La peinture japonaise classique « nihonga » : un style artistique à l’honneur au musée Yamatane

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Nous avons rencontré Yamazaki Taeko, directrice du principal musée de Tokyo consacré au nihonga, un style de peinture japonaise. Elle a évoqué pour nous différentes initiatives mises en place pour faire connaître cette forme d’art encore souvent méconnue à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de l’Archipel.

Yamazaki Taeko YAMAZAKI Taeko

Présidente de la Fondation artistique Yamatane, et également directrice du Musée d’art Yamatane depuis 2007. Elle obtient son diplôme à la faculté d’économie de l’université Keiô puis poursuit avec un doctorat à l’Université des arts de Tokyo. Elle publie, entre autres, une étude complète, compilée dans un livre, sur l’art de Hayami Gyoshû.

Le spectacle mystérieusement captivant d’une colonne de flamme surgissant des ténèbres, attirant des papillons de nuit dansants vers sa lumière. Il s’agit de Enbu (Danse des flammes), l’une des œuvres les plus connues de Hayami Gyoshû (1894-1935), peintre de nihonga actif dans les premières décennies du XXe siècle. Aujourd’hui, ce tableau est l’une des pièces maîtresses de la collection du Musée d’art Yamatane (dans le quartier de Hiroo, à Tokyo). Unique en son genre, ce musée est spécialisé dans les chefs-d'œuvre de la peinture nihonga depuis l’ère Meiji (1868-1912) jusqu’à nos jours. 120 tableaux de Hayami Gyoshû y sont notamment exposés. Artiste extrêmement prolifique, il mourra emporté par la fièvre typhoïde à l’âge de 40 ans.

Le premier directeur du musée Yamatane a été Yamazaki Taneji (1893-1983), fondateur de Yamatane Securities, devenu SMBC Nikkô Securities. Aujourd’hui, c’est sa petite-fille, Taeko, qui a pris la relève.

Les origines d’une collection unique

Le Japon compte de nombreux musées, dont les collections se sont constituées grâce à des particuliers ou à leur fondateur, souvent des personnages importants de l’industrie. On peut citer à titre d’exemple le Musée des arts Idemitsu, le musée commémoratif Mitsui, le musée Nezu ou encore le musée d’art Suntory. Toutefois, le Musée d’art Yamatane, lui, se détache des autres musées. Quelle est donc sa particularité ?

« Tout d’abord, c’est le premier musée au Japon spécialisé dans les peintures nihonga. La majeure partie de notre collection est constituée d'œuvres datant, pour les plus anciennes, de l’ère Meiji. Notre musée compte un peu plus de 1 800 pièces, ce qui est relativement peu pour une collection de musée. Mais ce qui fait l’une de nos forces, c’est que tous les artistes sont représentés par leurs œuvres les plus connues. Au début de sa carrière de collectionneur, mon grand-père a fait une expérience plutôt amère. Il a acheté un tableau qu’il pensait être peint par Sakai Hôitsu, un peintre de la période Edo (1603-1868), mais il a découvert qu’il s’agissait en fait d’une copie. Cette expérience l’a un peu marqué et l’a dissuadé d’acheter des peintures plus anciennes. Il a donc décidé de se concentrer sur l’acquisition d'œuvres d’artistes contemporains avec lesquels il pouvait nouer des liens personnels. De cette façon, pensait-il, il était sûr de l’authenticité des œuvres d’art qu’il acquérait. “Un tableau est le miroir de l’humanité de son auteur”, se plaisait-il à dire. Il est devenu proche de nombreux artistes tels que Yokoyama Taikan, Kawai Gyokudô, Uemura Shôen, Okumura Togyû et Higashiyama Kaii, dont nous exposons les chefs-d’œuvre. »

Enbu ou Danse des flammes, le tableau le plus connu de Hayami Gyoshū (1925) (couleur sur soie, Musée d’art Yamatane. Désigné bien culturel important).
Enbu ou « Danse des flammes », le tableau le plus connu de Hayami Gyoshû (1925) (couleur sur soie, Musée d’art Yamatane. Désigné Bien culturel important).

