Kouda Riri : la reine du « cinéma rose » embrase le monde du strip-tease japonais
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Apparu après la Seconde Guerre mondiale, le strip-tease japonais s’est développé en générant une culture spécifique à part entière, au point d’être apprécié et reconnu par de grandes figures d’artistes, tel l’écrivain Nagai Kafû dans ses dernières années. En 1975, 305 salles de spectacles de strip-tease étaient recensées (Livre blanc de la police), mais elles ont toutes fermé les unes après les autres, de Hokkaidô au nord à Okinawa au sud. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 20, dont 5 à Tokyo.
En tournée dans tout le pays
Nous avons rencontré Kouda Riri, aussi appelée LiLee, l’une des danseuses les plus demandées, qui n’a quasiment jamais cessé de tourner dans toutes ces petites salles de moins en moins nombreuses. L’industrie du strip-tease ne connaît qu’un jour de relâche par an : le 31 décembre, veille du jour de l’An. Dès le 1er janvier, l’année repart. Dans tout le pays, les programmations sont arrêtées sur une base de 10 jours par spectacle. Avec des variations selon les salles, le spectacle est généralement donné 4 fois par jour, matinées à partir de 11 heures du matin, et les soirées se finissent autour de minuit. Les horaires sont donc assez lourds. Depuis novembre dernier, LiLee est toujours quelque part sur la brèche, dans une région ou une autre.
« Je n’arrête pas, ces temps-ci ! Vous terminez à minuit quelque part, et il n’est pas rare que vous soyez dans l’avion le lendemain à la première heure pour assurer la matinale à l’autre bout du pays. Enfin, d’un autre côté, une séance, ce sont 5 ou 6 danseuses qui se succèdent l’une après l’autre, alors c’est 30 minutes chacune et 2 heures sans rien à faire. Sauf à Asakusa. Là, c’est différent : depuis toujours, ils sont restés fidèles à la forme “revue” à l’ancienne, avec des rôles, un chorégraphe, un metteur en scène, c’est du vrai théâtre. Quand la journée se termine, vous êtes épuisée. »
Ce que LiLee appelle « Asakusa », c’est le Rock-za, dans le quartier d’Asakusa à Tokyo. Le théâtre a ouvert en août 1947, deux ans après la fin de la guerre. C’est le plus ancien théâtre de strip-tease encore en activité du pays. Une grande salle de 129 fauteuils, un plafond très haut, pour un spectacle de revue de 90 minutes, une ambiance bon-enfant qui rend facile aux femmes comme aux débutants de pousser la porte. Les artistes, au contraire, n’ont pas une minute de pause car les apparitions se succèdent en fonction des rôles dans la revue, à 5 représentations par jour pendant 20 jours.
« Les spectatrices sont de plus en plus nombreuses depuis quelques années. Certaines ont vu leur premier spectacle à Asakusa, et ont tellement aimé qu’elles deviennent fans d’une danseuse qu’elles se mettent à suivre dans d’autres théâtres. Et chaque théâtre à son charme. Les petits ont de plus beaux éclairages, par exemple, et on danse en mettant en valeur tel ou tel aspect dans chaque théâtre. »
Tour pour les yeux du spectateur
Chaque danseuse a sa technique. LiLee, pour sa part et sauf à Asakusa, assure tout elle-même : la chorégraphie, la mise en scène, le choix des musiques. Son répertoire s’étend à une cinquantaine de spectacles.
« Au début, j’ai demandé à un chorégraphe, mais à partir du troisième spectacle j’ai tout monté moi-même. Je ne fais aucune mise au point en studio, parce que si j’essaie de mémoriser la chorégraphie, j’en deviens prisonnière et ça perd sa spontanéité. Ce n’est plus alors l’image que je voulais transmettre qui passe, c’est l’effort vers la perfection... Depuis que je fais mes chorégraphies moi-même, je pense que les spectateurs m’acceptent et apprécient. Et même des titres qui ne passaient pas bien au début finissent par convaincre au bout de quelques années, les fans me disent que c’est bien, c’est réussi. Un spectacle sur une chorégraphie d’un grand professionnel, c’est parfait dès la première représentation, mais mes chorégraphies à moi, elles s’améliorent avec le temps. »
Certains morceaux sont dansés entièrement debout, d’autres entièrement assis, la mise en scène joue sur la variation des angles. Pour la danseuse, la performance permet de jouer sur les différents registres.
