
À la découverte de la BD du monde au Japon
Matsumoto Taiyô et Nicolas de Crécy — la Rencontre
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Matsumoto Taiyô est également très connu en France, bien que son extrême discrétion dans les médias fasse de lui une sorte de mystère vivant. C’est ce qui faisait de la rencontre publique de l’auteur de Ping-pong un événement exceptionnel. Qu’est-ce qui poussait Matsumoto Taiyô à sortir de sa tanière ? Tout simplement, le fait que cette rencontre ait lieu avec Nicolas de Crécy, auteur de BD français invité à Tokyo pour le 2e International Manga Fest. Matsumoto Taiyô voue une véritable admiration à Nicolas de Crécy et la qualité de leur dialogue devant le public du Tokyo Big Sight fut au niveau de l’événement. Nous sommes heureux de pouvoir vous le faire partager.
Deux rencontres
La première rencontre de Matsumoto Taiyô avec la bande dessinée française remonte à plus de 20 ans. Matsumoto, qui avait reçu commande d’un reportage manga sur le rallye Paris-Dakar pour le magazine de manga Morning, ouvrit pour la première fois une BD française par hasard dans une librairie lors de son passage à Paris.
MATSUMOTO TAIYÔ Je n’étais pas très informé du fait qu’il existait une culture de la bande dessinée en France. Je suis entré dans la librairie et j’ai vu les albums, présentés dans des bacs comme des disques. Cela fut un véritable choc pour moi. C’est ainsi que j’ai découvert des auteurs comme Mœbius, Enki Bilal ou Michelangelo Prado. Cela m’a totalement fait oublier le rallye !
Quelques années plus tard, à Angoulême où il était l’invité du Festival International de la Bande Dessinée, Matsumoto a croisé Nicolas de Crécy, qui venait de sortir Léon la Came. Mais celui-ci était tellement entouré et occupé que la première réaction de Matsumoto fut de s’en détourner : « Non, je ne pourrai jamais l’aborder… »
Nicolas de Crécy répond du tac au tac : « Vous parlez de l’époque où j’étais encore connu en France ! » De son côté, Nicolas de Crécy ne connaissait pas encore les mangas de Matsumoto Taiyô, et la rencontre n’eut pas lieu. Il fallut attendre quelques années, quand Ping-pong fut traduit et publié en France (à partir d’octobre 2003).
NICOLAS DE CRECY Je travaillais en atelier avec plusieurs dessinateurs de BD dans le sud de la France quand l’un d’eux m’a fait lire Ping-pong. Ce fut une vraie découverte. C’était un graphisme assez différent de l’image que j’avais des mangas, quelque part j’ai senti une sensibilité commune avec nos créations à nous.
MATSUMOTO Je ne savais pas du tout que vous l’aviez déjà à cette époque. Je suis tellement heureux !
Foligatto en japonais (traduction : Hara Masato, PIE International)
Matsumoto Taiyô n’est pas un grand parleur, mais sa joie est plus intense qu’il n’y paraît. Quand Foligatto, la première BD de Nicolas de Crécy (sur un scénario d’Alexios Tjoyas, sorti en France en 1991) fut enfin traduit en japonais en 2013, c’est Matsumoto Taiyô qui a écrit le mot du bandeau promotionnel : « Une œuvre qui est aussi une chorégraphie. Le dessinateur que j’admire le plus ! »
MATSUMOTO Les images de Nicolas de Crécy sont extrêmement étonnantes. Son trait est atypique dans le champ de la BD, je le compare plutôt à des peintres comme Klimt ou Egon Schiele. Depuis, il a déclaré qu’il regrettait une tendance au « trop plein », à l’accumulation d’éléments de détails et de techniques, mais cette accumulation possède un bon équilibre et génère un grand plaisir de lecture. C’est une œuvre formidable.
Le deuxième album de Nicolas de Crécy, Le Bibendum Céleste (1994), fut le premier à être traduit en japonais, avec un retard de 16 ans par rapport à sa sortie originale en France. Cet album est très différent du précédent, essentiellement parce qu’il en a écrit lui-même le scénario. Les dessins quasiment en pleine page présentent chacun un style particulier, ce qui est très novateur.
Le Bibendum Céleste ©Humanoids, Inc. Los Angeles.
MATSUMOTO Bien plus que le précédent, cet album repose sur le concept de tout réaliser par soi-même, en épuisant toutes les techniques possibles. Le résultat est parfait, super impressionnant. Je n’ai qu’un seul mot : Sublime ! C’est à vous dégoûter de vos propres dessins !
DE CRECY C’était il y a 20 ans, je dois faire un gros effort de mémoire ! D’ailleurs, de façon générale, j’établie d’abord la structure de l’histoire, mais ensuite je développe les dessins par improvisation, selon l’inspiration du moment.
MATSUMOTO Ce qui serait totalement impossible pour un mangaka japonais. Ici, en principe, on dessine une série pour un magazine hebdomadaire ou mensuel. L’éditeur exige de voir d’abord un découpage rough à la date fixée, et à partir de là, on corrige en discutant ensemble.
Le dynamisme du manga japonais
Le troisième album de Nicolas de Crécy fut Léon la Came (1995, scénario de Sylvain Chomet ; Version japonaise en 2012). Du point de vue graphique, le style en est totalement différent de ceux des deux premiers ouvrages, plus aéré, moins sursaturé. L’accent est plus directement mis sur le récit. Il semble que ce troisième opus exerce déjà une certaine influence sur le manga japonais.
DE CRECY Au départ, Léon la Came devait être en noir et blanc. Ça ressemble au manga dans le sens où c’est très cinématographique, la mise en scène est très élaborée. C’est un concept très fortement influencé par le manga japonais, ce qui n’existait pas dans la bande dessinée à l’époque.
MATSUMOTO Personnellement, je suis un inconditionnel du travail de Nicolas de Crécy du début à la fin, de Foligatto à Salvatore (2005-2010). Mais c’est la période Léon la Came qui m’a le plus influencée. J’aime beaucoup l’équilibre entre complexité des détails et simplicité de cette œuvre.
DE CRECY Quand j’ai découvert le travail de Taiyô Matsumoto, ma première réaction a été d’y voir des sortes de points communs. Et en même temps je suis également fasciné par les différences. Ce qui me surprend le plus, c’est le dynamisme du mouvement que l’on perçoit dans ses dessins. C’est quelque chose qui manque dans mon travail. Le découpage est très savant, et par-dessus cela une technique graphique époustouflante. La combinaison de ces éléments est remarquable.
MATSUMOTO Quel éloge ! Je crois que je vais pleurer (rires dans le public).
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