La modernité de l’esthétique traditionnelle

Les estampes japonaises, média de l’époque d’Edo

Culture Art

Brigitte Koyama-Richard [Profil]

Accrochées sur les murs des musées, les estampes japonaises sont aujourd’hui respectueusement admirées. Pourtant à l’époque d’Edo où elles furent créées, ludiques, pédagogiques, médiatiques elles faisaient partie intégrante de la vie quotidienne. Reflet de la société japonaise de cette époque, elles sont passionnantes.

Les estampes artistiques

Les surimono

Les seules estampes véritablement artistiques, non contrôlées par la censure, furent les surimono, ces magnifiques ukiyo-e qui faisaient l’objet de commandes privées et n’étaient jamais destinées à la vente, mais à être offertes. Les papiers les plus moelleux, les pigments les plus luxueux, les techniques les plus sophistiquées de gaufrage, de dégradé de couleurs étaient utilisés et la poudre d’or et d’argent était appliquée sans compter pour réaliser ces œuvres d’une grande beauté. Elles devaient être admirées, comme toutes les autres estampes, en les tenant légèrement inclinées dans ses mains, afin d’en percevoir la délicatesse des couleurs et les reflets dorés ou argentés.

Les formats

Au cours de l’époque d’Edo, différents formats apparurent et furent fixés.
D’une feuille simple, on passa ensuite à des diptyques ou des triptyques et parfois plus.
Parmi les plus intéressants et considérés comme des estampes décoratives figurent les hashira-e ou estampes piliers. Souvent montées sur un support, elles étaient placées dans la partie de la pièce principale réservée à la décoration, le tokonoma et remplaçaient des œuvres peintes plus onéreuses que l’on ne pouvait s’offrir. Elles étaient parfois collées sur un simple pilier de la maison.

Les estampes érotiques

Au Japon comme en Occident, le mot ukiyo-e, estampe japonaise, fut souvent réduit à l’image des estampes érotiques. Il en existait de deux sortes, celles qui étaient teintées d’érotisme et qui consistaient, par exemple, à montrer une jambe nue sortant d’un kimono, estampes nommées abuna-e (teintées d’un certain danger !). Les autres, les véritables estampes érotiques, shunga, furent créées par de nombreux peintres parmi les plus célèbres. Elles surprirent les Occidentaux par leur beauté et Edmond de Goncourt, enthousiaste, écrivit : « J’ai acheté l’autre jour des albums d’obscénités japonaises. Cela me réjouit, m’amuse, m’enchante l’œil. Je regarde cela en dehors de l’obscénité, qui y est et qui semble ne pas y être et que je ne vois pas, tant elle disparait sous la fantaisie» (Edmond et Jules de Goncourt, Journal, Mémoires de la vie littéraire, Paris Robert Laffont, coll. «Bouquins», vol.1, p. 1013, 1989).

 

Les estampes japonaises inspirèrent et continuent d’exercer leur fascination sur des artistes du monde entier. Leur fabrication entièrement à la main nous étonne. Seuls les meilleurs artisans peuvent parvenir à une telle perfection ainsi que nous le constaterons dans un prochain article.

L’estampe de la bannière : Katsushika Hokusai, « Trente-six vues du mont Fuji—La Grande Vague de Kanagawa » (The Adachi Institute of Woodcut Prints)

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Hokusai kabuki histoire peinture ukiyo-e estampe culture Edo populaire art

Brigitte Koyama-RichardArticles de l'auteur

Docteur en littérature comparée de l’Université de la Sorbonne et de l’INALCO, est professeur à l’Université Musashi dans la section des sciences humaines, où elle enseigne la littérature comparée et l’histoire de l’art. Elle a publié de nombreux ouvrages consacrés à l’origine des mangas et de l’animation japonaise, aux estampes japonaises et au japonisme, dont Japon rêvé, Edmond de Goncourt et Hayashi Tadamasa (Hermann, 2001), Mille ans de Manga (Flammarion, 2007), L’Animation japonaise, des rouleaux peints aux Pokémon (Flammarion, 2010), Les estampes japonaises (Nouvelles Editions Scala, 2014), Jeux d’estampes, Images étranges et amusantes du Japon (Nouvelles Editions Scala, 2015), Beautés Japonaises, la représentation de la femme dans l’art japonais (Nouvelles Editions Scala, 2016).

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