La mode nippone passe par les régions
Portez-vous des lunettes qui viennent de Sabae ?
Société Vie quotidienne Technologie- English
- 日本語
- 简体字
- 繁體字
- Français
- Español
- العربية
- Русский
Les montures en titane sont nées à Sabae
Sabae est la seule ville japonaise à pouvoir se targuer d’une tradition lunetière vieille de plus d’un siècle. C’est aussi ici qu’a été mise au point dans les années 80, une première mondiale : les lunettes en titane qui allient légèreté et solidité. Le titane a un autre avantage : il cause très peu d’allergies, et cela explique que les montures en titane se soient ensuite imposées dans le monde entier. Au Japon, Sabae représente une part écrasante de leur production, 96 %.
La ville compte aujourd’hui 47 fabricants de lunettes, et 500 entreprises qui travaillent dans le même secteur. Un grand nombre de lunetiers de Sabae se sont lancés sur les marchés internationaux, notamment en participant au MIDO, la plus grande foire internationale du secteur qui se tient en Italie, ou au SILMO, le « Mondial de l’optique », qui a lieu en France, et se sont ainsi développés à l’international. Ils ont formé des designers qui ont su obtenir de nombreuses récompenses à l’étranger, et de nombreuses célébrités étrangères sont aujourd’hui des utilisateurs fidèles de leurs lunettes, comme Sarah Palin, la candidate républicaine au poste de vice-président des Etats-Unis en 2008.
Une conversion réussie
La tradition lunetière de Sabae remonte à 1905. L’activité, conçue à l’origine comme une occupation secondaire pendant le temps où le travail des champs était impossible, a grandi pendant la période de forte croissance économique de l’après-guerre, puis grâce à la progression de la demande qui a accompagné l’apparition des montures en titane. Watanabe Satoshi, responsable à la mairie de la ville du groupe chargé de la promotion de Sabaé comme label explique : « La persévérance et la patience, deux des caractéristiques traditionnelles des habitants de notre ville, sont des qualités particulièrement appropriées à la fabrication de lunettes, et elles expliquent le développement de cette activité. »
Pendant de nombreuses années, les fabricants produisaient leurs montures pour le compte d’autres sociétés qui les vendaient sous leur propre marque, mais ces dernières années, leur environnement s’est gravement détérioré : la Chine a conquis le marché de la fabrication de lunettes à bas prix tandis que les opticiens bon marché se sont multipliés au Japon. Depuis 1992, année où la production lunetière de Sabae a culminé, le volume total de la production de la ville ainsi que le nombre total d’employés dans le secteur ont diminué d’un tiers, et près de 40 % des entreprises ont mis la clé sous la porte.
« Depuis 2000, nous nous sommes fixés pour objectif de changer de statut, en passant d’un lieu de fabrication de produits pour le compte d’autres à un lieu où l’on fabrique et vend, afin de sortir de notre dépendance sur les fabrications sous licence. Nous sommes entrés dans une autre ère, armés de notre puissance technologique, en lançant nos propres marques et en développant des magasins de vente directe » explique M. Watanabe.
Un designer aux valeurs comprises dans le monde entier
Si Sabae a pu entreprendre cette transformation, c’est grâce à la force du design. Boston Club, une firme hautement considérée par les professionnels de la lunetterie, a aujourd’hui deux magasins à Tokyo, l’un à Minami-Aoyama, et l’autre à Ginza. Kasashima Hironobu, qui en est le designer en chef, y est associé depuis le lancement en 1996 de sa première marque, JAPONISM. Grâce à l’alliance entre le sens japonais de la beauté, admiré dans le monde entier, et une technologie de haut niveau, elle a su impulser le boom des lunettes made in Japan. Afin de contrer la montée des montures chinoises, elle a d’abord opté pour un design agressif qui ne peut être réalisé sans la technologie japonaise, mais l’approche connaît actuellement une nouvelle évolution.
« En participant à des foires internationales, en voyant ce qu’on attend des lunettes, j’ai eu le sentiment que nous ne pourrions l’emporter au niveau mondial seulement grâce à nos capacités techniques. J’ai eu l’intuition que nous étions arrivés à une époque où en plus de la technologie il était impératif de mettre l’accent sur la vision du monde qu’offre une marque et le sens des valeurs qui la sous-tend. »
La recherche d’un nouveau sens des valeurs lisible partout dans le monde a fait naître chez lui une idée à rebours du design existant : « des lunettes que l’on peut garder longtemps sans s’en lasser ». JAPONISM PROTECTION, la série lancée en automne 2011, à l’issue de deux ans de recherche, offre un design épuré à l’extrême. Leur beauté est aussi fonctionnelle, et dépasse ainsi la beauté visuelle, grâce notamment au Rudder Hinge, un nouveau type de charnière, amovible et remplaçable, une innovation technique qui concentre tout le savoir en ce domaine.
