
David Peace : écrire des affaires criminelles dans un Japon occupé par les forces américaines
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Écrire sur de véritables affaires criminelles au Japon
En juillet 1949, le corps de Shimoyama Sadanori, le président de la Japanese National Railways (JNR), a été retrouvé près d’une voie ferrée du nord de Tokyo. Il avait été fauché par un train, mais il était difficile de savoir s’il s’agissait là d’un suicide ou d’un meurtre... Le jour précédent sa dernière apparition connue, Shimoyama avait annoncé le renvoi de dizaines de milliers de cheminots. Cette décision avait été déclenchée par les forces d’occupations américaines, qui souhaitaient réduire l’influence des syndicats et du parti communiste.
Les autorités sont réunies autour d’une voie ferrée de l’arrondissement d’Adachi, au nord de Tokyo, où le corps du président de la JNR, Shimoyama Sadanori, a été retrouvé en juillet 1949. (Kyôdô)
« Le parallèle le plus proche que je puisse établir avec cette situation est l’assassinat de Kennedy, qui a été l’objet d’indénombrables théories », déclare David Peace, dont le dernier roman, Tokyo, revisitée (2021, en français aux Éditions Payot & Rivages) se focalise sur le mystère aujourd’hui connu comme l’incident Shimoyama.
« On pensait à l’origine que les syndicalistes et les communistes, ainsi que les éléments rebelles du parti communiste et du mouvement syndical, avaient réussi à l’assassiner, et que ce crime avait ensuite été utilisé par les Américains et le gouvernement japonais afin de les réprimer davantage. »
Malgré les preuves non concluantes et l’absence de suspect, les théories ont foisonné autour de ce meurtre sur fond d’intrigues politiques. Ces dernières ont fait l’objet de nombreux essais tentant d’étudier leur véracité, avant de devenir des éléments narratifs dans des romans, des films et des mangas. David Peace donne pour exemple l’ouvrage « Brume noire sur le Japon » (Nihon no kuroi kiri), un essai historique de l’auteur de roman policier Matsumoto Seichô, paru en 1960, qui a popularisé l’idée que Shimoyama avait été assassiné dans le cadre d’une conspiration entre les Américains et la droite japonaise.
Peace s’empare de cette affaire complexe dans le troisième et dernier livre de sa trilogie de Tokyo, après s’être occupé de deux autres faits de l’occupation d’après-guerre. Tokyo année zéro (2008, éditions Payot & Rivages) s’inspire de la traque au tueur en série Kodaira Yoshio, déclaré coupable pour le meurtre d’au moins sept femmes entre 1945 et 46, et Tokyo ville occupée (2010, éditions Payot & Rivages) plante son décor en janvier 1948, autour de l’incident de Teigin. Dans cette affaire sordide, des banquiers avaient reçu l’ordre d’un visiteur, se présentant sous les traits d’un responsable de la santé publique, de boire un médicament qui était en réalité un poison.
Le rôle de l’occupation américaine
Peace vit à Tokyo depuis 1994, à l’exception de deux années, 2009 et 2011, lors desquelles il est retourné dans sa Grande-Bretagne natale. Il est tout d’abord venu au Japon par hasard, alors qu’il enseignait à Istanbul. Lorsque l’économie turque s’est effondrée, il a suivi la recommandation d’un de ses amis et est parti s’installer à Tokyo. Alors qu’il ne connaissait que très peu de choses du pays, il s’est pris de passion pour les fictions japonaises ainsi que pour les écrits sur Tokyo du célèbre traducteur et résident à longue durée de la capitale Edward Seidensticker.
Après avoir obtenu une certaine reconnaissance en tant que romancier avec un bon nombre de livres prenant place en Angleterre, et alors qu’il lisait et apprenait de plus en plus sur son nouveau pays, Peace a commencé à avoir l’envie d’écrire sur le Japon. C’est à l’occasion d’un rendez-vous avec Nagashima Shun’ichirô (un éditeur de la maison Bungei Shunjû) pour discuter d’une possible traduction en japonais de GB 84 que le romancier a esquissé l’idée d’une série qui se déroulerait à Tokyo. Nagashima lui a immédiatement offert son soutien ainsi qu’un accès complet aux archives de l’éditeur, et une assistance complète pour la traduction de documents historiques et d’autres matériaux.
Malgré la modernité superficielle autour de lui, Peace était conscient des destructions passées de la ville de Tokyo, tout d’abord lors du Grand tremblement de terre du Kantô de 1923, puis lors des bombardements de 1945. Le premier livre de la trilogie prend place pendant la dévastation de 1946. «Tokyo année zéro est précisément né d’une envie de faire preuve d’empathie avec ces survivants, qui ont fait de leur mieux pour se reconstruire, pour reconstruire leurs vies et leur ville », déclare Peace.
Une autre raison qui justifie ce choix de contexte historique est son influence considérable dans la formation du Japon contemporain. « L’occupation a eu lieu de 1945 à 1952 », dit-il. « C’est une période très courte dans l’histoire du pays, mais je pense qu’il est essentiel d’étudier les transformations qui ont lieu durant ces années pour comprendre le Japon d’aujourd’hui. La structure politique du pays s’est essentiellement formée à ce moment. » Cette période de privations et de contrôle externe est également le théâtre des environnements sur lesquels le livre se concentre.
« Prenons les meurtres en série de Kodaira Yoshio. Il n’aurait pas été capable d’attirer ses victimes vers une mort certaine s’il ne leur avait pas promis du travail et de la nourriture », commente Peace. « À l’époque de l’incident de la banque Teigin, les épidémies étaient fréquentes et les gens craignaient de souffrir de la typhoïde, et quand quelqu’un portait un brassard des forces d’occupation américaine, ils étaient forcés de lui obéir. »
Concernant l’incident Shimayama, Peace fait cette observation : « Il avait dû renvoyer des dizaines de milliers d’hommes à causes des directives du quartier général. »
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