Le pianiste Tateno Izumi, un virtuose jouant uniquement de la main gauche

Musique Culture

En 2002, le grand pianiste Tateno Izumi perd l’usage de son côté droit suite à une hémorragie cérébrale en plein récital en Finlande. Deux ans plus tard, il a toutefois recommencé à donner des concerts en jouant uniquement de la main gauche, grâce en partie à l’amour de ses fans. Ce musicien hors pair nous a accordé un entretien exclusif où il évoque son incroyable parcours, contre vents et marées.

Tateno Izumi TATENO Izumi

Pianiste. Né le 10 novembre 1936 à Tokyo. En 1960, il sort diplômé de l’Université des Beaux-arts de Tokyo. En 1964, il s’installe à Helsinki, en Finlande. En 1968, il remporte le second prix du Concours international Olivier Messiaen (concours de piano contemporain). En 1976, le gouvernement finlandais le décore de l’Ordre du Lion de Finlande avec le grade de Chevalier de preimière classe. En 2002, il est victime en plein concert d’une hémorragie cérébrale qui le laisse en partie paralysé du côté droit. En 2004, il reprend sa carrière de pianiste en jouant uniquement de la main gauche. En mai 2019, il a publié un ouvrage intitulé Tateno Izumi Photo Story (éditions Kyûryûdô), en collaboration avec le photographe coréen Peso. Au cours de sa brillante carrière de pianiste, qui a duré quelque soixante ans, il a donné plus de 3 500 concerts à travers le monde et enregistré une centaine de disques.

Comment jouer avec une seule main

Après son AVC, Tateno Izumi a fait de la rééducation pendant un certain temps, mais il a vite compris qu’il ne retrouverait jamais l’usage complet de sa main droite. Il savait qu’il existait des œuvres pour la main gauche, notamment le fameux concerto pour piano et orchestre que Maurice Ravel (1875-1937) a écrit au début des années 1930 pour le pianiste Paul Wittgenstein (1887-1961), amputé du bras droit au cours de la Première Guerre mondiale. Il avait même déjà interprété cette œuvre. Mais pour lui, le répertoire pour la main gauche était trop limité pour servir de base à une carrière de concertiste. « Quand j’y pense maintenant, je crois que j’attendais qu’il se passe quelque chose, une nouvelle opportunité », avoue-t-il.

Le 10 novembre 2013, Tateno Izumi a donné un concert au Tokyo Opera City Concert Hall, dans le cadre du “Festival Izumi Tateno” organisé à l’occasion de son 77e anniversaire. (Jiji Press)
Le 10 novembre 2013, Tateno Izumi a donné un concert au Tokyo Opera City Concert Hall, dans le cadre du Festival Izumi Tateno organisé à l’occasion de son 77e anniversaire. (Jiji Press)

L’occasion s’est présentée en la personne de son fils aîné, le violoniste Janne Tateno. Un jour, celui-ci a laissé une partition bien en évidence chez son père pour être sûr qu’il la voie. Il s’agissait des Three Improvisations for the Left Hand (« Trois improvisations pour la main gauche ») composées en 1918 par Frank Bridge (1879-1941) pour le pianiste anglais Douglas Fox (1893-1978) qui a lui aussi perdu son bras droit durant la Première Guerre mondiale.

« Je me suis dit pour la première fois “voilà le genre de musique qu’il me faut”. Et j’ai aussi réalisé qu’il est possible de s’exprimer pleinement au piano uniquement avec la main gauche. »

Deux jours plus tard, Tateno Izumi a chargé le compositeur Mamiya Michio d’écrire un morceau qui serve de thème à sa tournée de concerts de retour dans l’Archipel. C’est ainsi qu’est né Kaze no shirushi – Offertorium (« La marque du vent – Offertoire »), une œuvre en cinq parties inspirée par les mythes sur le dieu du vent des indiens Navajo. Pour la première fois, un compositeur japonais se lançait dans l’écriture d’une pièce pour instrument à clavier jouée uniquement avec la main gauche. Ce qui du point de vue technique pose beaucoup de problèmes. Mamiya Michio n’a terminé que quelques jours avant le début de la tournée si bien que M. Tateno n’a eu que très peu de temps pour s’entrainer. Quoi qu’il en soit, ses concerts ont été une grande réussite et c’est ainsi que sa carrière a pris un nouveau départ.

Pour étoffer le répertoire du piano pour la main gauche, Tateno Izumi a commandé des œuvres à des compositeurs non seulement japonais mais aussi d’autres pays du monde. « Au début, beaucoup hésitaient à se lancer dans une pareille aventure, mais les choses ont changé. Maintenant, on écrit des morceaux pour moi sans que j’aie rien demandé. » Contrairement au piano à deux mains qui a été très largement exploré, celui pour la main gauche offre encore quantité de possibilités. « A ce jour, j’ai réuni plus de cent œuvres originales de compositeurs de dix pays différents. Et le Japon est à l’avant-garde dans ce domaine de la musique encore peu connu dans le monde. »

Plusieurs de ces créations, à commencer par « Visions de Tapiola » (Tapiola maboroshi opus 92) de Yoshimatsu Takashi (né en 1953) font à présent partie intégrante du répertoire de Tateno Izumi.

« Quand je joue une œuvre des dizaines de fois, il se produit une sorte d’osmose entre elle et moi et je peaufine peu à peu ma façon de l’interpréter. Explorer un morceau de musique tout en l’interprétant devant le public a quelque chose de gratifiant. »

Quand il joue d’une seule main, Tateno Izumi ne donne pas la moindre impression de frustration ou de faiblesse. « À partir du moment où je me suis remis à jouer du piano, je n’ai éprouvé rien que du bonheur. Je ne me suis jamais senti handicapé parce que je ne me sers que de ma main gauche. » Ce n’est que très récemment que le pianiste a pris conscience des difficultés techniques posées par les œuvres pour la main gauche. « C’est parce que le répertoire a évolué. Les œuvres sont de plus en plus difficiles mais aussi d’autant plus intéressantes à interpréter !

Tateno consacre aussi du temps aux jeunes pianistes atteints par des maladies neurologiques de type dystonie, autrement dit « la crampe du musicien » qui affecte leur main et leur poignet droit. En novembre 2018, il a organisé une audition spéciale pour eux à Kanazawa, dans la préfecture d’Ishikawa. Les deux lauréats ont joué lors de la fête de la musique de Kanazawa, en mai 2019. Et une nouvelle audition de jeunes pianistes dystoniques vient d’avoir lieu au mois de novembre.

Suite > Une interprétation à trois mains avec l’impératrice Michiko

Tags

artiste musique handicap

Autres articles de ce dossier