La modernité de l’esthétique traditionnelle

Shunga : la quintessence de l’érotisme japonais

Culture Art

La plupart des gens ont eu l’occasion d’admirer des estampes japonaises pleines de vie et de subtilité, même quand ils ne connaissent pas bien l’art de ce pays. Mais les maîtres les plus connus du « monde flottant » (ukiyo) ne se sont, bien souvent, pas contentés de représenter des lieux célèbres et des scènes et de la vie rurale et urbaine de l’Archipel sur leurs estampes. On leur doit aussi des shunga (littéralement « images de printemps ») qui consistent en des scènes de sexe pour le moins explicites. Ces estampes érotiques pleines de passion et d’humour sont aussi, dans bien des cas, satiriques.

Un sens aigu de l’humour et de la satire

5- Kawanabe Kyôsai (1831-1889)/Deux rouleaux de peinture érotiques (shunga) faisant partie d’un triptyque satirique. Encre de Chine et couleurs sur papier. (1871-1889). Collection Israel Goldman.

Mais beaucoup des « images de printemps » ne se limitent pas à une simple scène de sexe représentée de façon réaliste. À preuve les parties génitales de taille démesurée et les situations cocasses qu’on y voit bien des fois. Les shunga tiennent souvent à la fois de l’estampe érotique et du genre des « images satiriques » (warai-e).

Au début de l’ère Meiji (1868-1912), Kawanabe Kyôsai (1831-1889), à qui l’on doit de nombreuses estampes caricaturales, a peint un triptyque composé de trois rouleaux dont celui de gauche montre un couple en pleine action, vu de l’arrière. Au premier plan, un chat malicieux lève la patte en direction des parties génitales de l’homme. On imagine la suite…

« En fait, j’aurais aimé pouvoir rire beaucoup plus franchement devant un grand nombre de ces images », avoue Jess Auboiroux après avoir visité l’exposition, un dimanche après-midi. « Mais pour une raison ou une autre, la foule qui avait envahi les lieux était plongée dans une sorte de rêverie… une réaction bien loin de celle que les auteurs de ces œuvres attendaient du public ».

L’humour des shunga peut être aussi bien décapant que grivois. Comme la plus grande partie de la culture populaire de la période d’Edo et l’art érotique de l’époque moderne, les « images de printemps » font souvent preuve d’un esprit de rébellion.

« Les auteurs de shunga se sont emparés de pans entiers de la culture japonaise comme l’art et la littérature et ils les ont parodiés non seulement pour se divertir mais aussi à des fins politiques plus sérieuses », précise Tim Clark.

Les manuels d’éducation morale à l’usage des femmes version shunga sont tout à fait exemplaires à cet égard. Parfois, les parodies sexuelles réalistes ressemblent tellement à l’œuvre originale qu’on a l’impression qu’elles ont été réalisées par le même auteur et le même imprimeur. Elles devaient en tout cas provenir d’un milieu similaire.

Mais quand l’esprit satirique des estampes érotiques est allé trop loin, il s’est fait rapidement sanctionner par la censure. En 1722, les shunga ont été déclarés illégaux, ce qui a entravé leur production pendant vingt ans. Par la suite, la répression a continué mais sans jamais réussir à faire disparaître les « images de printemps ». Le genre des estampes érotiques a même profité de son statut semi-clandestin pour aller encore plus loin dans la satire. Un grand nombre de ces œuvres font preuve d’une imagination et d’une audace stupéfiantes.

Une partie de l’exposition Shunga : Sex and Pleasure in Japanese Art est consacrée à des gros plans de pénis en érection juxtaposés avec des portraits d'acteurs de kabuki. Les poils pubiens sont traités dans le même style que les perruques et les contours saillants des veines rappellent ceux du maquillage.

Suite > Un art qui a failli tomber dans l’oubli au Japon

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