Quand gourmandise rime avec plaisir
Chef sushi, un métier pour la vie
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Voilà un chef à qui le mot nigiri (poigne) va comme un gant. Sa carrure est un rappel de ses années d’université, quand il pratiquait le judo. Dans sa blouse blanche, devant sa planche à découper en bois, sa présence est rassurante pour les clients qui s’installent à son comptoir. Il suffit de voir le chef sushi Aoki Toshikatsu pour savoir que les sushis qui sortiront d’entre ses mains seront excellents. Beaux et réguliers, ils sont également pétris d’amour paternel et de droiture. Le sourire espiègle qui échappe parfois à M. Aoki lorsqu’il les confectionne est un atout supplémentaire.
Les sushis à la mode d’Edo à Kyoto
Les sushis à la mode d’Edo (Edo-mae) sont l’un des mets dont Tokyo peut s’enorgueillir dans le monde entier. Le premier sushi qu’a mangé M. Aoki avait été préparé par son père, Yoshi, fondateur du restaurant familial. Yoshi, originaire d’Asakusa, s’est formé durant vingt ans au sein du célèbre restaurant de sushi de Ginza Nakata avant d’ouvrir la première filiale de l’établissement à Kyoto, dans le quartier de Kiyamachi. A Kyoto aussi, ville de fins gourmets, il s’est imposé comme l’un des meilleurs chefs de sushis à la mode d’Edo.
A l’époque, il n’existait pas à Kyoto de restaurants de sushis à la mode d’Edo. Il n’y avait pas non plus de boîtes en polystyrène, idéales pour la conservation des aliments frais. Le thon rouge du Pacifique, indispensable, arrivait du marché aux poissons de Tsukiji à Tokyo dans des boîtes remplies de sciure et de glace, après une journée et une nuit de transport. Mais à Kyoto, les habitudes alimentaires ne sont pas les mêmes que dans la capitale et, au thon rouge, on préfère les poissons à chair blanche comme la daurade d’Akashi. « Je pense qu’à Kyoto, le thon a causé beaucoup de soucis à mon père », se rappelle le chef.
Dès sa plus tendre enfance, le jeune Toshikatsu joue dans la cuisine du restaurant de son père. Les jours de congé, il s’amuse à aider les commis qui s’affairaient aux préparatifs. Son père, qui a construit sa réputation à Kyoto, ouvre en 1986 un restaurant à son nom, « Aoki », dans le quartier de Kôjimachi à Tokyo. C’est l’ancêtre du restaurant Sushi Aoki d’aujourd’hui.
La rencontre avec le sushi à l’américaine
Après ses études à l’Université des sciences du sport du Japon, M. Aoki part pour les Etats-Unis, où il voyage durant un an. Sa jeunesse est ainsi marquée du sceau de la cuisine et de l’anglais dans un contexte multiethnique et multiculturel.
A l’époque, aux Etats-Unis, les sushis sont un plat de fast-food prisé, mais même confectionnés par des cuisiniers d’origine japonaise, ils ont peu à voir avec les vrais sushis. Les California rolls ou les maki à l’avocat, aujourd’hui bien connus, étaient à la mode. En lieu et place de la sauce soja, mayonnaise et sauce teriyaki font l’affaire, et le thé vert est remplacé par du coca-cola. Lorsque M. Aoki découvre le carpaccio de poisson à chair blanche assaisonné d’un trait de vinaigre balsamique, la surprise est telle qu’il téléphone à son père pour lui en parler.
Lui qui ne connaissait que les vrais sushis à la mode d’Edo confectionnés par son père, découvre de multiples possibilités dans l’évolution de ces « sushis » de l’ère globale. Cette expérience sera à l’origine des nouveaux sushis à la mode d’Edo de chez Sushi Aoki, au mariage réussi avec le vin rouge, et notamment de son célèbre foie de baudroie à la ciboule en vinaigrette.
Tragique succession
A son retour des Etats-Unis, M. Aoki se forme chez Yoshino à Kyôbashi, puis il frappe à la porte de l’établissement de son père, qui a quitté le quartier de Kôjimachi pour celui de Ginza. Il rêvait de se tenir au comptoir à ses côtés, père et fils confectionnant ensemble des sushi. Cependant, l’année de ses 28 ans, son père décède soudainement. Bien qu’il ait appris les bases du sushi à la mode d’Edo, M. Aoki ne se sent pas encore prêt à contenter la clientèle. Il arrive encore que ses sushi s’émiettent lorsqu’il les pose sur le comptoir.
Dans ces moments difficiles, M. Aoki trouve du soutien auprès des chefs sushi de Ginza les plus réputés, ceux qui ont gagné leurs galons en remettant en cause la tradition. Parmi eux, le chef de Kiyota, Niitsu Takeaki, véritable légende vivante. Les clients fidèles l’encadrent et l’encouragent aussi, lui faisant la remarque lorsque ses « sushis ne tiennent pas la route ». Sa véritable formation commence alors.
Un quart de siècle s’est écoulé depuis. M. Aoki, aujourd’hui devenu l’un des plus grands chefs sushi de sa génération, est dans la force de l’âge. Sa mère, qui tient le restaurant depuis longtemps, juge aujourd’hui ses sushis « aussi bons que ceux de son père ». Cet héritage, tangible et intangible, il le transmet maintenant à la jeune génération qui travaille sous ses ordres.
Naissance d’une tradition nouvelle
Le restaurant Sushi Aoki propose en permanence plus de vingt types de sushi différents, même l’été, saison où il y a moins de poisson. Assis au comptoir devant une assiette en porcelaine blanche rafraîchissante, sushi de limande, plie, alose tachetée, chinchard ou ormeau vapeur vous sont servis à un rythme parfait. Même le thon, considéré moins savoureux l’été, est servi toute l’année, en choisissant le meilleur produit parmi ceux de plusieurs fournisseurs. Thon maigre, thon gras, thon gras en bandelettes, thon gras à la chair persillée, thon maigre en sauce… la chair est apprêtée différemment en fonction de sa fraîcheur et de sa maturité ; un même sushi peut même être composé de plusieurs fines lamelles de thon gras.
En plus des sushis traditionnels figurent aussi des spécialités conçues par M. Aoki : sushi de langoustines mi-cuites – un crustacé qui ne figure jamais au menu des restaurants de sushi –, nigiri d’huîtres à la vapeur accompagnées de sauce de soja à l’extrait d’huître au lieu du nikiri… En bouche, ces sushis dégagent les saveurs propres aux produits de la mer.
« Un restaurant de sushi ne doit pas sentir le poisson. Mais savoir tirer des produits de la mer toute leur saveur permet d’ajouter une corde supplémentaire à son arc. »
Aujourd’hui encore, M. Aoki prend le temps de se rendre à Paris ou New York, mais aussi en Asie pour y déguster toutes sortes de plats. Une vision globale alliée au sens des traditions : cette synergie ouvre de nouveaux horizons au restaurant Sushi Aoki.
« Les sushis à la mode d’Edo sont une spécialité établie, mise au point par nos prédécesseurs. Créer une “nouvelle tradition” qui sera transmise de génération en génération n’est pas chose aisée. »
Sous cette humilité, on peut ressentir la fierté d’un artisan heureux de perpétuer et faire évoluer la tradition du sushi à la mode d’Edo.
(Photos : Uzawa Akihiko)