La modernité de l’esthétique traditionnelle

Les « ama », des femmes résolues à sauver une tradition plurimillénaire

Société

Julian Ryall [Profil]

Il y a un demi-siècle, le Japon comptait encore 17 000 ama (littéralement « femmes de la mer »), des plongeuses en apnée perpétuant une tradition vieille de 3 000 ans. Mais depuis, leur nombre a tellement diminué qu’aujourd’hui, il se limite en tout et pour tout à 2 000 dont la moitié vit dans la préfecture de Mie, sur la côte à l'est d'Osaka. Qui plus est, la population des ama a tendance à vieillir rapidement. Comment faire pour susciter des vocations parmi les jeunes afin que cette activité traditionnelle continue à exister ?

… mais menacée de disparition

En 1956, le nombre des plongeuses japonaises tirant leur subsistance de la mer était supérieur à 17 000. Mais à l’heure actuelle, cette pratique a complètement disparu dans certaines parties de l’Archipel. Même si l’on trouve encore des ama dans 18 préfectures, la moitié d’entre elles vivent dans la péninsule de Shima (préfecture de Mie), au bord de l’océan Pacifique, où elles plongent durant la saison de pêche.

En dehors de cette période, les ama gagnent leur vie en travaillant dans les auberges traditionnelles (ryokan) ou les boutiques du voisinage. Elles ont aussi commencé à organiser des visites de leurs « cabanes » où elles racontent leurs expériences.

« La première fois que j’ai plongé, j’avais 14 ans et j’ai arrêté il y a 5 ans, quand j’en ai eu 80 », explique Nomura Reiko, vêtue de la tenue toute blanche traditionnelle des ama. Elle travaille pour le restaurant « Amakoya Hachiman Kamado » situé derrière la digue du village d’Ôsatsu.

Nomura Reiko a 85 ans. Elle a passé plus de 60 années à plonger dans l’océan Pacifique pour assurer sa subsistance. Aujourd’hui, elle enchante les visiteurs avec le récit émaillé de péripéties diverses et variées de sa vie. L’étoile dessinée sur sa coiffe blanche fait partie des motifs traditionnels censés protéger les ama.

« Ma mère, ma grand-mère et mon arrière-grand-mère ont toutes exercé le métier d’ama. C’est ce que les femmes de la région ont toujours fait », précise-t-elle. « Pour les filles d’ici, c’était pratiquement un rite de passage. Elles ne pouvaient pas se marier si elles n’étaient pas ama. »

Reiko avoue avoir vécu quelques expériences terrifiantes au cours des 66 années où elle a plongé. La corde attachée autour de sa taille s’est plus d’une fois accrochée à un rocher ou entortillée dans des algues pendant qu’elle était au fond de l’eau. Mais elle a toujours réussi à garder son calme et à trouver le moyen de remonter saine et sauve à la surface.

(Dans le sens des aiguilles d’une montre) Deux ama en train de cuire des coquillages sur la braise ; Un bel assortiment d’huitres, de coquilles Saint-Jacques et de sazae (turbo) ; À l’âge de 70 ans, Okano Mitsue travaille à la « cabane des ama » tout en continuant à plonger ; Des ama se livrent à une danse traditionnelle devant des visiteurs.

Pendant que Reiko parle, ses camarades – toutes des plongeuses chevronnées – font cuire des sazae, des huitres, des algues et des coquilles Saint-Jacques toutes fraiches pour leurs hôtes, sur le foyer ouvert situé au centre de la « cabane des ama ».

Okano Mitsue a 70 ans. Comme la plupart des plongeuses de son âge, elle est préoccupée par le manque de jeunes recrues. « Nous avons toutes des filles. Mais aucune d’elles n’a voulu suivre notre exemple après avoir vu comment nous étions frigorifiées au bout d’une journée en mer », soupire-t-elle. « Et aujourd’hui, on peut difficilement gagner sa vie en étant ama. Pour s’en sortir, il faut faire un autre travail en même temps. »

Suite > Une activité dangereuse

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Julian RyallArticles de l'auteur

Journaliste. Correspondant du quotidien britannique The Daily Telegraph pour la Corée et le Japon. Titulaire d’un diplôme de troisième cycle de journalisme de l’Université centrale du Lancashire (UCLan), obtenu en 1992. Premier voyage au Japon en 1992. Réside actuellement à Yokohama.

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