La modernité de l’esthétique traditionnelle
Le bonsaï, un concentré de nature
Culture- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Depuis quelques années, les bonsaï sont de plus en plus présents dans notre environnement. Dans les restaurants, les boutiques et les magasins d’ameublement fréquentés par les jeunes, les mini bonsaï(*1), qui tiennent dans la paume de la main, font partie intégrante de la décoration. Sur le coin d’un bureau, ils sont sans aucun doute une source de relaxation pour de nombreux travailleurs aux yeux fatigués par l’écran de leur ordinateur. Autrefois considérée comme un passe-temps de retraité, la culture des bonsaï compte aujourd’hui de plus en plus d’adeptes, sur un mode plus léger.
L’art d’apprécier les bonsaï
Pour profiter pleinement des bonsaï, mieux vaut avoir en tête quelques notions de base.
Tout d’abord, le bonsaï est une œuvre d’art intégrant à la fois le contenant — bon, le pot — et le contenu — saï, la plante. Il convient de ne pas regarder seulement l’arbre, mais de s’attacher à l’harmonie entre la plante et le pot. Cet accord, qu’on désigne sous le terme de hachi-utsuri, est un élément-clé de l’évaluation de la beauté du bonsaï. C’est là une différence de taille avec le jardinage classique. Par exemple, on choisit généralement pour les bonsaï au feuillage persistant(*2) des pots en terre non émaillée, et pour les bonsaï caducs(*3) des pots vernissés à la surface brillante. La couleur du pot doit aussi mettre le bonsaï en valeur, par exemple avec du bleu pour un arbre aux fruits rouges.
Deuxième point : un bonsaï a un côté « face ». Il s’agit de l’angle qui le met le mieux en valeur. Normalement, une plante peut être admirée sous n’importe quel angle, de devant ou de derrière, d’en haut ou d’en bas, d’un côté ou de l’autre ; mais le bonsaï, lui, est cultivé pour être admiré de face. La disposition des racines, les motifs du tronc, la position des branches et la silhouette de l’arbre, entre autres, sont les éléments qui permettent de déterminer quel est le côté « face ». Cet angle n’a d’ailleurs rien d’immuable, il peut varier en fonction de l’évolution de l’arbre. Un bonsaï est un paysage, créé avec des ciseaux(*4) et du fil de fer(*5) en lieu et place des pinceaux : il est à contempler de face.
Troisièmement, le bonsaï s’admire en intérieur. Il orne le tokonoma, l’alcôve décorative d’une pièce, ou trône sur un socle posé directement sur les tatamis. Aujourd’hui, il agrémente de plus en plus souvent le salon, la cuisine ou un bureau. Au Japon, on se déchausse avant d’entrer dans une pièce. Dans le même esprit, le pied du bonsaï est recouvert de mousse afin de dissimuler la terre, pour plus de propreté. Cependant, à la différence des plantes d’ornement, le bonsaï demande à être mis au soleil et arrosé plusieurs fois par jour, ce qui ne permet pas de le garder continuellement à l’intérieur.
Le charme discret du bonsaï
« Le véritable plaisir dans la culture du bonsaï, c’est de créer un paysage naturel à travers le bonsaï », explique Yamamoto Junsan, auteur de nombreux livres sur cet art. « Face à un magnifique bonsaï, on se perd dans la contemplation de l’arbre. On y retrouve le passage des saisons, le bruissement du vent, l’inspiration qui monte de la Terre nourricière, et le spectacle de la beauté de la nature dont l’expérience est gravée en nous se dresse sous nos yeux. »
A propos de l’essence du bonsaï, méditons cette citation tirée de Smaller is better—miniaturisation et productivité japonaises(*6), un essai majeur sur la culture japonaise : « Nous ne nous abîmons pas dans la contemplation d’un arbre miniature, nous convoquons mentalement la mer et la brise marine qui ont sculpté cette forme ».
Dans le même ouvrage, on trouve le passage suivant sur l’essence du haïku : « La spécificité du haïku ne réside pas seulement dans sa qualité de poésie courte. La volonté de concentrer, de réduire le monde, si vaste et confus, en créant pour ainsi dire un minuscule géant, c’est là l’esthétique unique du haïku. » Bien entendu, cette esthétique se retrouve aussi dans l’art du bonsaï.