« Avec cette série très remarquée dans les salons européens, je pense que nous avons réussi à montrer tout ce que les lunettes japonaises peuvent faire. Au-delà du design apparent et de notre technologie traditionnelle, je suis à la recherche d’une vision du monde propre au Japon, et je veux l’exprimer visuellement dans mes montures. Parce que je suis certain que cette esthétique japonaise sera acceptée dans le monde. »
Un lunetier de 82 ans, qui est un expert du polissage
A Sabae, on n’oublie pas non plus d’assurer la transmission du savoir des artisans qui est le secret de lunetterie de Sabaé.
A 82 ans, Masunaga Makoto, est président de la société Makoto Megane. Son grand-père était Masunaga Gozaemon, l’homme qui a créé la tradition lunetière de la ville. Aujourd’hui, c’est son fils, Masunaga Shôji un représentant de la quatrième génération des Masunaga, qui a pris les rennes de l’entreprise familiale, mais Makoto continue à mettre à disposition de l’entreprise ses soixante ans d’expérience.
Fabriquer une monture fait appel à plus de cent procédés différents. Certains d’entre eux sont aujourd’hui mécanisés, mais l’intervention de l’artisan continue à être indispensable pour la finition.
« L’aspect le plus délicat est ce que nous appelons le « polissage ». Il s’agit de polir la surface de la monture une fois qu’elle a été découpée, d’éliminer toute imperfection, de lui donner de l’éclat, et cela ne s’apprend pas facilement, puisque l’on dit qu’il faut dix ans pour le maîtriser », explique Masunaga Makoto. Il utilise huit outils différents pour cette tâche méticuleuse toujours faite à la main.
« A la machine, on n’arrive pas à ce sentiment de rondeur, de douceur. Les lunettes, on les met au milieu de la figure, il faut absolument qu’elles soient équilibrées, et ça, on ne peut pas le numériser. Non, il faut une longue expérience, et du doigté. La différence entre deux paires qui ont le même design devient apparente une fois qu’on les porte. Si la tradition lunetière a continué ici, c’est parce que ici les artisans les fabriquent bien, sans économiser leur efforts. »
Le PDG actuel, son fils Shôji, qui a toujours vu son père au travail, a repris l’entreprise familiale et a lancé en 2000 la marque de la maison, AYUMI, qui fait appel à ce sens de l’artisanat.
« Quand on réfléchit à la raison pour laquelle les produits japonais sont bien faits, on se rend compte que c’est parce qu’ici, on en fait trop, en tout cas, plus que ce qui est demandé, en y consacrant plus de temps et plus d’efforts » explique Masunaga Shôji. Les lunettes AYUMI sont faites en celluloïd, un matériau naturel qui s’adapte à toutes les formes, et tous leurs composants sont passés au polissage par des artisans expérimentés, ce qui procure à celui qui les porte le sentiment qu’elles sont comme une seconde peau, et un éclat raffiné. « Notre objectif était de fabriquer un produit profondément authentique, sans reculer devant aucun effort, sans nous préoccuper de savoir s’il pouvait ou non être rentable. Je pense que leur beauté a une qualité analogique, qu’aucun procédé numérique ne peut atteindre, qui ne peut être produite qu’ici à Sabaé, une terre consacrée à la lunetterie. »
Un label pour les lunettes de Sabae
Afin de mettre en valeur la qualité des lunettes made in Sabae, une vingtaine de fabricants locaux se sont unis pour lancer depuis 2003 un label unique à la ville, THE291. En 2008, GLASS GALLERY 291, la boutique du Musée de la lunetterie de Sabaé a ouvert dans le quartier d’Aoyama à Tokyo. Elle présente les derniers modèles d’une vingtaine de fabricants, tandis qu’on trouve dans le musée de Sabaé ceux d’une quarantaine de fabricants. La ville attire d’ailleurs de plus en plus de visiteurs, venus non seulement du Japon, mais aussi du reste du monde.
Depuis quelques années se développent dans la ville des collaborations avec des marques de confection, dont certaines participent au Tokyo Girls Collection, un défilé de mode très populaire. La ville prend de nombreuses initiatives pour faire connaître son talent, notamment grâce à la vente en ligne de modèles de lunettes réalisées en coopération avec Rinka, un top-model très populaire au Japon.
Texte : Nogami Tomoko
Photos : Miyamae Sachiko
Population : 68 500 habitants (chiffres de juin 2019)
Température moyenne annuelle : 14,6 °C
Jumelage : Murakami, préfecture de Niigata (Sabae n’a pas de jumelage international)
Histoire de la lunetterie à Sabae
1905 | Masunaga Gozaemon introduit l’artisanat de la lunetterie à Sabae |
Epoque Meiji | Des groupes d’artisans appelés chôba (poste) organisent la production de lunettes de manière indépendante |
1914 | Les commandes militaires augmentent à cause de la Première Guerre mondiale |
1937 | Début de la production de monture en celluloïd (70 usines, 800 ouvriers, production annuelle de 130 000 douzaines |
vers 1980 | Une première mondiale : la production de lunettes en titane |
1983 | Création de la société Makoto |
1984 | Création de Boston Club |
Vers 2000 | La fabrication sous licence devient moins importante, à cause de la baisse des commandes |
2003 | Naissance de THE291, le label unique de Sabae |
2008 | Ouverture de GLASS GALLERY 291 dans le quartier d’Aoyama à Tokyo |