Quand gourmandise rime avec plaisir

Chef sushi, un métier pour la vie

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Nakahara Ippo [Profil]

Les connaisseurs attendent toujours plus des meilleurs restaurants de sushi à Ginza, en échange du prix fort qu’ils ont à payer. Outre l’authenticité de leur sushi, ils mettent des « notes » à l’atmosphère de ces restaurants, l’aura des chefs et surtout la rigueur de leur travail. Tout cela, Aoki Toshikatsu, chef-propriétaire de deuxième génération du restaurant Sushi Aoki, l’a appris de son père et continue à le faire vivre aujourd’hui. Revenons sur son parcours.

Aoki Toshikatsu AOKI Toshikatsu

Chef-propriétaire de deuxième génération du restaurant Sushi Aoki. Né en 1964 dans la préfecture de Saitama. Diplômé de l’Université des sciences du sport du Japon, il passe une année aux Etats-Unis. A son retour au Japon, il se forme au sein du célèbre restaurant de sushi Yoshino de Kyôbashi à Tokyo, puis auprès de son père Yoshi, chef réputé. Après le décès brutal de celui-ci, il reprend le restaurant paternel à l’âge de 28 ans.

Voilà un chef à qui le mot nigiri (poigne) va comme un gant. Sa carrure est un rappel de ses années d’université, quand il pratiquait le judo. Dans sa blouse blanche, devant sa planche à découper en bois, sa présence est rassurante pour les clients qui s’installent à son comptoir. Il suffit de voir le chef sushi Aoki Toshikatsu pour savoir que les sushis qui sortiront d’entre ses mains seront excellents. Beaux et réguliers, ils sont également pétris d’amour paternel et de droiture. Le sourire espiègle qui échappe parfois à M. Aoki lorsqu’il les confectionne est un atout supplémentaire.

Les quatre nigiri de thon qui font la fierté de M. Aoki : [en haut de gauche à droite] toro-shimofuri (thon gras à la chair persillée), toro-jabara (thon gras en bandelettes), [en bas de gauche à droite] chû-toro (thon gras), akami-zuke (thon maigre en sauce).

Les sushis à la mode d’Edo à Kyoto

Les sushis à la mode d’Edo (Edo-mae) sont l’un des mets dont Tokyo peut s’enorgueillir dans le monde entier. Le premier sushi qu’a mangé M. Aoki avait été préparé par son père, Yoshi, fondateur du restaurant familial. Yoshi, originaire d’Asakusa, s’est formé durant vingt ans au sein du célèbre restaurant de sushi de Ginza Nakata avant d’ouvrir la première filiale de l’établissement à Kyoto, dans le quartier de Kiyamachi. A Kyoto aussi, ville de fins gourmets, il s’est imposé comme l’un des meilleurs chefs de sushis à la mode d’Edo.

A l’époque, il n’existait pas à Kyoto de restaurants de sushis à la mode d’Edo. Il n’y avait pas non plus de boîtes en polystyrène, idéales pour la conservation des aliments frais. Le thon rouge du Pacifique, indispensable, arrivait du marché aux poissons de Tsukiji à Tokyo dans des boîtes remplies de sciure et de glace, après une journée et une nuit de transport. Mais à Kyoto, les habitudes alimentaires ne sont pas les mêmes que dans la capitale et, au thon rouge, on préfère les poissons à chair blanche comme la daurade d’Akashi. « Je pense qu’à Kyoto, le thon a causé beaucoup de soucis à mon père », se rappelle le chef.

Dès sa plus tendre enfance, le jeune Toshikatsu joue dans la cuisine du restaurant de son père. Les jours de congé, il s’amuse à aider les commis qui s’affairaient aux préparatifs. Son père, qui a construit sa réputation à Kyoto, ouvre en 1986 un restaurant à son nom, « Aoki », dans le quartier de Kôjimachi à Tokyo. C’est l’ancêtre du restaurant Sushi Aoki d’aujourd’hui.

La rencontre avec le sushi à l’américaine

Après ses études à l’Université des sciences du sport du Japon, M. Aoki part pour les Etats-Unis, où il voyage durant un an. Sa jeunesse est ainsi marquée du sceau de la cuisine et de l’anglais dans un contexte multiethnique et multiculturel.

A l’époque, aux Etats-Unis, les sushis sont un plat de fast-food prisé, mais même confectionnés par des cuisiniers d’origine japonaise, ils ont peu à voir avec les vrais sushis. Les California rolls ou les maki à l’avocat, aujourd’hui bien connus, étaient à la mode. En lieu et place de la sauce soja, mayonnaise et sauce teriyaki font l’affaire, et le thé vert est remplacé par du coca-cola. Lorsque M. Aoki découvre le carpaccio de poisson à chair blanche assaisonné d’un trait de vinaigre balsamique, la surprise est telle qu’il téléphone à son père pour lui en parler.

Lui qui ne connaissait que les vrais sushis à la mode d’Edo confectionnés par son père, découvre de multiples possibilités dans l’évolution de ces « sushis » de l’ère globale. Cette expérience sera à l’origine des nouveaux sushis à la mode d’Edo de chez Sushi Aoki, au mariage réussi avec le vin rouge, et notamment de son célèbre foie de baudroie à la ciboule en vinaigrette.

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Nakahara IppoArticles de l'auteur

Né en 1977. Après le lycée, il travaille dans une échoppe de Hakata tout en écrivant pour des journaux et magazines locaux. Parti pour Tokyo à 18 ans, il voyage ensuite à travers le monde, du Pôle Sud à la Corée du Nord en passant par la forêt amazonienne et l’Afghanistan en guerre. Reporter pour de nombreux magazines et revues. Auteur du Vrai visage du thon d’Ôma, à paraître cet été, sur l’industrie autour de ce produit considéré comme le thon le plus luxueux du Japon.

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