« En principe, la danseuse se place sous l’angle sous lequel elle est la plus jolie, mais je peux prendre aussi des poses plus agressives ou décalées. J’exprime des émotions avec mon corps. Et quand j’essaie des choses nouvelles, parfois les spectateurs ont du mal à avaler leur salive ! (rires) »
Dans le strip-tease, le système est que le spectateur peut entrer quand il veut, et rester autant de temps qu’il veut. LiLee fait varier sa performance de l’une à l’autre en fonction des spectateurs qui restent pour voir jusqu’à trois représentations par jour. Puis, dix jours plus tard, quand elle change de théâtre, elle réadapte son show à la nouvelle scène, en fonction de l’éclairage, de la présence ou pas de rideaux, la taille de la scène, la longueur de la passerelle. Parce que son sens artistique y trouve son accomplissement, bien sûr, mais surtout par attention pour les spectateurs, par esprit de service et professionnalisme.
« Je crée mes programmes de façon à ce que les spectateurs qui me font l’honneur de venir me voir y trouve le sentiment d’assister à quelque chose qui possède une valeur qu’ils ne trouveront nulle part ailleurs. Je m’exprime moi-même, mais je cherche aussi à répondre à l’attente du spectateur, ce qui exige concentration et attention à sa réaction. Je me demande à chaque fois si ce que je fais est bien ou pas... Cela ne fait que cinq ans que je suis strip-teaseuse après tout, même si j’ai une déjà longue expérience dans les arts du spectacle ! »
Du X au cinéma rose
En effet, si LiLee a commencé une carrière de strip-teaseuse au Shinjuku New Art en 2015, elle est dans le show-business depuis plus de vingt ans. Elle était employée de bureau quand elle a tourné une vidéo pour adulte pour se faire un peu d’argent de poche.
« À l’époque, après des études universitaires courtes, j’avais trouvé un emploi d’employée de bureau, mais mon salaire se trouvait ponctionné de tous les côtés, ce qui fait qu’au bout du compte il ne me restait pas grand-chose. Au début, la vidéo pour adulte, pour moi, ce n’était qu’un travail temporaire. Je l’ai fait sans stress et sans culpabilité. Je me prêtais au jeu à hauteur de ce que je gagnais, pas plus pas moins. Seulement, je refusais d’apparaître dans des publicités ou des magazines, pour que mon entourage ne me reconnaisse pas. »
Néanmoins au bout de cinq ans, elle fut convoquée par le responsable du personnel de son entreprise : son activité secrète avait été découverte. LiLee croyait se faire licencier avec perte et fracas, mais elle s’entendit plutôt dire d’arrêter de tourner dans des vidéos pornographiques.
« Certains employés mâles de la boîte avaient vu mes vidéos (rires), et commençaient à faire circuler des rumeurs. Mais comme je travaillais bien, on m’a dit que ça serait gênant si je démissionnais. En tout cas, c’est à ce moment que j’ai décidé de me concentrer sur ma carrière d’actrice, parce que la conscience que j’avais de ma position par rapport à la caméra avait évolué. Je me demandais : pourquoi les adultes recherchent-ils aussi sérieusement des émotions érotiques ? Voir les choses de cette manière a rendu ce milieu très amusant pour moi, en fait... »
Cela, c’était en 2005. Elle prit alors le nom de Kouda Riri et fut vite sollicitée pour tourner dans le pink eiga ou cinéma rose, des films érotiques soft indépendants dont certains sont renommés pour leur valeur cinématographique. À l’apogée du genre, on dit que plus de 200 films étaient réalisés chaque année. Cependant, la mode s’est tarie et de nos jours moins d’une quarantaine de films de ce type sont produits chaque année. Ce ne l’a pas empêchée de tourner dans plus de 120 films et d’être appelée « la reine du pink eiga ».
« J’acceptais tous les rôles du moment que mon nom serait mentionné au générique. Je n’ai jamais étudié la scène, j’ai grimpé les échelons en commençant tout en bas. Mais j’aime jouer, j’aime le cinéma et je m’amuse sur les plateaux. »
De nos jours, le pink eiga est passé au numérique, mais 99 des films de LiLee sont de vrais films de cinéma, et elle est fière d’appartenir à la dernière génération d’actrices qui a connu les tournages à l’ancienne.
