Ichikawa Ebizô XI : un acteur de kabuki prêt à tout pour sauver son art

Culture Tradition

En mai 2020, Ichikawa Ebizô XI aurait dû changer officiellement de nom de scène et prendre celui d’Ichikawa Danjurô XIII, en tant que descendant à la treizième génération d’Ichikawa Danjurô (1660-1704), le fondateur d’une des plus grandes lignées d’acteurs du kabuki. Mais la pandémie de Covid-19 en a décidé autrement. En bouleversant tous ses plans, elle l’a contraint à reconsidérer sérieusement l’avenir du théâtre kabuki, afin qu’il continue à vivre. Entretien avec ce comédien hors pair.

Ichikawa Ebizô XI ICHIKAWA Ebizo

Acteur de kabuki, de cinéma et de télévision. Né en 1977. Fils aîné de l’acteur Ichikawa Danjurô XII (1946-2013). A fait ses débuts sur scène en 1983, à l’âge de 5 ans, et pris le nom d’Ichikawa Ebizô XI en 2004. A organisé dès lors de nombreuses tournées à l’étranger pour faire connaître le théâtre traditionnel japonais aux jeunes générations. D’abord à Paris, Londres et Amsterdam (2004-2006). Puis à l’opéra Garnier de Paris avec « Le registre de souscriptions » (Kanjinchô) et « La chasse aux feuilles d’érable » (Momijigari, 2007). Ensuite à Monaco (2009) et Singapour (2016). A également présenté un projet intitulé Grand Japan Theater aux Emirats arabes unis et au Carnegie Hall de New York (2016). A organisé une tournée de l’Archipel intitulée « A la découverte des textes anciens » (Koten he izanai) pour mettre le kabuki à la portée des petites villes (2020). A tenu le rôle principal du film de Takashi Miike Hara-kiri : Mort d’un samourai (2011), présenté la même année au Festival de Cannes. Lauréat du Prix du meilleur acteur de l’Académie japonaise de cinéma pour son interprétation du maître de thé Sen no Rikyû dans « Posez donc la question à Rikyû ! » (Rikyû ni tazuneyô) de Tanaka Mitsutoshi (2011). Promu chevalier de l’Ordre des arts et lettres en 2007.

Pionnier malgré lui

« Je n’ai jamais eu la moindre intention d’être un pionnier », affirme sans hésiter Ichikawa Ebizô XI, la star du théâtre kabuki à la tête de la célèbre lignée d’acteurs dont il porte le nom.

Ichikawa Ebizô XI n’en a pas moins été contraint de chercher de nouvelles voies pour sortir son art de la crise qui le menace. « Le kabuki risque de disparaître si la situation actuelle se prolonge. Quand le nouveau théâtre Kabukiza de Tokyo a été inauguré en avril 2013 après avoir été entièrement reconstruit, on a cru que le kabuki était sauvé et son avenir assuré pour des centaines d’années. Le mot d’ordre était “Tout va bien”. Pourtant il a suffi que la pandémie du coronavirus fasse son apparition pour que cet art de la scène se trouve sur le point de sombrer, comme le Titanic. “Tout va bien”. Difficile de trouver une expression plus aberrante ! »

Un changement de nom remis à plus tard

2020 s’annonçait comme une année charnière dans la carrière d’Ebizô. Il devait prendre le nom d’Ichikawa Danjurô XIII au mois de mai. Trois mois de représentations spéciales étaient prévues au programme du Kabukiza de Tokyo pour célébrer le moment où il reprendrait à son compte le nom prestigieux porté par son père Ichikawa Danjurô XII (1946-2013). Le monde du kabuki s’apprêtait à entrer dans une période festive et les responsables du théâtre espéraient que les fans viendraient en masse assister aux spectacles.

Quand le Covid-19 a commencé à se répandre activement au Japon vers la fin du mois de février 2020, toutes les représentations de kabuki ont été annulées. Les cérémonies liées au changement de nom d’Ichikawa Ebizô ont elles aussi été ajournées et aucune nouvelle date n’a été indiquée depuis.

« En mai dernier, j’étais censé être plongé dans la préparation des célébrations qui devaient marquer mon changement de nom et travailler d’arrache-pied sur scène jusqu’à en verser “des larmes de sang” », déclare l’acteur. Or contre toute attente, il s’est retrouvé confiné chez lui en compagnie de ses deux enfants. « Sans le coronavirus, je n’aurais jamais pu leur consacrer autant de temps. J’en suis même arrivé à considérer que ce pouvait être une façon agréable de passer le reste l’année. » Mais Ichikawa Ebizô ne semble pas être du genre à rester oisif. Lorsque les activités du monde des sports et du spectacle ont été interrompues à cause de la pandémie, il a commencé à mettre sur pied une tournée pour donner des spectacles de kabuki aux quatre coins de l’Archipel.

Garder les feux de la rampe allumés en pleine épidémie

En dépit de l’annulation de ses engagements du début de l’été, Ichikawa Ebizô a continué à travailler à temps complet et à engranger des revenus conséquents grâce à ses apparitions au cinéma, à la télévision et dans les spots publicitaires. Mais rares sont ceux qui peuvent en dire autant dans le monde du kabuki. C’est pourquoi l’acteur a contacté par téléphone chacun de ses « disciples » (deshi), autrement dit ses doublures et les jeunes qui travaillent pour la famille Ichikawa. « Je leur ai demandé comment ils allaient. Certains m’ont dit qu’ils arrivaient à tenir le coup grâce aux aides d’urgence du gouvernement. Mais d’autres m’ont avoué que les choses étaient difficiles pour eux et que personne ne leur venait en aide. » Et d’autres encore se sont reconvertis en livreurs de Uber Eats pour arriver à s’en sortir...

Dans le théâtre kabuki il n’y a pas que les acteurs qui comptent. « Il faut aussi des musiciens, des éclairagistes, des machinistes, des accessoiristes, des habilleurs et des préposés aux perruques qui ont tous un rôle bien précis à jouer », ajoute Ichikawa Ebizô. « Et lorsqu’il n’y a pas de représentations, ils perdent le salaire qui leur permet de subsister. Pour que notre art de la scène continue à vivre, nous devons faire en sorte que tous ceux qui nous entourent puissent conserver un niveau de revenu décent. »

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