Post 11 mars 2011 : les challenges

Le message de Ito Toyo, architecte

Société Culture Architecture

Que peut faire l’architecture dans les projets de reconstruction après le séisme du Tôhoku du 11 mars 2011 ? La « Maison pour tous » a été initiée pour répondre à cette question essentielle. À travers ce projet développé autour de Ito Toyo, c’est le sens de l’architecture au XXIe siècle qui se trouve en question.

Ito Toyo ITÔ Toyo

Architecte. Né en 1941. Diplomé d’architecture de la faculté de technologie de l’Université de Tokyo en 1965. Principales réalisations : Médiathèque de Sendai ; immeuble TOD à Omotesandô ; Bibliothèque de l’Université des Arts de Tama ; Stade principal des Jeux Mondiaux de Kaohsiung 2009 (Taiwan) ; Musée d'Architecture Ito Toyo d’Imabari, etc. Projets en cours de réalisation : Taichung Metropolitan Opera House (Taiwan) ; La Forêt pour tous (Minna no mori) Gifu Média Cosmos, etc. Prix de l’Académie japonaise d’architecture, Lion d’Or de la Biennale de Venise, Médaille d’Or de l’Institut Royal des Architectes du Royaume-Uni (RIBA), Prix Asahi, Prix du prince Takamatsu du Mémorial de la Culture Mondiale, Prix Pritzker pour l’Architecture (appelé le « Nobel de l’Architecture »).

L’architecture, une création au-delà de l’ego

Hirata Akihisa

Le projet a pris un tournant lors d’une rencontre avec Mme Sugawara Mikiko qui était porte-parole d’un groupe de réfugiés relogés dans des logements temporaires. Au début, il était question de construire la Maison pour tous sur le terrain où avaient été dressés les logements temporaires. Or Mme Sugawara est venue et a montré aux architectes un autre terrain : « J’ai trouvé un bon terrain ! » a-t-elle dit. Celui-ci se trouvait à la limite de la bande littorale qui a été dévastée par le tsunami et la montagne qui a arrêté la vague, sur une hauteur avec vue sur la mer. « C’est ici que nous voulons un bâtiment qui soit le symbole de la reconstruction de la communauté dispersée » a déclarée Mme Sugawara.

Pour Hirata Akihisa, « c’est à ce instant que j’ai senti que “apparition d’une société humaine” coïncidait avec “apparition de l’architecture” […] Enfin nous avions un objectif commun cohérent et à partir de ce moment, le projet a progressé d’une seule traite jusqu’à la proposition définitive sans plus aucun conflit de discussion ».

Vues intérieures et extérieures de la Maison pour tous de Rikuzen-Takata

L’immeuble tel qu’il apparaît une fois fini est composé de 19 piliers d’environ 60 cm de diamètre, alignés, et d’un corps de bâti encastré entre ces piliers selon la structure des « yagura », les tours anciennes. Symboliquement, les 19 piliers ont été fabriqués à partir de « Kesen-sugi », une variété locale de cyprès (cryptomère) morts suite aux dégâts provoqués par le sel marin du tsunami. Ils se voient de très loin. Le rez-de-chaussée est un espace dans le style japonais traditionnel : entrée de terre battue et marchepied donnant sur une pièce avec poêle à bois et une cuisine. Une petite chambre à tatamis se trouve à l’étage, et un escalier extérieur en spirale mène jusqu’aux étages supérieur avec leur plateforme panoramique.

(De gauche à droite) Inui Kumiko, Ito Toyo, Hirata Akihisa, Fujimoto Sosuke, Hatakeyama Naoya (Image offerte par la Japan Foundation. Photo : Hatakeyama Naoya)

Constituées de petits espaces interconnectés, comme accrochés à leurs piliers, la configuration d’ensemble semble à première vue difficile à saisir sur les photos ou les dessins. Et pourtant, une fois dans les lieux, on s’y sent merveilleusement à l’aise. Cette structure spatiale a été élaborée à partir de l’observation attentive de la façon dont les gens s’activent quand ils se réunissent.

Ito Toyo juge très positivement le résultat : « J’ignorais tout du processus de leur travail jusqu’au dernier moment. Mais en effet, tous trois ont manifestement réussi à dépasser les considérations d’ego à travers un processus de discussion ». Comme quoi trois architectes possédant chacun une forte personnalité peuvent atteindre un grand objectif sans que l’un s’impose au détriment des autres. Ce processus rappelle le Renga, la poésie collaborative traditionnelle japonaise.

La Maison pour tous n’aurait certes pas vu le jour sans le contexte particulier de l’après-séisme du 11 mars 2011. Il n’empêche qu’à travers ce processus, ce sont des questions universelles « l’Architecture pour qui ? Pour quoi ? » que cette création pose au monde entier.

« Je suis même beaucoup plus heureux de ce prix que lorsque j’ai reçu mon premier Lion d’Or de la Biennale de Venise, à titre personnel, en 2002 ! », déclare Ito Toyo.

Depuis le 11 mars 2011, un changement de mentalité semble s’être opéré au Japon : les relations interpersonnelles sont plus respectées qu’avant. Dans ce sens-là, la démonstration que quelque chose est réalisable par l’architecture est riche de signification.

Texte : Katô Jun
Photos : Kodera Kei

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