(*1) ^ Les catégories de bonsaï dépendent de leurs dimensions. En fonction de la taille de l’arbre depuis le rebord du pot jusqu’à sa cime, on distingue les grands bonsaï (plus de 60 cm), les moyens (de 25 à 60 cm) et les petits (moins de 25 cm). Cette dernière catégorie est parfois divisée en mini bonsaï (moins de 10 cm) et bonsaï nains (moins de 7 cm). Les photographies qui illustrent cet article sont celles de petits bonsaï, qui remportent aujourd’hui le plus de succès.
(*2) ^ Bonsaïs dont le feuillage résiste toute l’année : pins, cryptomérias, genévriers de Chine, cyprès du Japon, etc.
(*3) ^ On distingue les bonsaï feuillus comme l’érable ou le zelkova du Japon, qui permettent d’apprécier le passage des saisons (bourgeons, feuilles vertes, feuillage d’automne, arbre nu), les bonsaï à fleurs comme le prunier ou le camélia et les bonsaï à fruits comme le buisson ardent.
(*4) ^ La taille (sentei) des branches et du tronc s’effectue avec des ciseaux. Les branches et les bourgeons restants sont cultivés pour donner de nouvelles ramifications. La répétition des opérations de taille permet de structurer le bonsaï.
(*5) ^ Le fil de fer (en cuivre ou en aluminium) permet d’immobiliser les branches pour obtenir un bonsaï à la forme idéale. On l’enroule en spirale autour des branches, depuis la base vers l’extrémité. Il faut éviter de serrer trop fort, ce qui risquerait d’abîmer la branche, en ménageant un petit espace entre l’arbre et le fil de fer. Le fil reste en place durant plusieurs mois, jusqu’à obtention de la forme souhaitée.
(*6) ^ Essai sur la culture japonaise de l’auteur sud-coréen Lee O-Young (1934-), rédigé en japonais en 1982. Ce best-seller a reçu le Grand prix de la Japan Foundation.
Loin de la maltraitance, un amour fou
Il est juste de dire que le bonsaï est un art vert construit sur la base d’une esthétique originale, mais lorsque cette esthétique est incomprise, elle devient source de malentendus. Prenons pour exemple le point de vue selon lequel le bonsaï est un produit de l’égo de l’homme. Même dans Smaller is better—miniaturisation et productivité japonaises, on relève la phrase suivante : « Le bonsaï est une maltraitance, c’est la Nature aux pieds bandés. » Mais est-ce vraiment le cas ?
Yamamoto Junsan reconnaît « comprendre en partie ce point de vue, mais… Pour les amoureux de bonsaï, c’est assurément une remarque totalement hors de propos. Parce qu’ils aiment éperdument les arbres auxquels ils prodiguent leurs soins. »
« C’est un peu comme entraîner un sportif de talent », ajoute-t-il. « Quand on fait pousser des bonsaï à partir des graines(*7), sur mille jeunes pousses, seules une ou deux donneront un bonsaï vraiment magnifique. Lorsque vous découvrez un arbre doté des qualités nécessaires, vous vous y consacrez corps et âme afin d’en faire le bonsaï idéal. Les ciseaux et le fil de fer sont les outils qui permettent, sans saper la force vitale de l’arbre, de s’approcher de cette forme rêvée. On ne consacre pas toute cette énergie à un arbre dénué de talent. Les grands bonsaï sont aussi ceux qui savent répondre aux attentes d’un coach sévère. Faute de saisir cette dimension, on ne voit peut-être là que brimades, mais en réalité, on se ruine pour cet arbre qui occupe toutes nos pensées, de jour comme de nuit. »
Les bonsaï ont la cote
A l’étranger aussi, les bonsaï trouvent un public de plus en plus large. En 2011, les exportations de bonsaï et d’arbres d’ornement atteignaient 6,7 milliards de yens, un record. Elles ont décuplé en dix ans et visent principalement la Chine, l’Italie, les Pays-Bas, le Vietnam et les Etats-Unis. En Asie, le bonsaï est le symbole d’un certain statut social, tandis que dans les pays occidentaux, il est plutôt considéré comme un élément de décoration intérieure. L’Italie en particulier se passionne pour les bonsaï, et il existe même des écoles, des musées et des magazines spécialisés. Quels paysages intérieurs guident les aficionados étrangers qui s’adonnent à la culture du bonsaï ?
Photographies et collaboration à la rédaction : Yamamoto Junsan
(*7) ^ Les bonsaï obtenus par greffage et bouturage permettent de perpétuer les caractéristiques de la plante d’origine, tandis que la culture depuis le semis demande beaucoup de temps et d’efforts.