Vivre à Fukushima — un an après le séisme
Le charme immuable d’Aizu
Visiterle Japon
Société Culture Vie quotidienne- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Aizu-Wakamatsu, située près du mont Bandai et du lac Inawashiro, avec ses nombreux sites historiques remontant à l’époque Sengoku et Edo, est l’une des principales zones touristiques de la préfecture de Fukushima. Une centaine de kilomètres séparent la ville de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi et le niveau de contamination radioactive y est sensiblement le même que dans la capitale et ses environs. Pourtant, les visiteurs se détournent de la région.
Une auberge traditionnelle qui résiste aux vents contraires
Dans ce contexte, une auberge traditionnelle qui a continué à accueillir la clientèle après la catastrophe, a enregistré une hausse de la fréquentation : dès la mi-avril, celle-ci atteignait 60% de son niveau de l’année précédente puis, en mai, elle enregistrait même une progression de 10% par rapport à mai 2010. C’est l’auberge Mukaitaki de Higashiyama-Onsen (la station thermale de Higashiyama), à une dizaine de minutes du centre-ville d’Aizu-Wakamatsu en voiture.
Lieu de villégiature du clan Aizu à l’époque d’Edo, la maison est transformée en auberge en 1873. De nombreuses personnalités y ont séjourné, à commencer par les premiers hommes politiques modernes comme Ito Hirobumi, le docteur Noguchi Hideyo, la poète Yosano Akiko ou, plus récemment, l’ancien premier ministre Koizumi Junichiro. Le bâtiment, de type sukiya-zukuri qui rappelle l’ère Meiji, est inscrit au registre du patrimoine national. C’est grâce à ce charme de la « permanence » que l’auberge est parvenue à surmonter les récents événements.
Le patron actuel de l’auberge, représentant de la sixième génération, s’appelle Hirata Yûichi.
Il se remémore le 11 mars 2011 : « À Aizu, le séisme a été de force 6 moins, et Mukaitaki n’a subi pratiquement aucun dommage. C’est une construction en bois qui a plus de cent ans, mais pas une tuile n’est tombée du toit. La secousse n’a pas été trop forte, nous n’avons même pas eu une assiette cassée. Tout était tellement normal que les clients qui sont arrivés après le tremblement de terre en ont été surpris. »
Ni le bâtiment ni les installations n’ont souffert, mais les lignes de chemin de fer et les routes étaient coupées et les transports en commun ne fonctionnaient plus. L’approvisionnement stoppé, il était impossible de se ravitailler en carburant ou en produits alimentaires. Puis, les 12 et 15 mars, les explosions d’hydrogène qui ont secoué la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi ont répandu la crainte d’une contamination radioactive.
« Aizu se trouve à une centaine de kilomètres de la centrale, mais j’étais décidé à chercher un lieu de refuge pour mes employés et ma famille. Comment allais-je faire pour entretenir seul cette auberge immense ? A un moment, j’ai même envisagé de fermer l’auberge, de mettre un terme à 140 années d’activité. »
Les eaux thermales de Mukaitaki, tirées directement à la source. Chaque bain possède sa particularité : le « bain du renard », qui rappelle l’histoire de ce lieu de villégiature du clan Aizu, les trois bains familiaux et le vaste « bain des singes ». La source à 60 degrés ne subit aucun ajout, son eau est ramenée à une température de 42 à 45 degrés grâce à un habile jeu de canalisations.
La gastronomie traditionnelle de Mukaitaki, axée sur la production locale. La carte précise que les ingrédients proviennent de la préfecture de Fukushima, mais aucun client ne refuse de les consommer.
Répondre aux attentes des habitués
Lors d’une réunion des acteurs du secteur touristique de la municipalité d’Aizu-Wakamatsu, certaines inquiétudes ont été exprimées : « Dans la situation actuelle, Aizu aura du mal à retrouver son statut de région touristique avant plusieurs années. Ne vaudrait-il pas mieux se consacrer au soutien logistique des zones sinistrées ? » Avec le soutien de la préfecture et de la commune, Higashiyama-Onsen a décidé d’accueillir des habitants de la localité d’Okuma, où se trouve la centrale nucléaire ; l’auberge Mukaitaki a au contraire choisi de ne pas ouvrir ses portes aux réfugiés. Hirata Yuichi explique sa décision.
« Immédiatement après le séisme, j’ai lancé un appel sur internet en expliquant que je ne pouvais servir que des onigiri (boulettes de riz) pour les repas, mais que l’eau chaude abondait, et j’ai invité les gens à venir se reposer. Pourtant, personne n’a souhaité se réfugier chez nous. En revanche, j’ai reçu des messages de clients fidèles : "nous viendrons dès que possible", "je voudrais acheter vos spécialités par correspondance". Refuser d’accueillir les réfugiés a été un choix difficile, mais je préférais répondre aux attentes des habitués qui soutiennent l’auberge depuis de longues années. »
Avec la reprise du service sur la ligne de shinkansen Tôhoku entre Tokyo et Fukushima le 12 avril, les clients sont revenus, majoritairement des habitués. En avril, la fréquentation a baissé de 40% par rapport à 2010. Ensuite, le nombre de nuitées a continué à progresser : toutes les chambres étaient occupées durant les huit jours de la Golden Week (du 29 avril au 6 mai 2011). Au mois de mai, le chiffre d’affaires a enregistré une progression de 30% par rapport à 2010.
