L’Amour au Japon

Pourquoi y a-t-il des love hotels au Japon ?

Société Vie quotidienne

Il y a au Japon une véritable culture du love hotel, affirme Mme Kim Ikkyon, auteur d’ études sociologiques sur ce thème. Nous lui avons demandé de nous parler de l’évolution de cet espace singulier dédié à l’amour physique.

KIM Ikkyon KIM Ikkyon

Maître-assistant de l’Université Kôbe Gakuin. Née à Osaka en 1979. Résidente Coréenne au Japon de troisième génération. Docteur en sciences humaines et culturelles de l’Université Kôbe Gakuin. Ouvrages : « Évolution du love hotel » (Bungei Shunjû, 2008, Prix Hashimoto Mineo), « La Sexualité à la lecture des sub-cultures — Mécanismes et distribution de l’accélération du désir » (co-auteur, Seikyûsha, 2012), « Histoire culturelle de l’espace sexuel — de l’auberge “pour clients accompagnés” au “love hotel” (Minerva Shobô, 2012), etc.

Les origines du love hotel

Article de 1930 présentant le « yen-shuku » (source : Yomiuri Shimbun)

Pour Mme Kim, il existait dès l’époque d’Edo des chambres à louer dans lesquelles des « femmes expertes » prenaient des clients, mais ce n’est pas ce concept qui s’est décliné en love hotel. La chambre de jour pour couples commence au début de l’ère Shôwa (à partir de 1925) avec les yen-shuku, ou « chambres à 1 yen ». Il s’agissait de chambres avec un double tarif : 2 yens pour la nuit, ou 1 yen pour un repos de quelques heures. C’est cette formule que l’on peut dire à l’origine du love hotel. Ce système faisait l’affaire d’employées de bureau aussi bien que de femmes mariées. Les journaux de l’époque parlent de « nouvelles mœurs ».

Un grand nombre de ces établissements ont disparu à cause de la guerre. Après guerre, pendant un certain temps, devant le palais impérial à Tokyo fut un lieu à la mode pour faire l’amour. À Osaka, c’était dans le pré du château d’Osaka.

Alors que se poursuit la reconstruction de l’après-guerre, la demande économique spécifique liée à la guerre de Corée (1950-1952) fait rapidement progresser la construction de logements et d’installations commerciales. En effet, l’importante main d’œuvre qui afflue dans les zones urbaines fait croître le besoin de logements ; parallèlement des auberges pour représentants de commerce en déplacement se construisent les unes après les autres. Des couples commencent alors à utiliser ce genre d’auberge, en n’occupant la chambre que quelques heures, sans y passer la nuit. Répondant à cette tendance, les gérants de ces auberges ont instauré un système de tarif pour occupation réduite, qui en outre améliorait le taux d’occupation de leurs installations.

Il existe encore des « tsurekomi yado » de nos jours (à gauche). La « cloison-miroir » était un dispositif pour faire apparaître la chambre plus grande qu’elle n’était (à droite), qui a trouvé d’autres usages dans la mise en scène érotique. Les miroirs sont toujours largement utilisés dans les love hotels modernes. (photos : Kim Ikkyon)

Les auberges concentrées autour des quartiers les plus animés et qui ciblaient les couples ont pris le nom de tsurekomi yado (ou « Auberge pour clients accompagnés »). Ils connurent un fort développement autour de 1960. On comptait déjà 2700 de ces auberges en 1961 à Tokyo uniquement. La loi anti-prostitution de 1958 a obligé la majorité des anciennes maisons-closes à se reconvertir dans ce segment de l’hôtellerie et le succès fut tel que certaines résidences des environs s’y sont mises aussi. Nous parlons là des quelques années qui ont précédé les Jeux Olympiques de Tokyo de 1964.

Pourquoi les couples mariés vont-ils dans ces sortes d’établissement ? Que cache cette spécificité japonaise ? Pourquoi la clientèle des tsurekomi yado est-elle devenue si importante ?

Pour Mme Kim, la cause de ce phénomène est à rechercher dans la situation du logement des familles modestes au Japon à cette époque. Dans un logement japonais, le nombre de pièce était limité et d’usage polyvalent. La salle principale, souvent unique, était à la fois salon et salle à manger dans la journée, et se transformait en chambre à coucher la nuit : on replit la table et on étend les futons.

« Dans cet espace limité, toute la famille dormait ensemble, parents, enfants… Ce n’était pas à la maison que le couple pouvait avoir un peu d’intimité. Où donc croyez-vous qu’ils pouvaient fabriquer leurs enfants ? Il n’y a rien d’étonnant en fait à ce que les couples mariés aient choisi d’aller dans les tsurekomi yado pour renforcer leur amour. »

Il faut aussi prendre en compte la demande de salle de bain. À l’époque, les bains dans les tsurekomi yado étaient communs. On appelait les clients à tour de rôle par numéro de chambre : « Chambre numéro tant, c’est à vous ! » À cette époque les logements ne possédaient pas de salle de bain, tout le monde allait au bain public, ou les sexes sont séparés. Prendre le bain en couple était exceptionnel, donc particulièrement attirant, sans doute ».

Suite > L’âge d’or du love hôtel : des châteaux dans tout le pays

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