La modernité de l’esthétique traditionnelle
Une journée type dans une écurie de lutteurs de sumo
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Une vie en communauté dans une nouvelle famille
Le sumo est un peu plus qu’un sport individuel. Par certains aspects, c’est aussi un sport collectif, qui nécessite le soutien d’une équipe pour s’entraîner. Cette collectivité est celle de l’écurie (heya). Près de 700 lutteurs, ou rikishi, participent aux compétitions professionnelles organisées par l’Association japonaise de sumo, et chacun d’entre eux, du novice au yokozuna, le rang le plus élevé, appartient à une écurie, actuellement au nombre de 47. Les lutteurs d’une même écurie ne s’affrontent généralement pas lors des tournois officiels (six par an). Cela peut arriver le dernier jour de la compétition, s’il faut départager deux lutteurs ex-aequo pour déterminer le vainqueur, mais c’est exceptionnel.
Tournois officiels de sumo : rangs et effectifs au mois de mars 2020
Rang | Titre | Effectifs |
---|---|---|
Makuuchi(1e division) | Yokozuna | 2 |
Ôzeki | 1 | |
Sekiwake | 2 | |
Komusubi | 2 | |
Maegashira | 35 | |
Jûryô (2e division) | 28 | |
Makushita | 120 | |
Sandanme | 201 | |
Jonidan | 214 | |
Jonokuchi | 52 | |
Total | 657 |
Source : Association japonaise de sumo (à la date de mars 2020)
Une écurie n’est pas seulement une équipe, c’est aussi le lieu où les lutteurs vivent ensemble. À la différence des autres sports où le quotidien n’est partagé que durant des stages périodiques, les rikishi vivent ensemble tout au long de l’année. La plupart des écuries sont construites suivant le même modèle : la salle d’entraînement se situe au rez-de-chaussée et les pièces de vie dans les étages supérieurs. Bien souvent, le chef de l’écurie (oyakata) et sa famille occupent le dernier étage. L’oyakata joue le rôle du père de cette famille élargie, et son épouse (okami-san), celui de la mère. Ils s’occupent des lutteurs comme de leurs propres enfants et gèrent de nombreuses facettes de leur quotidien.
En principe, un lutteur ne peut s’émanciper de cette vie collective qu’une fois qu’il a atteint la première ou la deuxième division (on appelle ce grade sekitori), et s’il est marié. Les lutteurs des divisions inférieures partagent un dortoir, tandis que les sekitori bénéficient d’une chambre individuelle. En un mot, la quasi-totalité des rikishi sont domiciliés dans l’écurie à laquelle ils sont rattachés.
Au travail dès le petit matin
Les horaires varient légèrement en fonction des écuries mais partout, la journée commence tôt. En général, les lutteurs se lèvent à six heures, se préparent et commencent l’entraînement à jeun. Le déjeuner, après l’entraînement, sera leur premier repas de la journée.
L’écurie Takadagawa laisse ses lutteurs libres de choisir à quelle heure commencer l’entraînement, mais comme les sekitori sont à pied d’œuvre très tôt, les plus jeunes ne risquent pas de traîner au lit. À sept heures, les voilà presque tous présents, en train de s’échauffer.
Personne n’utilise encore l’arène, le dohyô. Chacun s’échauffe autour en pratiquant encore et encore divers exercices : shiko (lever haut les jambes), suri-ashi (avancer les pieds bien collés au sol) et teppô (frapper de la paume des mains contre un pilier) pour se mettre en condition. Ces mouvements, qui renforcent et assouplissent les membres inférieurs, sont destinés à éviter les blessures. Tout se fait en silence. Les lutteurs sont concentrés sur leur souffle et sur chaque recoin de leur corps, pour se préparer au dur entraînement qui les attend.
Un entraînement ardu
Vers huit heures, alors que les lutteurs commencent à suer à grosses gouttes, le chef de l’écurie, l’oyakata Takadagawa, arrive dans la salle d’entraînement. L’atmosphère, pourtant déjà très studieuse, le devient encore plus. Sous son regard, les combats commencent dans l’arène, tout d’abord entre les lutteurs les moins qualifiés. C’est le môshiai : le vainqueur désigne son adversaire pour le prochain combat, et ainsi de suite.
De temps à autre, le chef donne des instructions. Il corrige en particulier les postures dangereuses, qui augmentent les risques de blessure : « Le but de l’entraînement n’est pas de gagner. C’est contre soi-même qu’on se bat. On peut perdre un jour et gagner le lendemain ; mais si on se blesse, c’est la fin d’une carrière. »
Quand l’oyakata passe son mawashi, la ceinture que porte les lutteurs, l’entraînement reprend de plus belle.