Le « temps », un ami de 140 ans
Le principal attrait de Mukaitaki est la possibilité de savourer la même atmosphère que celle connue par Noguchi Hideyo ou Ito Hirobumi. La combinaison entre la façade chargée d’histoire et les chambres au confort moderne a toujours remporté du succès, mais, d’après M. Hirata, depuis le séisme, deux fois plus de clients laissent le commentaire suivant : « Ne changez rien. »
« Certaines personnes pensent qu’en construisant des bains extérieurs, on gagnerait des clients, mais avec des bains flambant neuf, il serait difficile de se présenter comme "l’auberge où a dormi Noguchi Hideyo". En général, avec le passage du temps, les choses s’abîment. Mais nous, en prenant continuellement soin de ce lieu qu’est Mukaitaki, nous avons mis le temps de notre côté. »
Les geishas de Higashiyama s’engagent pour la reconstruction
La « permanence », loin d’être le seul apanage de Mukaitaki, est un mot-clé qui pourrait s’appliquer au tourisme d’Aizu dans son ensemble. A Higashiyama-Onsen, on trouve toujours des geishas, alors qu’elles ont disparu de presque toutes les autres villes thermales, et nombre d’entre elles sont des jeunes femmes dans leur vingtaine. Après avoir appris leur art de geishas plus âgées, elles continuent à transmettre cette tradition qui remonte à l’ère Meiji.
Mikiko et Tsukino, geishas de Higashiyama, chantent « Les pruniers sont-ils fleuris ? »
Chanteuse et joueuse de shamisen réputée, Mikiko est une geisha expérimentée, très écoutée par ses jeunes collègues. Elle nous parle du charme des geishas de Higashiyama.
« Aizu est proche de Niigata, porte d’entrée de la culture de Kyoto sur la côte de la mer du Japon, et les arts d’agrément traditionnels sont appréciés depuis longtemps ici. Par rapport à la belle époque où nous étions plus d’une centaine, les choses ont bien changé, mais par ces temps de crise, je crois qu’il n’existe aucune autre ville thermale où on trouve autant de jeunes geishas. Après la catastrophe, par pudeur, nous n’avons pas travaillé pendant un temps, mais les entrepreneurs locaux n’ont pas hésité à faire appel à nos services, en disant "c’est précisément maintenant qu’il faut agir pour la reconstruction." Je pense que nous allons pouvoir continuer à transmettre la tradition des geishas de Higashiyama. »
Avec l’image des « maisons de thé » (maisons de geisha) de Kyoto en tête, on a tendance à penser que ce divertissement n’est pas accessible au commun des mortels, mais, à Higashiyama-Onsen, une geisha demande 14 175 yens pour un divertissement de 90 minutes. Il suffit de demander à votre auberge de prendre rendez-vous avec l’une d’entre elles. Précisions de Mikiko : « Il nous arrive de nous produire devant des familles ou des groupes de femmes. Avec les étrangers qui ne parlent pas japonais, nous communiquons par signes et par gestes, c’est très amusant. Depuis la catastrophe, les étrangers ne viennent plus, c’est dommage. Nous attendons votre visite ! »
Tsukino, elle, a 22 ans. Originaire de Kitakata, ville voisine d’Aizu-Wakamatsu, elle exerce la profession de geisha depuis quatre ans. « Depuis mon enfance, j’aime les choses traditionnelles japonaises, mais c’est au lycée que j’ai commencé à envisager ce métier. Je suis heureuse de pouvoir porter de beaux kimonos et une perruque à la japonaise, mais je dois sans cesse apprendre de nouvelles choses. »
L’esprit d’Aizu : toujours se conduire de façon juste, même dans l’adversité
La « permanence » qui fait le charme d’Aizu est aussi celle des personnes. Les « dix commandements » étudiés à l’époque d’Edo par les enfants d’ici en constituent un bon exemple. Ces règles de vie – respecter les personnes âgées, ne pas mentir, etc. – s’accompagnent d’un dernier précepte : « Ce qui est mal est mal. »
Le mot de la fin revient à M. Hirata, le patron de l’auberge Mukaitaki :
« L’esprit d’Aizu, c’est de vouloir continuer à agir de façon juste, même quand on sait qu’on va perdre. "Ce qui est mal est mal" est un précepte qui s’applique non pas aux autres, mais à soi. Si cet esprit se perdait, Aizu aussi disparaîtrait. Afin d’éviter cela, nous allons continuer à prendre soin de notre belle ville d’Aizu. »
(Photos : Uzawa Akihiko)