Les love hotels, reflets de leur époque
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Les gens trouvaient bien louche cette jeune femme qui visitait systématiquement les love hotels. Il faut dire que les love hotels étaient le sujet de recherche de Kim Ikkyon. C’était pour son enquête de terrain…
« Je n’étais pas très rassurée, au début, moi non plus ! L’image du love hotel, c’est celle qu’en donnent les séries télévisées : c’est régulièrement dans une chambre de love hotel qu’on trouve un cadavre. Mais un jour, j’ai lu une publicité dans le métro : un magazine généraliste d’information parlait des love hotels comme d’endroits salubres, de lieux ordinaires pour se donner rendez-vous. Cela m’a questionné et j’ai voulu en savoir plus, enquêter, c’est ce qui m’a motivé ».
L’image des love hotel a évolué avec son époque
Mme Kim était étudiante à la fin des années 1990-2000. C’est à cette époque que les love hotels ont commencé à faire leur apparition dans les magazines d’information pour les jeunes.
Il n’empêche que jusque-là, les love hotels avaient conservé une image suspecte et sombre qui faisait peur aux jeunes femmes. Au niveau des médias, seuls les hebdomadaires à scandales, les tabloïds et les émissions de télé d’après minuit en parlaient.
Dans l’ouvrage qui a été publié à partir de son étude, Mme Kim parle d’une chronique hebdomadaire sur les love hotels que publiait le mangaka Kondô Risaburô à la même époque.
« À cette époque, d’après Kondô Risaburô, il suffisait d’écrire un article avec les mots “love hotel” dans le titre pour trouver un hebdomadaire qui vous l’achetait […] Le mot lui-même suffisait pour exciter bon nombre de personnes », dit Kim Ikkyon dans Histoire culturelle de l’espace sexuel).
Quel a été le processus qui a conduit le love hotel à devenir ce que vous appelez « un endroit salubre pour se donner rendez-vous » ?
Le love hotel est devenu sobre
Comme nous l’avons vu dans la première partie de cet article, le boum de tsurekomi yado a commencé dans les années 1960, puis entre la fin des années 60 et la première moitié des années 70, en même temps que la généralisation du nom « love hotel » la tendance vers le « luxueux » s’est accentuée, aussi bien dans l’apparence extérieure du bâtiment que dans le design intérieur des chambres.
Cette tendance a pris fin à la fin des années 80, et s’est inversée pour devenir une tendance à la sobriété, déclare Mme Kim. Sobriété extérieure et intérieure des love hotel, mais qui est allée de pair avec une augmentation de l’offre de machines de jeux, systèmes de karaoké, etc. L’époque où le Meguro Emperor tirait derrière lui le concept du love hotel était révolue. Faut-il voir une coïncidence dans le fait que 1989 marquait aussi la fin de l’ère Shôwa ?
Pour Mme Kim, trois éléments principaux ont incité à la « sobriété ».
En premier lieu, la réforme de la « loi sur les établissements de plaisir ». Auparavant, les love hotel étaient régis par la même loi que les établissements de type ryokan ou « auberges traditionnelles » et autres établissements hôteliers ordinaires, placés sous la juridiction du ministère de la Santé et des Affaires Sociales.
La loi modifiée a fait des love hotels des « commerces spéciaux sexuels et de plaisirs », soumis au contrôle de la police. Ceci a eu pour conséquence que les nouveaux établissements ont préféré éviter une apparence extérieure trop voyante qui les identifiait immédiatement comme des love hotels.
Deuxièmement, la simplification des aménagements intérieurs et extérieurs permettait de réduire les coûts de construction. En troisième lieu, le changement d’époque a induit que « ce sont maintenant les femmes qui choisissent l’hôtel ».
Le love hotel que préfèrent les femmes
La réforme législative sur les établissements de plaisirs et la conjoncture économique ne sont pas les seuls éléments qui ont poussé à la sobriété. Les love hotels clinquants et tape-à-l’œil sont apparus ringards, dépassés, surtout quand la pratique des clients a commencé à laisser aux femmes le choix de l’hôtel pour se donner rendez-vous.
