Kadono Eiko : l’imagination débordante de l’auteure de « Kiki la petite sorcière »

Manga/BD Anime

« Je pense que nous avons tous au moins un pouvoir magique » dit Kadono Eiko, un brin de malice dans le regard. Si elle a soufflé ses 88 bougies (en 2023), l’auteure de Kiki la petite sorcière et autres nombreux classiques de la littérature pour enfants n’a rien perdu de sa curiosité et de sa fascination pour le monde, qui l’ont guidée et soutenue tout au long de ses 50 ans de carrière. C’est chez elle à Kamakura que nous l’avons rencontrée. Elle évoque pour nous son appétit pour la vie et quelques-uns des secrets de son imagination sans limites.

Comment l’imagination mène à la création

« Ce sont vos émotions qui nourrissent votre magie », explique Kadono Eiko. « Dans la vie, vous trouvez des choses qui suscitent votre intérêt. Des fleurs, des graines, ce peut être n’importe quoi. Il faut attacher de l’importance à cet intérêt et apprécier le sentiment d’excitation procuré par cette découverte. C’est ce sens de la curiosité qui contient les graines de votre propre pouvoir magique. Attention : vous devrez l’entretenir et en prendre soin. »

« Cette magie née de la curiosité et de l’excitation peut vous donner de la force dans la vie, dit-elle. Vous devenez bon dans les choses que vous aimez. Vous ne pourrez jamais vraiment mettre tout votre cœur dans quelque chose si vous n’y prenez pas plaisir. »

Bien sûr, il ne s’agit pas de vivre toute sa vie sans tenir compte des êtres et des choses qui vous entourent, mais simplement copier les autres n’est pas la bonne façon de faire non plus. Il est important de voir et de penser par soi-même, de faire ses propres choix et d’en prendre les responsabilités. Pour Kadono Eiko, l’imagination façonne en grande partie la vie de chacun.

« Comparez une personne à un arbre. L’imagination est la nourriture dont l’arbre a besoin pour l’aider à grandir et à devenir fort. Notre imagination est pour nous une source d’inspiration. L’imagination et l’excitation ont le pouvoir d’animer nos cœurs et nos esprits. Et lorsque nous sommes émus, c’est là que l’imagination devient créativité. L’imagination est également utile lors de la communication avec des personnes de langues ou d’horizons culturels différents.  »

« Il n’est jamais trop tard pour trouver quelque chose qui vous intéresse vraiment. »
« Il n’est jamais trop tard pour trouver quelque chose qui vous intéresse vraiment. »

Certaines répliques dans Kiki la petite sorcière semblent contenir des messages provenant directement de l’auteure. Par exemple, à un moment donné, la mère de Kiki lui dit : « Ne pense pas que tu crées des choses comme si c’était toi qui faisais tout le travail toute seule. Tu ne fais jamais vraiment rien par toi-même, tu sais. »

« Les gens pensent souvent qu’ils ont fait quelque chose sans l’aide de personne, qu’ils l’ont réalisé eux-mêmes, mais ce n’est pas totalement vrai », explique-t-elle.  « Autrefois, par exemple, la seule façon dont les gens pouvaient transporter de l’eau était d’utiliser des feuilles et ses mains pour la récupérer. Mais si vous devez apporter de l’eau à un enfant malade, il vous faudra alors chercher une meilleure façon pour transporter plus d’eau et sans la renverser. »

« C’est ce besoin qui est à l’origine de l’étincelle imaginative qui a conduit à l’invention de différents types de récipients et de tasses. Il en va de même pour les appareils électroniques et les technologies de l’information à portée de main aujourd’hui ; ils sont également le résultat de l’inspiration que nous avons eue du monde invisible de l’imagination. »

« Moi qui ai vécu à l’époque où il fallait cuire le riz dans des fours à bois, je comprends d’où viennent tous les rêves à l’origine de l’invention des cuiseurs de riz électriques que nous utilisons aujourd’hui », dit-elle.

