façon la plus instinctive possible. »
« Les Titans ont aussi une façon d’être horribles qui leur est propre », précise Higuchi Shinji. « En fait, dans le manga, ils sont dessinés et représentés avec beaucoup plus de précision que les êtres humains. Au point qu’on peut se demander s’ils n’ont pas été inspirés par un modèle. En parcourant les pages de Shingeki no kyojin, j’ai pensé que c’étaient des êtres détestables qui ne méritaient pas de pardon. Et je me suis demandé comment je pouvais exprimer le paradoxe qui fait que, dans le manga, les Titans ont l’air d’une certaine façon plus humains que les hommes. »
Higuchi Shinji affirme aussi avoir ressenti une profonde « crainte de l’autre » en lisant le manga d’Isayama Hajime. « La peur de quelqu’un qui n’est pas spécifié. Quelqu’un dont on ne connaît pas le nom et dont on ne sait pas ce qu’il pense. Je n’ai pas fait part de mon sentiment à l’auteur, mais je me demande si cette crainte n’est pas une métaphore de celle que lui a inspirée la mégalopole de Tokyo quand il a quitté le petit bourg où il est né, dans le Kyûshû, pour venir s’installer dans la capitale, à l’âge de 20 ans. »
Des géants « de chair et de sang »
Les Titans d’Isayama Hajime auraient pu, bien entendu, être portés à l’écran sous la forme de géants entièrement conçus par ordinateur. Mais Higuchi Shinji en a décidé autrement après avoir discuté avec l’auteur du manga.
« Une des choses qu’Isayama Hajime m’a demandées à propos de l’adaptation de son œuvre au cinéma, c’est d’éviter que les Titans aient des comportements terrifiants. Par exemple qu’ils arrivent en criant avec des regards et des gestes menaçants, comme des monstres. Il m’a dit qu’il voulait que ces créatures géantes aient l’air suffisamment mystérieuses pour qu’on ne sache pas ce qu’elles pensent. C’est pourquoi j’ai décidé d’utiliser comme "matière première" des êtres humains de chair et de sang. »
Higuchi Shinji a fait passer plus de 80 auditions avant de sélectionner 20 personnes pour les rôles de Titans. Il a procédé très rapidement à de nombreux tests photographiques et poussé l’expérience jusqu’au maquillage et à l’interprétation. Les séquences ainsi obtenues ont été traitées par ordinateur de façon à modifier les proportions physiques des acteurs.
« La Reine rouge du film Alice in Wonderland, réalisé par Tim Burton en 2010, m’a servi de point de repère. Elle est incroyablement petite avec une énorme tête. Je voulais faire l’inverse. Nous avons travaillé sur les prises de vues en allongeant ou en amplifiant certaines parties du corps des acteurs. Il nous a suffi de bouleverser l’agencement habituel de certains éléments du corps pour que les personnages deviennent d’une étrangeté complètement fantastique. »
Outre les Titans joués par des hommes, le film l’Attaque des Titans met aussi en scène un Titan colossal de 60 mètres de haut qui a lui aussi été filmé en « live ». Cette créature gigantesque était en effet manipulée de concert par sept techniciens dont l’un se trouvait à l’intérieur et les six autres à l’extérieur. Higuchi Shinji et son équipe ont réussi à créer des images fortes et saisissantes en combinant les effets spéciaux traditionnels et ceux générés par ordinateur.
Les miniatures et les marionnettes ont longtemps joué un rôle essentiel dans les effets spéciaux japonais. Mais pour Higuchi Shinji, peu importait la méthode pourvu qu’il puisse rendre le mieux possible au cinéma la vision du monde et l’atmosphère du manga d’Isayama Hajime. « La technique que nous avons décidé d’utiliser est l’une de celles que je maîtrise le mieux, ce qui m’a encouragé à aller de l’avant. Nous avions aussi à notre disposition plus de trois cents spécialistes des images générées par ordinateur qui peaufinaient les séquences tournées en « live » par le biais de manipulations numériques. Cette façon de procéder était la plus fiable pour transposer la vision du monde du manga d’Isayama Hajime dans un film en prises de vues réelles. »
Les ruines de Gunkanjima, un cadre idéal
Si la transposition du manga Shingeki no kyojin dans un monde à trois dimensions a aussi bien réussi, c’est aussi en grande partie parce que le tournage du film s’est déroulé sur l’île de Hashima – plus connue sous le nom de Gunkanjima (voir « Gunkanjima, l’île abandonnée » –, dans la préfecture de Nagasaki. En juillet 2015, l’île a été inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO en tant que site ayant contribué à la révolution industrielle de l’ère Meiji (1868-1912). Les producteurs de la série James Bond ont un temps envisagé de tourner Skyfall (2012) sur place, mais au bout du compte, ils ont préféré travailler dans un décor inspiré par des photos de l’île. Higuchi Shinji affirme quant à lui que le choix des ruines de l’ancienne mine de charbon de Gunkanjima comme lieu de tournage de l’Attaque des Titans s’est avéré encore plus judicieux que ce qu’il avait imaginé au départ.
« Il y a quelques jours, nous avons donné une conférence de presse sur l’île de Gunkanjima où nous avons annoncé que le film était terminé. Cela faisait un an que je n’étais pas revenu sur place. L’état de l’île s’est tellement dégradé que je ne crois pas que nous pourrions faire aujourd’hui le film que nous avons réalisé un an auparavant. Je suis heureux que nous ayons pu tourner au moment où nous l’avons fait. Cela a grandement contribué à donner du poids à ce film. »
« Je voulais un cadre qui surpasse les images du manga. Et Gunkanjima a servi de prétexte pour tourner le film au Japon. » Higuchi Shinji ajoute avec enthousiasme que le cadre de l’île est encore plus intimement lié à la vision du monde véhiculée par le film, dans le seconde partie de Shingeki no kyojin (L’Attaque des Titans, la fin du monde) dont la sortie sur les écrans est prévue pour le mois de septembre 2015.
Le réalisateur japonais a mené à bien son ambitieux projet d’adaptation à l’écran du manga. Mais il a déjà une autre tâche colossale en tête. Il envisage en effet de produire un nouveau film consacré à Godzilla avec son collègue et ami Anno Hideaki, le réalisateur du fameux anime Neon Genesis Evangelion. Anno Hideaki devrait assumer les fonctions de réalisateur général et de scénariste et Higuchi Shinji celle de co-réalisateur. Le film, qui doit sortir dans les salles durant l’été 2016, fera revivre le célèbre monstre dans une version japonaise pour la première fois depuis Godzilla: Final Wars de Kitamura Ryûhei, sorti en 2004.
Higuchi Shinji était encore tout jeune quand il a travaillé sur le tournage de Godzilla en tant qu’habilleur chargé d’aider l’acteur incarnant le monstre à enfiler et à retirer son costume. En restant constamment à proximité du lézard géant, Higuchi Shinji s’est initié au processus de la prise de vues et il a appris à donner des instructions en tant que réalisateur. Son amour pour le cinéma était tel qu’il a fini par en faire son métier. Mais « je n’ai jamais pensé que je pourrais devenir réalisateur et encore moins que je tournerai moi-même un film sur Godzilla », avoue-t-il humblement. Après l’Attaque des Titans, Higuchi Shinji pourrait bien nous réserver de nouvelles surprises dès l’été 2016.
(D’après un entretien réalisé le 21 juillet 2015. Photo de titre : Attack on Titan Movie Production Committee © Isayama Hajime / Kodansha)manga technologie patrimoine cinéma réalisateur numérique jeune