« Le love hotel n’était plus un lieu où un homme entraînait une femme, mais un endroit où un couple entre ensemble ».
Pour Mme Kim, ce phénomène remarquable est lié au traitement médiatique des magazines pour les jeunes. En 1994, le magazine d’informations urbaines Pia, (édition du Kansai, c’est à dire la région d’Osaka) a remarqué que certains love hotels avaient un tel succès que les clients faisaient la queue pour avoir une chambre. Ce fut le début d’un boum. Ce numéro spécial a eu un très grand retentissement, et les magazines concurrents ont tous voulu avoir leur numéro spécial sur les love hotels, qui se vendaient comme des petits pains.
Ce traitement façon « guide » correspondait exactement aux besoins des utilisateurs, à l’inverse du traitement sur un plan sexuel qui était celui des magazines d’informations pour adultes. Le traitement médiatique incluait maintenant une présentation des produits de consommation courante que l’on trouvait dans la chambre, ce qui a incité les gérants de ces établissements à développer leur offre de façon à attirer plus directement l’attention des femmes.
« C’est ainsi que les gérants de love hotels ont pris conscience de la nouvelle demande des utilisateurs, et se sont mis à rivaliser de services attractifs pour les femmes. Si l’on remonte aux années 80, très peu de love hotels proposaient des produits de consommation de type shampooing ou après shampooing etc. de qualité dans les chambres ».
En outre, phénomène que Kim Ikkyon a pu observer en étudiant le comportement des couples, une fois qu’un couple entre dans un hôtel, dans 90% des cas c’est la femme qui choisit la chambre.
Ces dernières années, de nombreux hôtels proposent un « Ladies plan » bon marché. Le concept est de proposer des services de soins de beauté, voire de restauration de qualité dans une ambiance « resort », confortable, relaxante. Certes, on peut voir dans ces efforts la difficulté que les établissements ont à élargir leur clientèle, mais l’objectif secondaire est aussi que la prochaine fois, la cliente revienne avec son petit ami. Autrement dit, au-delà de la chambre, c’est maintenant l’hôtel lui-même qui est choisi par la femme.
Avec la fin du love hotel tape-à-l’œil est apparu un effet secondaire remarquable : « maintenant, ce sont les hôtels ordinaires qui se rapprochent des love hotels », dit Mme Kim. C’est ainsi que des hôtels en zone urbaine ou les auberges traditionnelles des stations thermales introduisent de plus en plus un tarif d’utilisation de la chambre dans la journée, afin de cibler les consommateurs en couple.
Le love hotel de l’avenir
Depuis la nouvelle révision de loi sur les établissements de plaisir de 2010, les règlements contre les love hotels se sont encore renforcés. La limite entre établissements hôteliers normaux et love hotels étant de plus en plus ténue, quelle évolution attend le love hotel ? Mme Kim explique une partie du succès des love hotels par leur rapidité à proposer dans les chambres des produits ou des équipements que les clients pouvaient rêver avoir à la maison. Mais aujourd’hui où l’on ressent plutôt la pléthore d’équipements à la maison, ce type d’argument risque d’être plus difficile à employer.
« Récemment, on parle beaucoup de sauna de roche. À tout le moins, il s’agit d’un axe que les gérants de love hotels testent. Cela montre que le love hotel est en perpétuelle évolution pour répondre à l’époque. Imaginer ce que deviendra le love hotel dans dix ans, dans vingt ans, en soi c’est déjà très amusant ».
En dernier lieu, citons quelques mots clés qui pourraient constituer une « vision » du love hotel de l’avenir, d’après l’enquête que Mme Kim a effectuée auprès de professionnels : « bien-être pour les seniors », « un espace privé confortable », « un design authentique », « complexification des fonctions », « attirer les clients étrangers », etc. C’est étrange, ne dirait-on pas un résumé des questions sociales et économiques auxquelles doit faire face le Japon dans son ensemble ?
Bibliographie :
« Évolution du Love hôtel », Kim Ikkyon (Bungei shunjû)
« Histoire culturelle de l’espace sexuel » Kim Ikkyon (Minerva shobô)