« Vous ne pouvez porter de l'eau à un enfant malade en la recueillant au creux de vos mains. »
« Vous ne pouvez pas porter de l’eau à un enfant malade rien qu’en la recueillant au creux de vos mains. »

Souvenirs d’enfance : Les Misérables

Kadono Eiko est née en 1935 à Fukagawa au cœur du vieux shitamachi, littéralement la « ville basse » le long des rivières à l’est de Tokyo. Elle a été évacuée vers la préfecture de Yamagata pendant la guerre. Après la disparition de sa mère, Kadono Eiko a su trouver refuge dans les livres, y voyant un moyen d’atténuer sa solitude et sa douleur.

Elle se souvient s’être assise comme ensorcelée sur les genoux de son père. « Vous savez, il adorait Les Misérables, une histoire qui la fascinait depuis son enfance. Il me mettait sur ses genoux et me racontait les histoires de Jean Valjean. Il donnait vie à l’histoire en jouant les rôles de chacun. Je me souviens qu’il utilisait beaucoup d’onomatopées. Je pense que cela donnait des histoires assez différentes de l’œuvre initiale mais je prenais beaucoup de plaisir à l’écouter. »

Au café House of Flavors, niché dans les collines qui dominent la ville de Kamakura
Au café House of Flavors, niché dans les collines qui dominent la ville de Kamakura

L’utilisation récurrente d’onomatopées est justement l’une des caractéristiques de l’écriture de Kadono Eiko. Pour elle, la richesse des expressions onomatopéiques en japonais s’explique par l’ouverture de la langue aux sons de la nature et de la vie quotidienne.

« Jusqu’à il y a peu encore, les maisons japonaises traditionnelles étaient structurées autour d’imposantes colonnes. Il y avait un toit, avec une grande entrée principale et des fenêtres, puis des portes coulissantes qui reliaient les pièces à l’intérieur. Ainsi lorsque vous vous réveilliez le matin et que vous ouvriez toutes les portes, soudain la barrière entre le monde naturel à l’extérieur et l’intérieur de la maison disparaissait. Je pense que cela explique peut-être pourquoi la langue japonaise est si sensible au gazouillement des oiseaux, à la pluie et à tous les autres bruits de la vie quotidienne. »

Partir à l’étranger

Kadono Eiko avait dix ans  à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après son entrée au collège, ce fut la rencontre avec une nouvelle langue, l’anglais, jusque-là considérée comme la langue ennemie. Elle se souvient avoir été frappée par le temps du présent continu en be + -ing. « Je me suis dit que c’était en effet une magnifique façon de voir la vie. Et justement, c’est comme cela que j’ai décidé de la vivre : présent continu et carpe diem. »

« Ce café, on dirait un peu une navette spatiale, vous ne trouvez pas ? » dit Kadono Eiko
« Ce café, on dirait un peu une navette spatiale, vous ne trouvez pas ? » dit Kadono Eiko

Son diplôme de littérature anglaise en poche, elle intègre une maison d’édition et se marie à l’âge de 23 ans. L’année suivante, elle quitte tout et décide de partir pour le Brésil avec son mari, décorateur d’intérieur. À cette époque, le voyage par bateau prenait deux mois. Elle se souvient avoir regardé chaque jour qui passait l’étendue infinie de l’océan et du ciel et la mince ligne d’horizon qui les distinguait. « Mon cœur battait la chamade, comme si j’allais ouvrir un cadeau. »

1959 : Kadono Eiko depuis la fenêtre de son appartement au Brésil (609 Rua Guaianases, São Paulo) où elle habite avec son mari.
1959 : Kadono Eiko depuis la fenêtre de son appartement au Brésil (609 Rua Guaianases, São Paulo) où elle habite avec son mari. (Photo avec l’aimable autorisation du bureau de Kadono Eiko)

Quelle ne fut pas la déception de Kadono Eiko lorsqu’elle constata à son arrivée que son anglais était parfaitement inutile au Brésil. Loin de se laisser abattre, elle commença à apprendre le portugais avec un jeune garçon de 12 ans qui vivait dans le même bâtiment, essayant de saisir les rythmes de la langue à la manière d’un morceau de samba, alors qu’ils exploraient la ville ensemble. Kadono Eiko trouve un emploi et reste pendant deux ans à São Paulo. Cependant, elle décide de faire le tour de l’Europe avant de rentrer au Japon en 1961.

Suite > Motiver les enfants à lire pour éveiller leur curiosité

Tags

anime livre femme enfant Miyazaki Hayao

Autres articles de ce dossier