« Il n’y a pas de deuxième prise dans le pink eiga. C’est comme au théâtre, pas le droit à l’erreur. Vous devez être bonne tout de suite. Et cela a été une bonne expérience. »
Sa fierté : ses 20 ans de carrière
Depuis que Kouda Riri s’est lancée dans le strip-tease, il lui arrive même de refuser des offres pour des films par souci d’un calendrier déjà bien rempli. C’est le dilemme des danseuses : les engagements sont pour 10 jours minimum non stop.
« Ce n’est pas que je donne la priorité au strip-tease. Je me considère essentiellement comme une actrice, et je n’ai aucune intention de commencer une nouvelle carrière. Parce que si je danse maintenant depuis 5 ans, j’ai toujours 20 ans d’expérience comme actrice. Le strip, je n’en ferai pas si je n’aimais pas ça. Le strip, dès que vous avez une musique et un habit, il ne reste qu’à utiliser son corps et c’est parti. C’est cet aspect qui m’intéresse. Alors que pour un film, il ne se passe rien si vous n’avez pas le metteur en scène, le scénariste, les acteurs, et tout un tas de personnel ! »
LiLee n’appartient à aucune agence, elle assure elle-même son management. Toujours au four et au moulin, mais au moins, elle est totalement libre de ses choix.
« Mais je ne reçois pas de propositions que je ne veux pas faire, et si les calendriers correspondent je ne laisse pas filer une proposition par convenance de l’agence. Je suis du genre à laisser ma vie suivre son destin comme une feuille suit le courant du fleuve. Parfois je me laisse emporter par une tendance du moment, parfois non. Je me sens tout à fait libre. Et les surprises du destin sont parfois intéressantes… »
L’idéal de tout un chacun serait bien sûr de faire ce qu’il veut de sa vie, sans être obligé de se le faire dire. Mais ce n’est pas si facile. La philosophie de vie que Kouda Riri s’est construite petit à petit sans en avoir conscience depuis l’époque où elle était employée de bureau consiste à accepter la réalité pour ce qu’elle est, et toujours faire ce qu’il faut faire au mieux de ses capacités. C’est là qu’elle s’est construite un royaume de liberté.
« Mon projet n’a jamais été de devenir célèbre dans l’univers de la vidéo adulte, avec le rêve de passer un jour à la télé. C’est peut-être parce que je n’ai jamais poursuivi ce genre de rêve que je suis encore debout aujourd’hui. Je pense que dans n’importe quelle profession, si vous voulez durer, l’important est de se faire une idée claire et réaliste de ce qu’on attend de vous sur l’instant. »
L’art de se mettre à nu
Pour terminer, nous avons posé une question essentielle à LiLee : qu’est-ce que c’est que la nudité pour elle ?
« Quand une actrice célèbre tourne une scène de nu dans un film, on dit qu’elle a “mis son corps en jeu” ou ce genre d’expressions, et tout le monde scrute ça comme une performance exceptionnelle. Mais mettre son corps en jeu, qu’est-ce que c’est sinon la définition même du jeu d’acteur ? Se déshabiller, ce n’est rien d’autre que se déshabiller, quand retirer ses vêtements a un sens. Vous croyez que le strip-tease c’est juste danser et tomber la robe en souriant comme une greluche ? C’est parce qu’il y a quelque chose à dévoiler que chaque mouvement trouve sa justification, et parce que je suis nue le sens touche directement le spectateur. »
« Bien sûr, la plupart des danseuses recherchent surtout la plus belle pose nue. Personnellement, je ne suis pas une psychorigide de la beauté. Une pose moche, du moment que vous n’avez que votre corps pour l’exprimer, pourquoi pas ? Nue, campée agressivement sur mes deux jambes, et qu’une émotion monte et se transmette, voilà, c’est ça ! “J’ai vu le show de LiLee, ça m’a donné la pêche !” ou bien “Ça donne de la force !”, c’est ce commentaire que je cherche. Avec une sensation érotique par-dessus le marché, pour moi, c’est parfait (rires) ! »
(Interview et texte : Matsumoto Takuya, de Nippon.com. Photos : Hanai Tomoko. Photo de bannière : Kouda Riri au théâtre Hiroshima Daiichi, 8 février 2019, Naka-ku, Hiroshima © Hanai Tomoko)