Chaque écurie est affiliée à un groupe appelé ichimon. Les 47 écuries actuelles sont regroupées en 6 ichimon (4 écuries ne sont rattachées à aucun groupe). Les écuries d’un même groupe sont en relation étroite. Ce jour-là, deux lutteurs de rang sandanme de l’écurie Minezaki, du même groupe Nishonoseki, participent à l’entraînement. L’oyakata leur prodigue des conseils, comme à ses propres disciples. Il leur montre comment pratiquer l’exercice de base qu’est le shiko, en insistant sur les détails : « Ce n’est pas parce qu’on en fait longtemps que le mouvement est correctement exécuté. Il faut bien se baisser, garder la position même si c’est dur. Cet exercice, on le fait pour soi-même. On ne se ment pas à soi-même, n’est-ce pas ? »
Après l’entraînement môshiai entre lutteurs de niveau équivalent, la séance s’achève souvent par un entraînement au corps à corps, le butsukari. Les lutteurs forment deux groupes : l’attaquant se jette contre le torse de son adversaire et doit le pousser de tout son corps jusqu’au bord de l’arène, où il s’entraîne à chuter sans se blesser. La plupart du temps, le rikishi le plus fort endosse le rôle de celui qui se laisse pousser, on dit qu’il « prête son torse ». Au bout de cinq minutes, il a le torse tout rouge, tandis que l’attaquant, à bout de souffle, peine à tenir sur ses jambes.
En dernier, ce sont les sekitori qui s’affrontent dans l’arène. Le spectacle est puissant.
Après l’entraînement, le repos
Après l’entraînement matinal, les lutteurs prennent leur bain à tour de rôle, sekitori en tête. Le repas doit être prêt quand les plus gradés sortent de la salle de bains. Le lutteur chargé de préparer le déjeuner, le chanko-ban, termine l’entraînement plus tôt que les autres, pour être à pied d’œuvre dès huit heures.
Le terme chanko représente, dans l’imaginaire général, la fondue japonaise (nabe) consommée par les lutteurs de sumo, mais en réalité, c’est un mot d’argot du sumo qui désigne la nourriture en général. Le menu est construit autour de cette fondue, dont la recette traditionnelle varie suivant les écuries. C’est le plat idéal pour les sportifs de haut niveau que sont les rikishi, nourrissant mais équilibré, facile à digérer et qui booste le métabolisme en réchauffant le corps. Il est accompagné de plats variés et de plusieurs grands bols de riz blanc. Les lutteurs font la sieste immédiatement après le repas, pour favoriser la prise de poids.
Trois autres membres dans l’écurie
À chaque écurie sont également rattachés un arbitre (gyôji), un annonceur (yobidashi) et un coiffeur (tokoyama). L’arbitre est connu pour présider aux combats dans l’arène en habit de cérémonie, mais il s’occupe également de la mise au point des annonces à diffuser et de la composition du tournoi, ainsi que de l’organisation logistique des tournées et de diverses tâches au sein de l’écurie. Une grande partie de son travail s’effectue dans les coulisses. L’annonceur yobidashi est pour sa part sur le devant de la scène lorsqu’il annonce les noms des lutteurs dans l’arène, mais c’est aussi lui qui construit et entretient cette même arène, entre autres missions. Le coiffeur est chargé de la confection du chignon des lutteurs.
L’écurie Takadagawa n’a pas de yobidashi attitré, mais deux arbitres y sont rattachés ; l’un d’entre eux est Shikimori Kandayû, 11e du nom, chef de la quarantaine d’arbitres de sumo (en juillet 2018). D’après lui, 80 % de son travail se déroule dans les coulisses. Il lui arrive aussi de servir d’interlocuteur compatissant pour aider les lutteurs à surmonter un passage difficile : « Notre rôle est de soutenir les rikishi dans leur travail, et notre fierté est de donner le meilleur de nous-mêmes pour eux, dans l’ombre. »
On dit que ce qui rend les lutteurs forts, c’est l’entraînement et le chanko (la nourriture). Les rikishi partagent le même quotidien, s’affrontent à l’entraînement et se soutiennent pendant les tournois. Ils grandissent ensemble, en tant que personne et que lutteur. C’est grâce à cette vie commune, rendue possible par l’oyakata et son épouse, les arbitres, l’annonceur et le coiffeur, qu’ils peuvent briller dans l’arène et au-dehors.
(Reportage et texte : Nippon.com. Photos : Hanai Tomoko. Avec la collaboration de Osumo-san, magazine web spécialisé dans l’univers du sumo.)