Ces artistes ayant noué des liens forts avec Yamazaki Taneji avaient à cœur de lui confier leurs œuvres. C’est ce qui lui a permis de constituer une collection des plus belles œuvres des meilleurs artistes contemporains. « En général, mon grand-père ne demandait jamais aux artistes de peindre une œuvre sur un sujet qu’il avait lui-même choisi. Mais il y a tout de même eu quelques exceptions à cette règle. Lorsqu’il a vu la peinture de Higashiyama Kaii, Asaake no ushio (« Marée à l’aube »), commandée pour le nouveau Palais impérial qui fut achevé en 1968, il tomba littéralement sous le charme. Il demanda à l’artiste de peindre un autre tableau similaire qui pourrait être exposé à la vue de tous. L’artiste s’exécuta et peignit Michikuru ushio (« Marée montante »), une peinture gigantesque de 9 mètres de largeur et 2,1 mètres de hauteur. Il a également commandé des œuvres à d’autres artistes tels que Yasuda Yukihiko, Yamaguchi Hôshun, Uemura Shôkô, Sugiyama Yasushi et Hashimoto Meiji. Il souhaitait des œuvres similaires à celles qu’ils avaient réalisées pour le nouveau complexe du palais. Ces peintures uniques sont une autre particularité de notre collection », explique Yamazaki Taeko.

Lorsque Yamazaki Taneji a commencé à constituer sérieusement sa collection, Hayami Gyoshû était déjà décédé. Ce dernier est l’un des rares artistes représentés dans la collection à n’avoir aucun lien direct avec le fondateur du musée. En fait, c’est le deuxième directeur du musée, Yamazaki Tomiji, qui a vendu les biens et les titres de la Fondation artistique Yamazaki et a utilisé l’argent rapporté par la vente pour acquérir la collection Ataka, un ensemble important d'œuvres de l’artiste. Cette acquisition vaudra au musée le surnom de « Musée Gyoshû ».

Les expériences formatrices vous rendent plus fort

« Pour mon grand-père, l’art tenait une place importante dans la vie quotidienne. Dans l’alcôve tokonoma et dans les pièces de style japonais de la maison, il se plaisait à accrocher des rouleaux suspendus de nihonga, qu’il changeait au gré des saisons. Il réservait les peintures à l’huile pour les pièces de style occidental. Enfant, j’adorais m’asseoir sur ses genoux et admirer les peintures du tokonoma. Lorsqu’il me disait “Dis-moi ce que tu veux et je te le donne”, je lui demandais du papier et je passais mon temps à dessiner », se remémore Yamazaki Taeko.

Si Yamazaki Taeko a toujours aimé la peinture, elle confie ne jamais avoir aspiré à devenir elle-même artiste. À l’université, elle choisira d’étudier la finance internationale, souhaitant plus tard rejoindre Yamatane Securities. Mais à cette époque-là, il n’y avait pas de législation sur l’égalité des chances hommes-femmes en matière d’emploi. Il était donc difficile pour des femmes ayant obtenu leur diplôme après quatre ans d’étude à l’université de trouver des postes intéressants dans de grandes entreprises. « J’ai donc pris la décision de travailler dans le domaine artistique. J’ai commencé à étudier sérieusement et j’ai été admise à l’école supérieure de l’Université des arts de Tokyo ».

Pendant ses études, Yamazaki Taeko a eu une chance inouïe : un conseil de la part de Hirayama Ikuo, célèbre peintre de nihonga. Il enseignait à l’université où Taeko était étudiante. Il est devenu plus tard son doyen. Il lui a donné un conseil très précieux : « Puisque vous étudiez dans une école d’art, vous devriez en profiter pour étudier les techniques de peinture et apprendre à peindre vous-même des tableaux nihonga. Cela vous aidera à devenir une chercheuse et une conservatrice qui aura une meilleure compréhension des artistes ».

C’est ainsi que Yamazaki Taeko commença à étudier la peinture en même temps que l’histoire de l’art. « Je me souviens des heures passées à copier certaines peintures murales du temple Hôryû-ji. Je suivais les instructions du professeur Hirayama et de ses assistants, un souvenir merveilleux. Je ne pourrais pas faire le travail que je fais aujourd’hui sans les connaissances que j’ai acquises à l’époque sur les techniques et les matériaux utilisés dans la peinture nihonga » explique Yamazaki Taeko.

La dernière année de ses études supérieures, Yamazaki Taeko fait une grave chute. Pessimistes, les médecins pensent qu’elle ne retrouvera peut-être jamais l’usage complet de ses jambes. Pendant son séjour à l’hôpital, elle reçoit une carte postale de son mentor, le professeur Hirayama. « La vie d’une personne est comme les anneaux de croissance d’un arbre : des périodes de difficultés comme celle-ci peuvent se transformer en expériences formatrices qui vous rendront plus fort. Soyez forte ! » De ses propres mots, ce message d’encouragement aidera Yamazaki Taeko à surmonter sa période de deux ans avec des béquilles.

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